Michel de Montaigne, une sagesse de l’homme
Dans son infatigable exploration de l’esprit humain, Michel Eyquem de Montaigne, cet érudit nourri des classiques de l’Antiquité, utilisa sa propre expérience pour sa quête philosophique et sa compréhension de l’esprit humain.
On reconnaît dans ses écrits, Les Essais, les lignes majeures de la culture humaniste, qu’il avait lui-même reçue de son père : la dimension philosophique et morale visant à perfectionner l’homme, à le rendre « plus humain », et l’usage de la raison en tant qu’instrument donnant accès à la maîtrise de sa nature et à la connaissance des fondements d’une vie droite et heureuse.
La formation d’un esprit libre
Jusqu’à l’âge de six ans, le jeune Montaigne reçut une éducation uniquement en latin, réveillé le matin par des musiciens pour éviter l’agression d’un réveil plus ordinaire. Une éducation singulière pour l’époque, destinée à former un esprit libre, inspirée du philosophe Erasme de Rotterdam, qui s’opposait au dur apprentissage de la scolastique médiévale faite de répétition et de discussion systémique.
Il étudia probablement le droit et les lettres classiques à Paris et devint conseiller de la Cour des Aides à Périgueux, puis conseiller au Parlement de Bordeaux, assurant ces fonctions pendant une quinzaine d’années.
L’ami philosophique
Au Parlement de Bordeaux il fit la connaissance de celui qui allait devenir le grand ami de sa vie, le politicien et écrivain humaniste Etienne de La Boétie et c’est aussi cette particularité de Montaigne : l’amitié philosophique.
La Boétie était un homme de nature curieuse, fervent libertaire et connaisseur des classiques grecs et latins. Il exerça sur Montaigne une forte influence intellectuelle. Ardent défenseur de la tolérance religieuse, il intervint dès 1560 dans les négociations entre notables catholiques et huguenots, au côté d’un autre humaniste français, Michel de l’Hospital (1505-1583).
Liés par l’amitié, Montaigne et La Boétie eurent aussi une relation épistolaire sur les sujets les plus variés. Son œuvre majeure, Les Essais est nourrie de leur correspondance. Plus tard, Montaigne reconnaîtra qu’il n’aurait pas écrit ses Essais s’il avait conservé un ami à qui écrire des lettres. En effet, dans une certaine mesure, ils furent probablement rédigés pour surmonter la perte de son ami, emporté en 1563, à l’âge de 32 ans, par la peste a-t-on dit, mais plus probablement par une grave dysenterie.
La mélancolie de l’absence
La mort brutale de La Boétie plongea Montaigne dans une mélancolie et une solitude qui ne le quittèrent plus. Il écrira : « si l’on me presse de dire pourquoi je l’aimais, je sens que cela ne peut s’exprimer qu’en répondant : « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » ».
Montaigne dédia à son ami le meilleur hommage qui fût, et qu’il lui avait promis sur son lit de mort, en publiant son unique œuvre connue, écrite en 1548 : Le Discours de la servitude volontaire, mis sous presse en 1573. Ce texte, centré sur les mécanismes de domination des régimes tyranniques, propose de cesser de coopérer avec le despote pour mettre fin à sa domination. Comme la personnalité elle-même et la pensée de La Boétie, cette idée influença sans doute son ami Montaigne qui tenait à ne pas dépendre d’un roi ni des puissants et se souciait de préserver le bien le plus sacré pour être soi-même : la liberté.
Le refuge de l’écriture
La perte de son ami La Boétie en 1563, puis celle de son père, cinq ans plus tard le touchèrent si profondément quelles ont probablement été à l’origine de sa décision de se retirer de la vie publique. En 1571, il vendit sa charge au Parlement de Bordeaux, comme cela pouvait se faire à l’époque, pour s’installer dans le château de son enfance, afin d’assouvir son désir d’écrire avec la tranquillité et le recueillement nécessaires à l’étude et à la réflexion.
Son œuvre, Les Essais, comprend 107 textes, indépendants les uns des autres et pouvant se lire séparément, brossant le tableau d’une réalité complexe, tamisée par l’expérience personnelle de l’auteur qui qualifie lui-même son œuvre de « livre de bonne foi », sans prétention.
Une influence ininterrompue au fil des siècles
L’influence de Montaigne n’a jamais cessé depuis ses premières parutions. Les penseurs du XVIIe siècle se sont nourris de ses écrits, qu’il s’agisse de Pascal, qui en parlant de Montaigne se référait « au sot projet qu’il a eu de se peindre lui-même » mais qui avait Les Essais sur sa table de chevet ! Ou qu’il s’agisse de tout ceux dont il a inspiré les réflexions, comme Descartes dans son doute méthodique, La Rochefoucauld dans ses Maximes, La Bruyère dans Les Caractères ou Les Mœurs de ce siècle, Molière en quête d’équilibre entre épicurisme et rationalisme, et même La Fontaine dans ses Fables.
Dès le XVIIIe siècle, en plein siècle des Lumières, Voltaire se référait au charmant projet que Montaigne avait eu de se peindre, car en se peignant il avait peint la nature humaine. Et un siècle plus tard, Nietzsche déclarait que le fait qu’un pareil homme ait écrit, augmentait véritablement la joie de vivre sur terre.
Au XXe siècle encore on retrouve son influence dans la pensée de Paul Valéry, dans les aphorismes d’André Gide ou la conception du temps de Marcel Proust et nous pouvons relever que les éditions successives des Essais sont encore bien accueillies chez nos contemporains du XXIe siècle….
Les « Essais », une sagesse humaine
Son objectif fut de se connaître soi-même et de s’accepter. Son attitude envers la nature était ouverte, avide de découvrir la diversité du monde. Il acceptait l’ordre naturel des choses, la place de l’homme et de chaque peuple, de chaque groupe humain dans la nature.
Il s’opposa farouchement à la colonisation violente de l’Amérique et des autres continents, ainsi qu’à toute forme de violence. Le voyage et le contact avec d’autres peuples étaient essentiels pour parvenir à une connaissance de l’homme et de la nature, à condition de se produire dans le plus grand respect des différentes façons de vivre.
Son idée de la sagesse s’attache fondamentalement à la notion d’équilibre. L’image de la balance, portant le même poids sur chaque plateau, qui est exposée dans sa bibliothèque et guide sa pensée : il prêcha toujours la modération, le respect de l’ordre naturel des choses, non seulement par la théorie, mais aussi par l’exemple. Apprendre à vivre et à mourir devait constituer l’objectif de la recherche épistémologique et ontologique de l’homme.
À lire
Collectif, Montaigne, il n’y a pas de vérité absolues, Éditions RBA, Collection Apprendre à philosopher, 2016
Joseph Macé-Scaron, Montaigne, notre nouveau philosophe, Édition Plon, 2002
Sous la direction d’Albert Thibaudet et Maurice Rat Montaigne, Œuvres complètes, Éditions Gallimard, Collection La Pléiade, 1962
Michèle MORIZE
Formatrice à Nouvelle Acropole
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La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole
Par Michèle MORIZE
Formatrice à Nouvelle Acropole