Sommes-nous seuls dans l’univers ?
La révolution copernicienne au XXIe siècle
Dans son dernier livre toujours aussi accessible et bien illustré, « Mondes d’ailleurs » (1), l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan, interroge la présence d’autres formes de vie dans l’univers, en faisant le point sur les dernières recherches spatiales et ses multiples enjeux.
Sommes-nous seuls dans l’univers ? TRINH XUAN Thuan envisage plusieurs scénarios possibles.
Acropolis : À quelles questions vouliez-vous répondre avec ce dernier ouvrage ?
Trinh Xuan Thuan : Il s’agissait de faire le point sur mes propres idées. Je crois en un univers qui tend vers la vie, réglé depuis son origine pour permettre l’apparition de la vie et de la conscience. Nous sommes actuellement la seule forme de vie connue dans l’univers. Mais si mon hypothèse d’un univers où la vie est un « impératif cosmique », selon l’expression de Christian de Duve (2), est correcte, il est probable qu’il devrait exister d’autres formes de vie ailleurs, car ce serait anticopernicien de penser que nous sommes les seuls.
Pour autant, le silence qui règne dans le cosmos est inquiétant. On écoute l’univers depuis les années 60 avec le programme SETI (3), mais nous n’avons encore détecté aucun signal. Ce silence pesant signifie-t-il qu’il existe d’autres formes de vie, mais qu’elles seraient tellement évoluées qu’elles nous regardent discrètement comme on observe des animaux au zoo ? Ou plus inquiétant : ces autres formes de vie se seraient toutes autodétruites, ce qui ne présage rien de bon pour notre futur ! L’homme se montrera-t-il assez sage pour ne pas aller à sa perte ? Nous avons le devoir de prendre soin de notre planète afin de ne pas disparaître de la scène.
A : Depuis l’Antiquité, on s’est interrogé sur la multiplicité de mondes habités. Comment cette approche a-t-elle évolué à travers le temps ?
T.X.T. : Les atomistes grecs comme Leucippe et Démocrite avaient des intuitions prodigieuses en supposant l’existence d’un univers sans limites spatiotemporelles où des unités fondamentales, les atomes, se « combinaient en une infinité de façons pour donner naissance à un nombre non moins infini de mondes ». Puis Aristote, en refusant le vide et l’infini, renferma l’univers dans des limites plus étroites et immuables, base du système géocentrique. Jusqu’à ce que Copernic déloge en 1543 la Terre de sa place centrale dans l’univers. Ensuite Giordano Bruno remet en cause la place exclusive de l’homme dans le cosmos et suggère l’existence d’une infinité d’autres mondes hébergeant une infinité d’autres formes de vie. Bien qu’il meure sur le bûcher de l’Inquisition comme hérétique en 1600, ses intuitions sont confirmées par la découverte des exoplanètes (4) à partir de 1995. Les premières observations astronomiques avec un télescope par Galilée en 1609, ainsi que la magistrale théorie de la gravitation universelle de Newton, publiée en 1687, mettent la théorie copernicienne sur une base scientifique solide.
A : En quoi la découverte des exoplanètes incarne la révolution copernicienne du XXIe siècle ?
T.X.T. : Depuis Copernic, les découvertes astronomiques n’ont cessé de rapetisser la place de l’homme dans l’univers. La Terre n’est pas au centre du système solaire, notre Soleil n’est pas au centre de la Voie Lactée mais une simple étoile parmi les centaines de milliards que comporte notre galaxie qui elle-même se perd parmi les centaines de milliards de galaxies qui peuplent l’univers observable. Pourquoi la Terre serait-elle dès lors, la seule planète à héberger la vie et la conscience ? Grâce à l‘évolution technologique, finalement, en 1995, deux astrophysiciens suisses, Michel Mayor et Didier Queloz, ont pu détecter pour la première fois une exoplanète autour de l’étoile de type solaire Pégase 51. Depuis, il y a eu une avalanche de découvertes d’exoplanètes. Aujourd’hui l’existence de quelque 4.500 exoplanètes est connue et on estime qu’il existe des milliards de systèmes planétaires dans la Voie Lactée. Peut-être une de ces exoplanètes possède-t-elle les conditions requises pour héberger la vie et la conscience ? Il faut continuer à chercher. La quête ne doit pas s’arrêter : il reste beaucoup à faire. Bien que la probabilité de succès soit difficile à estimer, si on ne cherche pas, la probabilité devient nulle.
