Le Panthéon, temple de la République
Chef-d’œuvre de l’architecte Soufflot, le Panthéon est plus qu’un simple monument de Paris. Il abrite les dépouilles de grandes personnalités, ayant marqué l’histoire de France. Son style architectural emprunté à l’art antique, sa décoration et les inscriptions et symboles qui y figurent font découvrir la construction lente et contrastée de la nation française.
Le Panthéon surplombe la Montagne Sainte-Geneviève, au cœur du cinquième arrondissement de Paris. Cette «montagne» tient son nom de l’héroïne légendaire qui sauva Paris des invasions barbares du Ve siècle après J.- C., et qui y fut inhumée vers l’an 500 de notre ère. Une abbaye fut construite en 508, sous le règne du roi Clovis. Elle renferma la dépouille de la sainte, avant de recevoir celle de Clovis lui-même. Tout d’abord dédiée à saint Pierre et à saint Paul, cette abbaye prit le nom de sainte Geneviève au XIIe siècle, après reconstruction, suite aux pillages par les Normands au IXe siècle.
L’histoire du Panthéon se rapproche de celle de l’église de la Madeleine. Tous deux furent commandés par le roi Louis XV. Conçue sans croix à l’origine, la Madeleine est devenue propriété de l’Église, alors que le Panthéon, sensé perpétuer le nom de sainte Geneviève, construit sur le modèle d’une croix grecque et pourvu d’un dôme d’apparence chrétienne, est devenu un temple laïque.
Un projet de grande envergure
Atteint d’une grave maladie à Metz, en 1744, le roi Louis XV fit le vœu, s’il guérissait, d’ériger une immense église en lieu et place de l’abbaye Sainte-Geneviève, alors en ruine. La guérison venue, il tint parole et assigna à l’architecte Soufflot (1) la tâche de dessiner les plans du monument. Grand admirateur de l’architecture gréco-romaine, celui-ci imagina un gigantesque édifice, bâti sur un plan de croix grecque de 110 mètres de long, 84 mètres de large et 83 mètres de haut. À l’époque, le projet parut tellement insensé que beaucoup, à la cour et dans les salons de la capitale, mirent en doute les capacités de Soufflot et prédirent l’effondrement du monument. Louis XV confirma sa confiance en l’architecte et posa la première pierre en 1764, au cours d’une grande cérémonie.
Le projet de Soufflot visait à l’origine, et selon ses propres termes, à «réunir la légèreté de l’architecture gothique avec la magnificence de l’architecture grecque». L’architecte s’inspira du Panthéon de Rome, dans la conception du dôme, des trente-deux colonnes et du fronton triangulaire, le premier du genre à Paris. Les travaux furent ralentis du fait de difficultés financières. Pour trouver les fonds nécessaires, le gouvernement eut recours à plusieurs loteries. Des mouvements de terrain, qui provoquèrent des crevasses et des lézardes dans les fondations durant les travaux, alimentèrent le flot de sarcasmes des ennemis de Soufflot. L’architecte décéda en 1780. Son plus brillant élève, Rondelet (2), acheva les travaux en 1789. En avril 1791, l’assemblée de la Constituante ordonna la fermeture de l’église et chargea Antoine Quatremère de Quincy (3) de modifier la structure de l’édifice, à peine achevé, pour en faire un temple destiné à recevoir «les cendres des grands hommes de l’époque de la liberté française». L’église devint ainsi le Panthéon, demeure des dieux dans la mythologie grecque et égyptienne.
D’une église à un bâtiment patriotique
Le monument actuel est assez éloigné du projet d’origine. Les tours ont été rasées, les frontons refaits, les fenêtres, qui à l’origine allégeaient la grande surface des murs, furent obstruées par la Constituante. La mode post-révolutionnaire donna au monument un aspect patriotique qui n’était pas dans l’esprit de son concepteur. David d’Angers (4) est l’auteur du bas-relief du fronton : la Patrie, entre la Liberté et l’Histoire, distribue des couronnes aux grands hommes. L’inscription en lettres d’or «Aux grands hommes la Patrie reconnaissante» date de 1837. Des sculptures de marbre figurant le baptême de Clovis, Attila et sainte Geneviève ont encadré la porte centrale jusqu’en 1970.
