Approvisionnement alimentaire dans le monde Sécurité ou autonomie ?
Notre approvisionnement alimentaire est-il en danger ? Jusqu’à très récemment, nous ne pensions pas avoir à nous poser cette question. Mais l’instabilité mondiale a mis en lumière depuis trois ans la grande dépendance des pays modernes les uns vis-à-vis des autres.
Sur le plan alimentaire, alors que la plupart des pays développés pensaient cette préoccupation révolue, est réapparu le souci de notre sécurité alimentaire.
Sécurité alimentaire
Selon les termes du sommet mondial de l’alimentation de 1996, « La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active » (1).
Déjà sur le plan qualitatif, certains s’élevaient contre les risques liés aux importations à prix bas de produits issus de pratiques agricoles très éloignées des règles sanitaires et des normes éthiques de nos pays, pouvant entraîner des risques pour la santé humaine (usage de produits chimiques interdits en France, pollution de l’eau, des sols, etc.).
Sur le plan quantitatif, la réduction des flux commerciaux liée à la COVID-19, puis l’utilisation de l’arme alimentaire à partir de la guerre en Ukraine ont fait ressurgir la menace de grandes famines.
Ainsi, la question de la sécurité alimentaire s’invite parmi les sujets du futur : envisager la sécurisation de l’accès à la nourriture, la disponibilité en quantité suffisante, la qualité nutritionnelle et l’innocuité des aliments, sans oublier la stabilité des prix et la disponibilité d’un pouvoir d’achat correspondant.
Autonomie alimentaire
Mais on sait aujourd’hui que, derrière la question des quantités, se pose celle de la sécurité des approvisionnements tant pour des raisons économiques que politiques, comme ont pu en souffrir les pays africains dépendants du blé russe.
La notion de sécurité alimentaire dont parle beaucoup n’est donc pas un élément suffisant, car elle nous « vassalise ». Il faudrait plutôt nous préoccuper de notre autonomie alimentaire ou notre souveraineté alimentaire, qui permet à chaque pays de ne pas dépendre d’un autre ni de conditions de transports, d’importation des aliments les plus indispensables qui peuvent être mis en péril par des blocus, guerres ou encore l’instrumentalisation de ces produits à des fins politiques.
Ainsi la question ne devrait-elle pas se poser en termes de sécurité, mais d’autonomie.
La quête de l’autonomie
Ce qui est vrai d’un individu l’est d’un pays. De la même façon qu’un être humain ne peut aider autrui que s’il est déjà lui-même autonome, ne dépendant pas de la bonne volonté des autres, de même un pays doit être largement autonome sur l’essentiel pour être en mesure de sécuriser ce qu’il n’a pas.
La quête d’autonomie conduit à faire le choix de produire pour sa population une alimentation saine, correspondant à des systèmes agricoles et alimentaires appropriés, produite par des méthodes d’agriculture durables, non dépendantes d’intrants extérieurs, dans une logique de résilience, d’autosuffisance alimentaire et de respect du travail paysan et d’approvisionnement local.
Neuf millions d’hectares à relocaliser
Aujourd’hui, la moitié des fruits et légumes consommés en France sont importés. Rien ne garantit que demain, même en dehors de tout conflit ou volonté hégémonique, il y aura suffisamment d’énergie, de transporteurs, voire de production à l’étranger pour assurer notre approvisionnement.
En plus du problème de leur arrivage (sécurité alimentaire), se pose celui de la sécurité sanitaire (traçabilité, qualité, conformité à des normes moins exigeantes en termes de traitements, mais aussi en termes de traitements des humains qui les ont produits).
Il a été calculé qu’il faudrait relocaliser en France ces 9 millions d’hectares cultivés ailleurs dans le monde. La priorité n’est donc certainement pas d’utiliser nos terres agricoles pour produire de l’énergie pour nos voitures !
