Sri Aurobindo ou l’évolution future de l’humanité La vibration supramentale dans le corps
Lionel Tardif, cinéaste, historien et enseignant du langage du cinéma, metteur en scène et écrivain, s’est intéressé de très près à Sri Aurobindo, personnage hors du commun qui a œuvré pour l’évolution de l’humanité. Ce sixième et dernier article concerne plus particulièrement le travail de Mère sur la dimension corporelle, dans les traces de Sri Aurobindo.
Parallèlement à la construction puis à l’administration de l’ashram et ensuite d’Auroville, Mère (1) continua le travail dans son corps.
Voici quelques extraits de ce processus recueillit par Satprem qui était devenu l’humble scribe, et publia après la mort de la Mère, Du Mental dans les cellules (2).
«Son corps devenait parfois transparent». «On voit, lui disait la Mère, d’une manière différente en même temps à des milliers de kilomètres et tout près. Quand mon corps passe dans l’autre état, on a l’impression qu’il va se dissoudre la minute suivante, la lumière devient multicolore, est constituée de pointillements (comme chez le peintre Seurat)». «Un mot se met à briller sur une lettre, comme si cette lumière était à l’intérieur du mot. Tout à coup, à la sortie du bain, quelque chose vient qui me prend et c’est une autre vie dans laquelle je vis. Ce qu’on fait dans son corps, on le fait dans un autre corps. Ce qui fait que parfois on sent la misère de celui-ci ou de celui-là. Et quand cette action est terminée, tout s’en va. C’est une affaire de vibration. Les vibrations sont contagieuses. C’est pour ça que j’ai toujours pu guérir des gens. La vibration va en s’amplifiant, grossissant, et toutes les cellules du corps sont prises d’une intensité d’aspiration, comme si tout le corps se gonflait. J’avais l’impression que j’allais exploser. Ça coagule quelque chose et ça devient une masse solide, compacte».
En lisant ce passage, on a l’impression d’être dans la théorie des super cordes (3), dans la physique théorique de pointe telle qu’elle est formulée aujourd’hui.
Cette vibration, Mère l’identifiait comme la vibration supramentale. Elle donne l’impression d’un feu intense dans le corps. «On sent que le corps – disait elle – peut se disloquer en se transformant. Tout se passe avec une formidable rapidité. Il n’y a plus de temps. C’est comme un autre temps qui est entré dans celui qu’on perçoit. Et si l’on passe dans cet autre état, on modifie les lois physiques de la matière. Les ondes sont d’une vitesse si foudroyante qu’on a l’impression de l’immobilité».
«Si on dépasse, dit Satprem (4), la vitesse de la lumière, Einstein nous a montré que tout devient distordu. On traverse le trou noir et on a vaincu la mort.»
Le vrai changement de conscience change les conditions physiques du monde. C’est un autre état dans la matière qui annule la gravitation. C’est entre 1962 et 1967 que les expériences furent très fortes. Il fallut cinq ans à Mère pour comprendre le mécanisme. Dans le passage, la souffrance est atroce : évanouissements, impossibilité de manger, douleurs aiguës.
Il existe une très vieille science des sons en Inde, une science qui connaît toute la gamme vibratoire depuis l’objet le plus matériel jusqu’à l’état de conscience le plus haut. Différents aspects de l’être a un son. L’amour en a un, peut être même est-ce le son de l’univers. Ce son, quel qu’il soit, c’est ce qu’on appelle le Mantra. Mère s’est mise à répéter un mantra, son mantra Om Namo Bhagavaté, celui qui évoquait l’amour suprême. Cette vibration s’installe en entrant dans le corps.
En 1964, à plus de 80 ans, Mère déclarait à Satprem : «Je suis à la frontière d’une nouvelle perception de la vie. C’est comme si certaines parties de la conscience, muaient de l’état chenille à l’état papillon». Elle était presque devenue aveugle, mais elle voyait avec les yeux du corps, des cellules. À cette époque on faisait des expériences en Russie dans des laboratoires secrets où un sujet pouvait distinguer les couleurs à travers la peau de ses mains ou de son ventre.
L’influence extrasensorielle à distance
À ce stade de mon intervention, j’aimerais vous parler de deux grands scientifiques que j’ai eu l’honneur d’accueillir dans mes colloques à Tours et à l’abbaye de Fontevraud.
