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Aujourd’hui, j’ai vu la mer…

Image même, avec sa majuscule sinueuse, de la Mater, la Mère – « Maya », Marie– reflet de la Matière primordiale et aqueuse qui renferme en son sein profond l’origine cachée des formes de vie les plus primitives. 

On dit que la nature garde des symboles suffisamment intenses pour éveiller l’âme endormie des hommes. En voyant la mer, j’ai compris que c’est certain. 
Depuis des milliers et des milliers d’années, bien des hommes – tout comme nous-mêmes aujourd’hui – se sont penchés sur le mystère marin et ont scruté avec des yeux interrogateurs le pourquoi de son imposante présence.
Depuis des milliers et des milliers d’années, on a établi une relation entre la mer et la Matière primordiale, avec le prototype chaotique de l’existence horizontale qui n’acquiert de sens que sous l’impact d’une impulsion verticale. Et aujourd’hui, nous voyons la mer, depuis les rives les plus variées, et elle continue à nous évoquer d’identiques énigmes. 

La mer, sans fin, changeante, image mobile de l’éternité

Si, selon les philosophes, le Temps est l’image mobile de l’Éternité, alors la mer est le Temps. Il y a dans son mouvement continu la même racine qui conduit l’homme à évoluer de minute en minute, sans jamais cesser, sans être en rien semblable d’un moment à un autre mais sans cesser non plus de se ressembler. Il n’y a pas deux feuilles qui s’avèrent identiques, ni deux explosions d’écume qui soient semblables et même l’apparente quiétude de sa surface enclot le même état d’alerte dans lequel se tapit le félin avant d’attraper sa proie. 
Et la mer est éternelle. Pour l’instant fugace du souffle que nous les hommes appelons vie, la durée de la mer est la vie de l’infini. Elle a toujours été et même lorsque nous essayons d’imaginer la fin des temps, la mer se montre aux fenêtres de notre fantaisie, l’emplissant tout entière de sa magnificence, comme au commencement des choses. 

Si, selon les philosophes, le changement continu est l’image féminine de la nature, l’image de l’illusion dans laquelle nous nous développons, alors la mer est féminine et illusoire. Ses changements sont imprévisibles et la merveille de ses mille formes variables dépasse les pronostics les plus audacieux. Ses multiples couleurs ont le côté mystérieux du regard de la femme, – la Mère Matière – qui oscille de l’azur le plus pur, en passant par les verts exotiques, jusqu’aux gris nébuleux magiques et denses. Et néanmoins, l’eau, entre les doigts, est transparente… C’est pourquoi elle est illusion. 

Puissante et sauvage voyageuse, Généreuse et nostalgique

Si, selon les philosophes, la force est le symbole masculin de la Nature, alors la mer est aussi forte qu’un homme, avec ses sauvages et puissants bras d’écume, dans leur courbe concave, capables de tout ravager et de l’emporter avec elle dans ses profondes demeures.
Si, selon les poètes, voyager c’est connaître et connaître c’est découvrir des secrets dans la nature, alors la mer est un une voyageuse infatigable qui, quotidiennement, va et vient d’un bord à l’autre du monde, portant dans ses doigts blancs le témoignage visuel des coins par où elle est passée. 
Si, selon les poètes, la générosité est la qualité du cœur toujours ouvert, disposé à recevoir des douleurs et à les transformer en sourires, alors la mer est généreuse. Elle reçoit à égalité tous les cours d’eau du monde, qui la cherchent, infatigables, pour trouver repos et réconfort dans ses abîmes. Elle couvre, esthétique et pudique, les laideurs de ce qui est vieux et mort, tout en lavant avec des sels brillants ce qui est jeune et pérenne.
Si, selon les poètes, les gouttes de pluie sont les larmes du ciel, la mer est larmes et elle est ciel car elle fait se lever de sa masse puissante l’appel de la vapeur d’eau, qui monte en quête des hauteurs et n’ayant pas atteint la demeure des dieux, revient en pleurant conter sa nostalgie métaphysique.

Gardienne du passé et de ses secrets

Si, selon les hommes, il est nécessaire de construire des ponts pour créer des unions, alors la mer est le pontife d’une étrange cérémonie, mettant en relation les mondes et les civilisations, portant hommes et idées, barques et rêves, déroutes et conquêtes. Et, simultanément, la mer garde en son sein le souvenir palpitant de temps passés, jalouse de ses secrets qu’elle ne partage que lorsque, le moment venu, l’homme ne plonge pas seulement en quête de trésors mais de sagesse.

Et c’est alors que l’homme, grâce à la mer, à la Mère, est aussi poète et philosophe. 

Traduit de l’espagnol par M.F. Touret
par Délia STEINBERG GUZMAN
Présidente d’honneur de l’Organisation internationale Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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