Un colosse aux pieds d’argile
Avec moins de variétés de cultures, nous avons augmenté notre vulnérabilité. La perte de la biodiversité cultivée a amoindri les capacités de résilience de notre agriculture. Et les variétés modernes, génétiquement très homogènes et adaptées aux pratiques de l’agriculture industrialisée (irrigation, engrais minéraux, pesticides), sont beaucoup moins résistantes aux perturbations climatiques ou biologiques.
Durant cette année 2022, nous avons pu constater les effets dévastateurs du climat dont les épisodes extrêmes se multiplient. Parmi les scénarios qui se concrétisent, on se trouve toujours dans la tranche « maximale » des fourchettes avancées.
Le groupe d’experts d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) n’est guère optimiste sur la suite.
En France, 10% de la population a besoin d’aide alimentaire
Tout ceci doit être pris en compte pour changer de pratiques pour aller vers une production qui soit davantage à même de garantir le droit à l’alimentation. Nous avons déjà 7 à 8 millions d’habitants en France qui dépendent de l’aide alimentaire !
À quelles conditions, peut-on devenir autonomes ? Il ne faut pas partir du fait que, puisque la France a nourri l’Europe pendant des siècles, elle peut être autonome pour autant. Un solde de la balance commerciale largement excédentaire ne signifie pas une autonomie, mais seulement une bonne capacité de se procurer par « échanges » ce qui nous manque dans certains domaines.
Donc, même si la France recouvrait sa capacité de production variée d’antan, il restera des produits dont elle ne pourra disposer par elle-même. La sécurité alimentaire devra alors venir épauler la dynamique de la recherche d’autonomie en nous faisant choisir comme fournisseurs des pays à qui nous pourrons être utiles pour d’autres produits.
Ni séparatisme ni dépendance
Ainsi, d’importateur « obligé » donc fragile, nous redeviendrions « partenaire » apportant chacun à l’autre ce qui lui manque. L’interdépendance positive, mais basée sur l’autonomie sur l’essentiel, devient un moyen pour éviter les imperfections tant de l’autonomie séparatiste qui n’est plus réaliste aujourd’hui, que de la dépendance extrême liée au modèle de la globalisation.
Si nous ne pouvons l’atteindre totalement, nous pourrions néanmoins nous en rapprocher fortement. Par exemple, si les bovins sont nuisibles en élevage intensif, nourris avec céréales et tourteaux de soja, ils sont utiles dans un écosystème fait de polyculture et d’élevage, où ils produisent le fumier qui enrichira le sol. Et dans cet écosystème, l’être humain peut continuer à manger de la viande, mais de façon raisonnée, comme accessoire des légumes et légumineuses, et s’en portera bien mieux…
Sortir de l’anonymat, restaurer la solidarité
Nous avons été éduqués dans un paradigme du développement et progrès par la division internationale du travail. Mais jusqu’où faut-il suivre cette idée ? Platon explique que dans la société, il est utile au bien commun que chacun se spécialise dans ce qu’il peut faire de mieux : le cordonnier les chaussures pour tout le monde, le boulanger, le pain, etc. Mais que la spécialisation, qui amène efficacité matérielle et solidarité quand les gens se connaissent, devient perverse dans l’anonymat des grands ensembles humains ou planétaires où la concurrence et l’exploitation vont remplacer l’entraide et la solidarité.
Et la globalisation nous a montré ses les limites. On a voulu nous faire croire au « village global », mais à 8 milliards d’habitants, il s’agit d’un leurre ! L’essentiel dans l’échange est la dimension humaine. Alors, oui, l’échange devient partage. Ce n’est plus le cas quand les interlocuteurs se sont perdus de vue et que la relation est anonyme. Or, la globalisation a créé cet anonymat à travers ce nouvel acteur qu’est le « marché ».
Trouver la bonne mesure entre spécialisation et autonomie pour créer une interdépendance positive. La solution l’est au niveau des États autant qu’au niveau des individus.