A : Vers où s’orientent les investigations de pointe en astrophysique actuellement ?
T.X.T. : Grâce au télescope Hubble et à son successeur, le James Webb Space Telescope (JWST), prévu pour lancement en octobre 2021, la prochaine décennie va nous apporter des révélations passionnantes, surtout dans le domaine de la cosmologie et celui des exoplanètes. JWST pourra regarder encore plus en arrière dans le temps que Hubble, jusqu’à quelques centaines de millions d’années après le Big Bang, et voir ainsi en direct la naissance des premières étoiles et galaxies. Cela sera fabuleux ! J’attends la mise en orbite de JWST avec d’autant plus d’impatience que mon domaine de recherches est précisément la formation et l’évolution des galaxies ! Quant aux exoplanètes, JWST sera capable de les photographier directement et de repérer des biomarqueurs dans leurs atmosphères afin d’y rechercher la vie. Beaucoup dépendra de notre capacité à transcender les frontières entre les disciplines telles que la physique, la biologie, la neurobiologie, la chimie, la géologie, mais aussi les sciences humaines et la philosophie, de franchir les frontières en général peu perméables entre les différents domaines de la connaissance.
A : Quelles sont les interrogations que pose le silence rencontré dans la quête d’une communication avec des intelligences extraterrestres ?
T.X.T. : Le physicien Enrico Fermi a énoncé le paradoxe suivant : « Si les extraterrestres existent depuis 13 milliards d’années, ils ont disposé de tout le temps voulu pour construire leurs vaisseaux spatiaux et venir nous rendre visite. Alors pourquoi ils ne sont pas là ? ».
Il y a plusieurs réponses possibles que l’on peut classer en trois catégories principales.
1. Nous sommes seuls dans l’univers ; l’intelligence est un phénomène tellement rare qu’elle n’a pu émerger qu’une seule et unique fois, sur Terre.
2. Il existe d’autres intelligences extraterrestres dans l’univers, mais elles n’ont pas voulu ou pas pu coloniser la Voie lactée ; les plus évoluées se sont rassemblées en un club de civilisations galactiques ; toutefois, les membres de ce club n’ont aucun désir d’entrer en contact avec nous, car nous sommes encore trop peu évolués (la théorie du zoo).
3. De nombreuses civilisations extraterrestres ont existé dans le passé, mais elles se sont toutes autodétruites avant de pouvoir coloniser les étoiles.
Je pense que Fermi aurait préféré la réponse 1. Mais cette réponse est anti-copernicienne. Je préfère de loin la réponse 2. Dans ce scénario, les membres du club galactique nous laisseraient évoluer tranquillement jusqu’au jour où, enfin, nous serions assez mûrs pour rejoindre le club. Si c’est le cas, le futur de l’humanité sera glorieux. Nos descendants auraient le privilège d’accéder à un univers rempli d’idées nouvelles et de connaissances extraordinaires, où la créativité pourrait se déployer sans limite. Mais je ne peux écarter la réponse 3, beaucoup plus sombre et plus tragique. Ce scénario attribue le silence de l’espace au fait que toutes les civilisations extraterrestres avancées se seraient autodétruites. Si ce scénario est correct, nous irions irrémédiablement vers notre perte.
A : Si on parvient à répondre à la question de la vie ailleurs, quel impact cela aurait-il ?
T.X.T. : Si on parvenait à détecter la vie en un endroit autre que sur Terre, cela donnerait du support à mon idée que l’univers tend vers la vie, sous toutes ses formes, que celle-ci est « un impératif cosmique ». Par exemple, si on découvrait des bactéries sur Mars, le fait qu’il existe de la vie en au moins deux endroits (la Terre et Mars) rend la probabilité qu’il en existe à 3, 4 … endroits distincts beaucoup plus grands. Selon moi, cette vie doit évoluer vers la conscience et l’intelligence. À mes yeux, un univers n’a de sens que s’il héberge un observateur conscient qui puisse admirer sa beauté, son harmonie et soit capable de déchiffrer ses lois. Un univers rempli des bactéries qui subissent les lois de l’univers sans les comprendre n’aura pas de sens pour moi.
A : Cette vision est en résonance avec le principe anthropique fort (5) qui ne fait pas l’unanimité. Comment justifiez-vous cette position ?