Suite à l’un de ces symposiums, le professeur Vlail Kaznatcheev, membre de la prestigieuse Académie des sciences d’U.R.S.S., directeur de l’Institut de médecine clinique expérimentale de Novossibirsk en Sibérie avait fait la couverture du journal Paris Match avec des révélations fracassantes de ses travaux qui, sentant trop le soufre furent très vite mises de côté. À son laboratoire de Sibérie, les expériences de Kaznatcheev portaient sur des communications entre cultures microbiennes, pourtant enfermées dans des bocaux. À partir de là, il était évident que des faits enregistrés et confirmés sur plus de vingt ans, prouvaient l’authenticité de l’influence psychique sur plusieurs milliers de kilomètres sur la matière. Dans son laboratoire, il démontrait l’influence extrasensorielle à distance. Quant à un autre très grand scientifique, le mathématicien ukrainien Leonid Pliouchtch qui avait connu le goulag, disait : «réduire la vie humaine à sa dimension finie et matérielle conduit donc l’humanité à nier son principe essentiel et l’amène de ce fait à l’autodestruction. L’individu devient de nos jours exclusivement utilitaire. Le foyer de ce fléau planétaire réside dans une conception fragmentaire de l’homme.»
À cette époque, Mère eut quelques visions merveilleuses. Elle voyait des paysages différents, des villes immenses en construction dans le futur. «Une lumière rouge et or est entré par mes pieds, chaude, intense, c’était la lumière de Sri Aurobindo (5), la lumière supramentale et je me suis retrouvée dans un autre monde. J’ai passé deux jours dans un monde où les vivants et les morts vivaient côte à côte. C’est le mental des cellules qui a la clé de la mort ou de la non mort. De l’état où la mort et la vie se changent en quelque chose d’autre, où cette opposition n’existe plus»
En janvier 1973, peut de temps avant sa mort, Mère avait eut une vision effroyable, qu’elle raconta à Satprem. On l’enterrait vivante. C’était la troisième fois qu’elle voyait cela.
En avril 1973, Mère confiera à Satprem : «Je sens qu’il y a un effort pour transformer ce corps, il le sent, il est de bonne volonté, mais je ne sais pas s’il sera capable. Je te le dis à toi, je ne sais pas ce qui va arriver».
Puis, le 19 mai, la porte se fermait sur Mère. Elle était seule. Satprem n’avait plus le droit de rentrer. Il y avait tout cet Agenda (12 volumes) tout ce qu’elle avait confié au fil des jours sur cette expérience. Mais ce secret était dangereux pour les «disciples». Ce secret d’un avenir qui n’avait rien à voir avec leur «spiritualité». Les proches comme Satprem furent calomniés, poursuivis, menacés de procès, dénoncés auprès du gouvernement indien et harcelés par la police. On envoya même un tueur pour supprimer Satprem dans les canyons d’Auroville. Cette cohorte ne voulait pas que les douze tomes de l’Agenda voient le jour. Parmi eux il y avait les disciples qui avaient amassé beaucoup d’argent pour construire Auroville. Ils voulaient faire de cette ville un grand commerce spirituel. Mais Satprem trouva un allié de poids en la personne de monsieur Tata, la plus grande fortune de l’Inde, qui joua de son influence aussi bien auprès du gouvernement indien, de la police, et fit peser de sa puissance pour que tous les jeunes arrivés des quatre coins du monde puissent vivre en paix dans cette ville, dans cette aventure de la conscience. Puis il y a eu aussi le poids de madame Indira Gandhi, alors Premier Ministre de l’Inde qui avait comme nous l’avons vu un immense respect pour la Mère, qu’elle était venue consulter à plusieurs reprises.
Le matin du 18 novembre 1973, on vint prévenir les fidèles que Mère avait quitté son corps la veille au soir. On l’avait étendue dans le hall en bas de l’ashram et tout le monde se mit à défiler devant elle. Satprem, très en colère écrira : «Sept heures à peine après sa mort, on l’avait enlevé de la paix de sa chambre pour la jeter en pâture à ces milliers de vibrations d’angoisse, de chagrin, de peur et de mensonge. Mais dans la tombe où ils l’ont mise, nous connaissons des cellules qui répètent : Om Namo Bhagavaté.»
Elle repose aux côtés de Sri Aurobindo sous le grand banyan dans la cour de l’ashram où chaque jour et jusqu’à aujourd’hui on vient méditer, se recueillir, du matin au soir. Les quelques fois où je suis venu me recueillir ici, les larmes me sont venues. Une grande force en émane.