Le Panthéon avait été conçu primitivement en fonction du tombeau de sainte Geneviève ou châsse de la sainte, situé au centre du monument, sous la grande coupole. Cette dernière repose sur des colonnes et comporte deux calottes, dont la première fut décorée par le peintre Antoine-Jean Gros (5), sur commande de Napoléon en 1811. La châsse de sainte Geneviève a été transférée dans l’église Saint-Étienne-du-Mont, voisine du Panthéon. Le célèbre pendule de Foucault (6), une boule de laiton de 28 kg, a été suspendu sous la seconde calotte par un câble d’acier de 67 mètres, en 1851. Cet instrument prouve la rotation de la terre et sa sphéricité.
En supprimant les fenêtres, la Révolution renforça l’aspect austère de l’édifice et perturba sa ventilation. La montée du degré d’humidité fut, deux siècles plus tard, à l’origine d’importantes fissures provoquées par l’érosion des structures métalliques. Les nouveaux espaces, livrés aux artistes du XIXème siècle (parmi lesquels Puvis de Chavannes, Cabanel, Delaunay, Antoine-Auguste-Ernest Hébert, Antoine-Jean Gros…) donnèrent naissance à l’un des plus grands ensembles décoratifs de la capitale qui illustre des évènements de l’Histoire de France.
En 1806, le Panthéon, comme toutes les églises de France fermées sous la révolution, fut rendu au culte et retrouva son nom d’origine d’église Sainte Geneviève. Rebaptisé Panthéon en 1830, redevenu église sous Napoléon III, l’édifice retrouva sa vocation de temple laïque et patriotique. Il servit aussi de quartier général aux insurgés de la Commune en 1871, au cours de laquelle le député Millière (7), directeur du journal La Commune, fut fusillé sur les marches en criant «Vive l’humanité !».
Enfin, l’édifice fut définitivement transformé en monument républicain en 1885, lors des funérailles de Victor Hugo.
L’hommage de la Nation aux plus grands personnages
Les dépouilles de Mirabeau, Voltaire, Le Peletier de Saint-Fargeau, Rousseau et Marat furent les premières admises au Panthéon. Mais les revirements politiques entre 1791 et 1794, incitèrent les représentants de la Nation à expulser Mirabeau et Marat, à défaut de ne plus pouvoir les guillotiner. En effet, bien qu’ils fussent perçus comme des héros de la nation, ils furent accusés de traîtrise plusieurs mois (le corps de Marat sortit la même année que son entrée en 1794) ou plusieurs années (Mirabeau entra le premier en 1791, puis en sortit en 1794), leur nom connut la disgrâce et leurs «restes» furent transférés dans l’église Saint-Etienne-du-Mont, toute proche. Dans le cas de Le Peletier de Saint-Fargeau (8), c’est la famille qui réclama le corps en 1794, d’où une nouvelle sortie du Panthéon. C’est ainsi, qu’en février 1795, un décret adopté par la Convention n’autorisa les «panthéonisations» que dix ans après la mort de la personnalité concernée.
Aujourd’hui, lorsqu’on entre dans la crypte, le tombeau de Rousseau, dont une gravure évoque l’influence de sa pensée après sa mort, fait face à celui de Voltaire. Les deux phares de la pensée française du XVIIIème siècle, ennemis de leur vivant, sont ainsi réconciliés dans la mort. Dans les galeries suivantes, on voit notamment les tombes de Victor Hugo, Émile Zola, Jean Moulin, André Malraux, Louis Braille, Victor Schœlcher (à qui l’on doit l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises en 1848), René Cassin (auteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme), Jean Monnet (économiste, considéré comme l’un des «Pères de l’Europe») ou les époux Curie, grands physiciens. Toutefois, certains héros de la république sont cités, sans la présence de leur corps : c’est, entre autres, le cas des célèbres auteurs Antoine de Saint-Exupéry, Henri Bergson, et plus récemment Aimé Césaire.
L’inhumation, une tradition politique
Commençant avec la Révolution française dans un bâtiment neuf et encore non consacré comme église, la «panthéonisation» est une tradition reprise des Égyptiens et qu’ont suivie ensuite les Grecs puis les Romains, notamment dans le Panthéon de Rome pour le peintre Raphaël ou le roi Victor-Emmanuel II.
Le choix de donner à un personnage l’hommage ultime de «grand homme» de la nation française, ainsi que la mise en scène de la cérémonie, varient suivant les périodes de l’histoire de France. En 1791, au moment de la création du concept de Panthéon français, c’est l’Assemblée constituante qui décide de placer dans la crypte les corps de Mirabeau et Voltaire. La Convention en 1794 prit le relais pour le choix de l’inhumation de Jean-Jacques Rousseau, mais aussi pour retirer, la même année, Mirabeau et ensuite Marat.
