L’idéal olympique
L’idéal olympique, tel qu’il a été pensé par les Grecs de l’Antiquité, ressuscité par le baron Pierre de Coubertin et insufflé dans la formation philosophique de Nouvelle Acropole par son fondateur, Jorge Angel Livraga, ne consiste point à gagner, mais à donner le meilleur de soi, à se surpasser.
Dans cette compétition, celui qu’on nomme « l’adversaire » est en fait notre plus grand « allié ». Nous avons tout intérêt à ce qu’il donne le meilleur de lui-même, afin que nous puissions, en nous mesurant à lui, nous surpasser. Le mot compétition vient du latin competo qui signifie « atteindre avec ». « Avec » et non pas « contre » ! Nous n’aidons pas les autres en nous faisant petits. Encore moins en les rabaissant. Voilà l’esprit olympique : grandir, se surpasser, pour que chacun atteigne son plus haut sommet.
Se connaître, se gouverner, se vaincre
Les Jeux connurent plusieurs tentatives de rénovation à partir du XVIIIe siècle, mais elles se limitèrent le plus souvent à un cadre national et n’eurent qu’une portée limitée. On doit la véritable revitalisation de l’olympisme au baron Pierre de Coubertin dont la volonté fut de favoriser les interactions culturelles entre les pays et de promouvoir des valeurs éducatives universelles. À la fin du XIXe siècle, Pierre de Coubertin définissait ainsi l’Olympisme comme le « rassemblement, en un faisceau radieux, de tous les principes concourant au perfectionnement de l’homme », et il le résumait en trois mots : « se connaître, se gouverner, se vaincre ». Il savait pertinemment que les jeux sportifs pouvaient ennoblir l’homme, tout comme ils pouvaient le corrompre si le mercantilisme s’emparait de lui. Il disait ainsi qu’entre le « temple ou la foire, le sportif devait choisir ». Ce sont des paroles à bien méditer dans une époque matérialiste qui a fait du dépassement de soi un objet de consommation comme les autres.
Un idéal de vertu
On n’insistera jamais assez sur l’exigence de dignité morale qui était, dans l’Antiquité, au centre des compétitions. Les athlètes devaient prêter serment, et celui dont la moralité était douteuse était rejeté quelles que fussent ses performances sportives. Pour le poète Pindare, le champion est « un homme qui suit une route droite, ennemie de l’insolence » (7e Olympique, vers 166). La modestie était une qualité essentielle d’un champion, car on considérait la victoire, en ce temps-là, comme une faveur des dieux.
Lorsque Pierre de Coubertin pensa son projet, il s’inspira également de l’esprit chevaleresque qui avait prolongé, dans la période médiévale chrétienne, l’idéal de dépassement de soi des héros antiques. Pour lui, les Jeux Olympiques devaient être davantage qu’un championnat mondial, mais une véritable « école de noblesse et de pureté morale ». Le terme anglo-saxon fair-play caractérise sans doute le mieux l’état d’esprit dans lequel deux adversaires doivent s’affronter en hommes de bien. Fair-play signifie que la « victoire » n’est pas la même chose que « gagner ». Est « gagnant » celui qui remporte la partie ; est « victorieux » celui qui s’est surmonté lui-même tout du long de la partie, grâce à une conduite vertueuse, c’est-à-dire honnête et courageuse. Sur ce point, donnons simplement la parole à Pierre de Coubertin : « Le plus important aux Jeux Olympiques n’est pas de gagner mais de participer, car l’important dans la vie ce n’est point le triomphe mais le combat ; l’essentiel, ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu. »
La compétition et l’union
Dans l’Antiquité grecque, la compétition était au cœur de l’éducation, que ce soit dans les disciplines sportives ou artistiques. On la nommait agôn. On peut se demander, assurément, comment l’exacerbation des rivalités entre individus a pu conduire, sur le champ de bataille, à la coordination parfaite des mouvements en phalange qui caractérisa les armées grecques de l’époque classique. L’union était possible là où chacun s’évertuait d’être meilleur que les autres. Aujourd’hui, cela est très difficile à comprendre. Notre système éducatif tend à niveler toujours plus vers le bas les talents particuliers, et en même temps prône un individualisme forcené qui se traduit, dans les compétitions sportives, par des comportements peu civilisés, parfois au sein d’une même équipe.
Pour les Anciens, au contraire, la compétition était un moyen de réaliser l’union. Le caractère sacré des Jeux était primordial, car les rituels entourant les événements sportifs permettaient de mettre les concurrents sur un strict pied d’égalité avant qu’ils ne se distinguent dans les épreuves. La réussite de l’un était, en quelque sorte, la réussite de tous. Celui qui triomphe doit admettre, avec humilité, que les camarades contre lesquels il a férocement lutté, l’ont élevé, autant par leurs efforts que par les siens, à cette hauteur d’où il contemple une gloire immortelle. Lorsque les valeurs du collectif priment dans une société, la réussite individuelle peut être vue comme le parachèvement d’un vaste mouvement d’ensemble. Ainsi, lorsqu’un champion parvient à surpasser les autres, tous sont exaltés, collectivement, en tant que groupe humain, en tant que cité. Cet idéal, les Grecs de l’Antiquité l’avait compris, et Pierre de Coubertin – ce fut son tour de force ! – l’a ressuscité pour l’époque moderne, malgré la désacralisation de nos sociétés.
Les Jeux ne sont pas qu’un spectacle
Pour conclure, notons que les Jeux Olympiques modernes sont l’un des événements les plus attendus du grand public. Les pays s’arrachent l’organisation des compétitions, pour des raisons économiques bien sûr, mais aussi de prestige. À la fin de l’Empire romain, les Jeux Olympiques étaient devenus, comme les jeux du cirque, largement décadents. La nouvelle élite intellectuelle chrétienne y voyait, à raison sans doute, une cause du délabrement moral de la société de l’époque. Les épreuves étaient toujours célébrées, mais l’esprit olympique les avait quittées. Pour les temps à venir, veillons bien à préserver l’essentiel : non le spectacle des rivalités, mais l’invitation au dépassement de soi ; non la foire mercantile et hypocrite, mais le temple dont les colonnes verticales inspirent la droiture de l’athlète.