La Bhagavad Gîta
La réincarnation n’est pas particulière à l’enseignement de Sri Aurobindo ; toutes les sagesses anciennes en ont parlé, de l’Extrême-Orient à l’Égypte et aux néo-platoniciens. Il est même curieux de noter que les pères de l’Église, au concile d’Alexandrie s’étaient aussi demandés s’ils devaient admettre la réincarnation.
On ne peut comprendre en profondeur la Bhagavad Gîtâ (6), épicentre du Mahâbhârata (7) que par la réincarnation. Dans sa traduction pour les français, son élève à l’ashram, Philippe B Saint Hilaire que l’on appelait Pavitra, a repris la traduction anglaise d’un disciple bengali Anilbaran Roy en se basant sur les indications très précises données par Sri Aurobindo à partir du texte sanskrit et appelé Le Yoga de la Bhagavad Gîtâ. Là aussi, quel message !
Le Mahâbâratâ dont la Gîtâ est un épisode à pris sa forme actuelle entre le Ve et le Ier siècle avant Jésus Christ. La Gîta relate une bataille qui a eut lieu sur un vaste champ proche de la capitale actuelle de l’Inde, Dehli, appelé Kurukshetra. Une guerre éclata entre deux clans, les Kurava et les Pândava. Le Dieu Krishna tenta de réconcilier les deux parties. Le litige venait du fait que lorsque Dhritarâshtra, le roi aveugle des Kurava devint vieux et décida de donner son trône non à son héritier légitime, son fils Duryôdana qu’il jugeait mauvais, mais au fils aîné de feu son frère cadet du clan Pândava. Mais Duryôdana, par ruse et trahison s’empara du trône et la guerre devint inévitable pour défendre la justice et le droit.
La Bhagavad Gîtâ, littéralement «Le Champ Du Bienheureux» rapporte les paroles de Krishna l’Avatar à son disciple choisi Arjuna, du clan des Pândava, afin de l’élever à travers l’épreuve de cette bataille au dessus de la conscience humaine jusqu’à la conscience divine, pour réaliser ainsi sur la Terre et dans le corps humain, Le Royaume des Cieux. Krishna quitta son clan pour entrer dans l’autre camp et s’engagea non pas en combattant mais comme conducteur du char du prince Arjuna. La Gîtâ est le dialogue, le questionnement d’Arjuna adressé à Krishna. «En face de moi, j’ai des gens de ma propre famille, que je vais être obligé de tuer. Est-ce normal ?» Et Krishna apporta les réponses à ce questionnement du prince : «Si un homme libéré prend part à la tuerie, il ne tue personne et il n’est pas lié par son œuvre, parce que l’œuvre est celle du Maître des Mondes, et c’est celui-ci qui a déjà, de sa toute puissante volonté cachée, tué ces armées entières. Ce travail de destruction est nécessaire afin que l’humanité puisse marcher vers une nouvelle création et un but nouveau, qu’elle puisse se débarrasser, comme par le feu, de son karma (8), passé d’iniquité, d’oppression et d’injustice. L’homme libéré accomplit l’œuvre qui lui est assignée en tant qu’instrument vivant de l’Esprit Universel. Il n’agit pas pour lui, mais pour Dieu et pour l’homme, pour l’ordre humain et pour l’ordre cosmique. En fait, il n’agit pas lui même mais il est conscient de la présence et de la puissance de la force Divine en ses actions et en leurs résultats. Il sait que la Shakti suprême, l’énergie de la conscience seule autour, réalise en lui, dans son corps mental, vital et physique l’action assignée par un Destin qui en vérité n’est pas le Destin mais la volonté sage et qui voit tout à l’œuvre derrière le karma humain. Cette action terrible autour de laquelle tourne l’enseignement de la Gîta est l’action extrême qui derrière les apparences cache un grand bien. C’est impersonnellement que doit l’accomplir l’homme, que le Divin à désigné pour maintenir la cohésion du monde, sans but ni désir personnel, parce que c’est la tâche qui lui est assignée».Sri Aurobindo en a fait une pierre d’angle de son œuvre.
L’évolution individuelle et collective
Les vies représentent une croissance de conscience qui culmine dans un accomplissement terrestre, autrement dit, s’il y a évolution, une évolution de la conscience derrière une évolution des espèces, cette évolution spirituelle, doit aboutir à une réalisation individuelle et collective sur la Terre.