Pendant le Premier Empire, c’est bien sûr l’empereur qui s’attribua ce privilège. Sous la Troisième République, ce furent les députés qui proposèrent et décidèrent. Certains transferts, comme celui d’Émile Zola en 1908, déclenchèrent de violentes polémiques.
À l’heure actuelle, ce choix revient au président de la République. Il s’agit plus d’un état de fait que d’un véritable droit, aucun texte officiel ne régissant ni les critères ni la forme de la cérémonie. On peut toutefois noter que plusieurs présidents de la Cinquième République (Charles de Gaulle, François Mitterrand, Jacques Chirac) ont voulu ponctuer leur époque par des «panthéonisations», symboliques de leur propre vision de l’histoire de la France.
La symbolique associée au Panthéon
Le Panthéon français ayant été inspiré du Panthéon romain, nous pouvons percevoir les influences de Mars et Vénus : sous la Rome d’Agrippa, gendre et conseiller d’Auguste, en 27 av. J.- C., un temple grandiose, appelé Panthéon, devait être dédié à tous les dieux de l’Olympe, et spécialement au dieu Mars et à la déesse Vénus.
À Paris, depuis le Moyen-Âge, les processions des châsses de Sainte Geneviève (depuis son abbaye sur la montagne qui porte son nom), et de Saint Marcel, évêque de Paris (depuis Notre-Dame) devaient toujours se rejoindre. Ainsi, nous pouvons associer Geneviève à Venus, n’usant jamais de violence face à ses ennemis (elle a rassuré les Parisiens qui craignaient une invasion par Attila et ses Huns), et nous pouvons rapprocher l’évêque Marcel du dieu Mars, puisqu’il a vaincu un dragon menaçant Paris d’un seul coup de sa crosse (il s’est opposé aux bandes armées et a assaini les marais des bords de la Bièvre). Aussi, nous retrouvons cette association de Guerre et Paix dans la symbolique du Panthéon, monument qui connut les tumultes du XIXème siècle, et des changements d’affectation entre l’église chrétienne et la République, pour atteindre la stabilité à la mort de Victor Hugo (qui réclamait une fraternité des peuples).
Le Panthéon est un temple de sagesse, puisqu’il rassemble les quatre vertus du Beau, du Bon, du Juste et du Vrai par les héros de la République qui représentent les quatre faces de la civilisation : l’Art (d’illustres écrivains et poètes y sont à l’honneur), la Religion (une croix chrétienne est au sommet du dôme), la Politique (de nombreux politiciens, révolutionnaires ou résistants y ont leur tombeau) et la Science (de célèbres savants y ont reçu l’honneur de la République, et le pendule de Foucault a pris la place de la châsse de Sainte Geneviève). Le sommet de cette pyramide symbolique est représenté par le dôme de l’édifice, où, sous la coupole est peint «l’Apothéose de Sainte Geneviève» : c’est l’axe de sagesse qui suit le mouvement de l’univers tel ce pendule de Foucault nous révélant la rotation de la Terre.
Pour conclure, citons Victor Hugo : «le Panthéon, plein de grands hommes et de héros utiles, a au-dessus de la ville, le rayonnement d’un tombeau-étoile».
Par Vincent-Jean POINTEAU
(1) Jean-Jacques-Germain Soufflot (1713-1780)
(2) Jean-Baptiste Rondelet (1743-1829)
(3) Antoine Chrysostome Quatremère, dit Quatremère de Quincy (1755-1849), archéologue, philosophe, critique d’art et homme politique français
(4) Pierre Jean David dit David d’Angers (1788-1856), sculpteur français
(5) Peintre français néoclassique et préromantique (1771-1835)
(6) Nom du physicien et astronome français Jean-Bernard-Léon Foucault (1818-1868). Expérience conçue pour mettre en évidence la rotation de la Terre
(7) Jean-Baptiste Millière (1817-1871), journaliste et député français
(8) Louis-Michel Le Peletier, marquis de Saint-Fargeau (1760-1793), homme politique et juriste français
À lire
– Anne MURATORI-PHILIP, Le Panthéon, éditions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux 2010
– Alexia LEBEURRE, Le Panthéon, Temple de la nation, édition Monum, 2000
– Bernard ROGER, Paris et l’alchimie, éditions Alta, 1980
– Victor HUGO, préfacé par Marc WILTZ, Éloge de Paris, éditions Magellan et Cie, 2010