Aujourd’hui j’ai vu tomber une feuille
Aujourd’hui j’ai vu tomber une feuille… Véritable prodige de l’automne, ce fait m’a mis en contact avec le miracle d’une vie féconde et réalisée, qui arrive à sa fin dans la plus grande des splendeurs.
L’appréciation courante de l’existence nous oblige souvent à de rapides et fausses opinions, réglées par des conceptsaussi infantiles que : « Tout ce qui tombe est mal, et tout ce qui s’élève est bon ». Mais nous avons oublié que parfois ce sont les fidèles feuilles de l’automne qui tombent et les dramatiques bombes explosives qui s’élèvent…
Avec la même naïveté inconsciente, nous aurons sous-estimé l’automne, la vieillesse, toute chose qui se termine et perd de la fraîcheur pour nos sens, sans penser que ce qui apparaît à nos yeux peut prendre vie pour d’autres yeux, pour d’autres mondes, pour d’autres formes d’existence.
L’automne, fin de vie
L’automne est un peu comme la mort de l’année, qui ensuite s’enkyste dans le froid concentré et intime de l’hiver. De même, la vieillesse est pour les hommes la sortie de cette vie, la nôtre, pour s’enfermer ensuite dans le mystère insondable de la mort physique. Cependant, ni les âmes ne meurent, ni l’année ne cesse de se renouveler en printemps à venir et en étés chauds.
Il y a un mystère de ces cycles qui pourrait se dévoiler dans le fait de la mission accomplie. Toute mort n’est pas héroïque, ni toute vie inutile. La mort est noble couronne quand elle met fin à une vie riche dans laquelle se sont accomplies toutes les consignes de la Nature, tant au plan matériel que spirituel.
Conseils d’une feuille automnale
Dans la feuille tombée de l’automne, j’ai vu précisément la glorieuse synthèse d’une vie végétale humble mais fidèle à sa consigne, noble jusqu’à la fin. La feuille qui fut allégresse et couleur durant l’été ; celle qui a fourni jour après jour son lot d’amour traduit en oxygène le plus pur ; celle qui a été ombre accueillante et murmure caressant ; celle qui a orienté toutes les matinées ses yeux verts en direction du soleil : celle-là disparaît en douceur, avec un message doré dans sa chute. Il ne s’agit pas d’une chute brusque, il ne s’agit même pas d’une chute : c’est l’ultime mouvement harmonieux d’un être qui s’est repu en buvant le soleil jusqu’à se colorer de la même couleur que ses rayons et descend alors aux pieds des hommes en tapissant d’un tapis magique le passage de ceux qui aspirent également à s’emplir de soleil.
Combien de conseils muets sont gardés dans la feuille automnale !
Combien d’entre nous, êtres humains, par peur de la mort, ne savons pas vivre ! Combien de fois ont été gaspillées des années et des années, en quête d’illusions éphémères et floues qui n’impliquent pas le soleil stimulant pour la feuille mais les ombres trompeuses aux lumières artificielles ! Que peu nombreux sont les hommes qui parfument leur entourage pendant qu’ils existent, qui servent chaque jour leurs semblables, pensant à l’arbre tout entier de la Nature, plutôt qu’à la condition individuelle de feuille !
Ceux-là, rares, sont ceux qui ont fait l’Histoire. Il est clair que dans l’Histoire figurent donc ces luminaires de condition exceptionnelle et non la petite feuille de l’automne, celle qu’aujourd’hui j’ai vu mourir…
Hommage à la petite feuille tombée
C’est pourquoi je veux dédier mes paroles à la feuille dorée pour qu’elle aussi vole à l’infini avec un souvenir humain gravé dans ses nervures desséchées. Parce que j’admire le Cid qui chevaucha et combattit une fois mort, parce que j’admire ces morts qui valent autant que la vie, j’admire cette feuille qui finit de tomber, elle qui a vécu en regardant le soleil, elle qui a assemblé des rayons dorés dans une transmutation alchimique, elle que j’ai vu dans sa danse hallucinante car, tandis que son corps arrivait sur terre, un rayon de lumière s’est élevé puissamment vers le ciel.