Cette idée fondamentale balaie psychanalyse et psychologie. «Si la psychanalyse restait dans ses limites superficielles – disait Sri Aurobindo – il n’y aurait rien à en dire. Elle guérirait utilement quelques prurits. Mais elle est devenue un nouvel évangile, et elle a puissamment contribué à fausser les esprits en les fixant de façon malsaine sur leurs possibilités fangeuses plutôt que sur leurs possibilités divines. Elle évoque le mal sans avoir le pouvoir de le guérir. Elle tend à rendre le mental et le vital non pas moins mais plus fondamentalement impurs qu’avant. Quant à la psychologie moderne, c’est une science dans l’enfance, à la fois imprudente, maladroite et grossière. Elle tombe dans l’universelle habitude du mental humain qui consiste à prendre une vérité partielle et locale et à la généraliser indûment en voulant expliquer toute l’étendue de la Nature par ses termes étroits. Notre psychologie est incapable de comprendre parce que c’est en bas qu’elle cherche, dans le passé évolutif. Certes, une moitié du secret est là, mais c’est la force d’en haut qui ouvre la porte d’en bas. Nous ne somme pas faits pour regarder toujours derrière nous, mais en avant et en haut, dans la lumière supraconsciente, parce que c’est notre avenir, et que seul l’avenir explique et guérit le passé».
Par Lionel TARDIF
(1) Disicple de Sri Aurobindo, voir article dans revue Acropolis n° 253 (juin 2014)
(2) Œuvre de Satprem, paru aux Éditions Laffont, 2003, 195 pages
(3) Tentative pour expliquer l’existence de toutes les particules et forces fondamentales de la nature, en les modélisant comme les vibrations de minuscules cordes supersymétriques. L’idée de départ est que les constituants fondamentaux de la réalité seraient des cordes d’une longueur de l’ordre de la longueur de Planck (approximativement 10-33 cm), qui vibreraient à des fréquences de résonance.
(4) Disciple de Mère et Sri Aurobindo, voir article paru dans revue Acropolis n°257 (novembre 2014)
(5) Aurobindo Ghose dit sri Aurobindo (1872-1950), un des leaders du mouvement pour l’indépendance de l’Inde, philosophe, poète et écrivain qui a développé le Yoga intégral. Voir articles parus dans les revues Acropolis n°250 (mars 2014), 253 (juin 2014), 256, octobre 2014, 257 (novembre 2014) et 258 (décembre 2014)
(6) En sanskrit, Chant du Bienheureux ou Chant du Seigneur. Partie centrale du poème épique Mahâbhârata, en 18 chapitres, racontant l’histoire de la guerre entre deux familles. Lire La Bhagavad-Gîtâ, traduction d’après Shri Aurobindo, 4e édition, éditions Adrien Maisonneuve, 1984
(7) Poème épique en langue sanskrite de la mythologie hindoue comportant 81 936 strophes, écrite en vers, réparties en dix-huit livres. Livre sacré de l’Inde qui relate la «Grande Geste» des Bhârata, contenant des hauts faits guerriers, qui se seraient déroulés environ 2.200 ans avant l’ère chrétienne
(8) Terme sanskrit désignant le cycle des causes et des conséquences liées à l’existence des êtres sensibles. Il est la somme de ce qu’un individu a fait, est en train de faire ou fera. Tout acte induit des effets sur le destin d’un individu
Œuvres de SATPREM
– Le Véda ou La Destinée Humaine, Institut de Recherches évolutives, 1992
– Sri Aurobindo et l’Aventure de la Conscience, Éditions Buchet Chastel, 396 pages, 3ème édition 2003
– Sri Aurobindo et l’avenir de la Terre, Éditions Robert Laffont, 112 pages, 1980
– Par le Corps de la Terre ou Le Sannyasin, éditions Robert Laffont, 448 pages, 2002
– Le Mental des Cellules, Éditions Robert Laffont, 195 pages, 2003
– La Révolte de la Terre, Éditions Robert Laffont, 112 pages, 1990
– Carnets d’une Apocalypse, 9 volumes, Institut de recherches évolutives, 1999 à 2011
– Lettres d’un Insoumis – Correspondance en 2 volumes, 1947-1973, coéditions Institut de Recherches Évolutives et Robert Laffont, 1994
– Évolution II, Coéditions Institut de Recherches évolutives et Robert Laffont, 152 pages, 1992
– Mère, trilogie, parue aux éditions Laffont
. Le matérialisme divin, 483 pages, 1978
. L’espèce nouvelle de 1950 à 1968, 568 pages,1978
. La mutation de la mort, 343 pages, 1979
– Savitri, Shri Aurobindo, traduit par SATPREM, 11 volumes, Institut de Recherches évolutives, 1996 à 2004