T.X.T. : Je suis convaincu que l’univers a été réglé de manière extrêmement fine dès la première fraction de seconde après le Big Bang afin de mener à l’émergence de l’intelligence et de la conscience. La science n’a pas encore pu le démontrer, mais c’est mon pari (dans le sens de celui de Pascal). Les détracteurs de cette position, Jacques Monod en tête, évoquent le hasard. À mes yeux, l’ordre de l’univers implique qu’il y ait un sens derrière toute cette construction cosmique. Quand je regarde l’harmonie de l’univers et son unité, quand je contemple la beauté et l’organisation des pouponnières stellaires et la majesté des galaxies, j’ai du mal à croire que tout cela est dû au pur hasard.
A : Serait-ce cette fameuse mélodie de l’univers ?
T.X.T. : Cette mélodie, c’est précisément les lois physiques qui règlent l’univers. Tout n’est pas chaos, ce qui rend possible mon travail de scientifique. Mais tout n’est pas déterminé à l’avance non plus. J’aime à penser que la nature joue du jazz. Au fil de son inspiration et de la réaction de son audience, un joueur de jazz peut légèrement s’éloigner du thème principal pour improviser et créer de la nouveauté. La nature, où se mêlent le chaos et l’harmonie (6), opère de la même façon. Elle brode sur une partition que constituent les lois physiques et les conditions initiales, mais il existe toujours une liberté pour créer. Je crois au libre arbitre.
A : Vous tendez également des ponts entre la science et la spiritualité
T.X.T. : La spiritualité et la science sont des domaines différents avec chacun leur propre méthode d’investigation du réel. Mais elles ne s’excluent pas, mais se complémentent. Ce sont des fenêtres distinctes ouvertes sur le réel, qui apparait ainsi beaucoup plus riche qu’à travers le prisme d’une seule discipline. L’art ou la poésie constituent d’autres fenêtres. Vous en apprenez autant sur la lumière dans une toile de Monet qu’en écoutant un physicien vous décrire la double nature corpusculaire et ondulatoire de la lumière ! Le réel est riche, il ne faut pas cloisonner les domaines du savoir. Comme le disait Einstein : « L’homme qui a perdu le sens du merveilleux serait comme une bougie éteinte. »
A : La vision bouddhiste semble concilier science et spiritualité dans la réflexion sur le développement de la conscience et de la matière dans l’univers.
T.X.T. : Selon la position bouddhiste, la conscience (ou l’esprit) est distincte de la matière. Le bouddhisme envisage des « flots » de continuum de conscience, coexistant dans l’univers avec les particules élémentaires de matière, et, ce, dès les premières fractions de seconde après le Big Bang. Chaque continuum de conscience s’associe à un support matériel distinct pour constituer un être vivant. À mesure que le temps s’écoule, le continuum de conscience se transmet de support matériel en support matériel, au cours de cycles de naissance, de vie, de mort et de renaissance. Le concept de renaissance joue un rôle important dans le bouddhisme, car celui-ci considère que de nombreuses vies successives sont nécessaires pour parcourir le chemin long et ardu qui mène à l’Éveil.
A : Quelle serait la perception bouddhiste des extraterrestres ?
T.X.T. : La perception bouddhiste de la conscience n’aura aucune difficulté à s’accommoder de l’existence d’extraterrestres. En effet, que le support matériel du continuum de conscience soit un corps humain ou celui d’une espèce extraterrestre ne ferait aucune différence.
Par ailleurs, le concept de l’interdépendance est l’un des fondements du bouddhisme. Pour lui, le monde est comme un vaste flux d’évènements reliés les uns aux autres et participant tous les uns des autres. Rien ne saurait exister de façon autonome ni être sa propre cause.
Un alien illustrerait à merveille ce concept, car il partage avec nous la même généalogie cosmique. Comme nous, il est fait de poussière d’étoiles. Bref, son existence est interdépendante de la nôtre.
A : Quelle est la responsabilité de l’humanité face à ces nouvelles connaissances ?
T.X.T. : L’espèce humaine est entrée dans l’ère technologique depuis à peine deux siècles et nous mettons déjà la planète, les autres espèces et nous-mêmes en danger à cause de notre égoïsme et notre cupidité. Si nous sommes les seuls observateurs qui restent dans le cosmos, en supposant que toutes les civilisations avancées se sont autodétruites, c’est à nous qu’incombe la responsabilité universelle de donner un sens à l’univers. Nous devons prendre garde à ne pas créer une tragédie, aux proportions cosmiques, en détruisant la seule intelligence qui perdure, capable d’appréhender l’harmonie et l’unité de l’univers. Il importe de maintenir coûte que coûte la flamme de la raison. Nous ne devons pas créer du non-sens.