À l’école du maître intérieur : les « périodes sensibles »
Dans un précédent article (1), nous avons vu que le jeune enfant est guidé dans son développement par un maître intérieur. Nous allons maintenant observer comment ce maître intérieur se manifeste dans la relation de l’enfant avec son environnement extérieur et cela au travers des « périodes sensibles » (2).
Dans la pénombre et le silence, deux mains d’homme, sécurisantes et douces, posées sur le ventre arrondi d’une femme allongée. Elles accueillent l’enfant qui naît et le déposent sur le ventre de sa mère, tout en le contenant, le massant et le caressant, geste devenu courant dans les maternités, selon la méthode initiée par le Dr. Frédérick Leboyer (3).
Le nouveau-né est accompagné à son rythme dans son éveil au monde extra-utérin jusqu’à en sourire, alors même que l’on ne prête aux bébés la compétence de sourire intentionnellement qu’à partir de deux mois.
Nous rendons hommage à Frédérick Leboyer, qui s’est éteint à l’âge de 98 ans, le 25 mai dernier, en introduisant avec lui notre propos sur les « périodes sensibles » qui animent la vie des jeunes enfants de 0 à 6 ans.
De l’écoute du nouveau-né à l’écoute du jeune enfant, il s’agit de permettre aux enfants de naître et grandir « sans violence ».
Les périodes sensibles, étapes du développement
Les périodes sensibles rythment de manière essentielle la vie du jeune enfant. Elles l’animent en effet de « passion(s) psychique(s) » qui nous donnent à voir le travail intime de l’âme alors qu’elle s’outille pour son incarnation. L’enfant est vivement attiré par un type d’activité qu’il répète avec joie, comme se mettre debout ou remettre des objets dans l’ordre. Dès que le caractère visé à travers l’activité est développé et acquis, l’enfant s’en désintéresse alors et la passion s’éteint pour laisser place à une autre : « et l’enfance s’écoule ainsi, de conquête en conquête, dans une vibration incessante, […] que l’on traite de joie enfantine. » (4)
Les périodes sensibles les plus faciles à observer sont celles du langage, du mouvement, du développement sensoriel, de la fascination pour les petits détails, de l’ordre et de la socialisation. Elles sont plus ou moins longues et peuvent se chevaucher. La période sensible de l’ordre est « l’une des plus importantes et des plus mystérieuses » (5). Elle pousse l’enfant à remettre les choses en ordre et se manifeste entre 1 et 2 ans. Ultimement, c’est grâce à elle que l’homme peut « s’orienter, se diriger, pour chercher sa voie dans la vie. » (6)
Comment accompagner le jeune enfant dans ses périodes sensibles ?
Il est important d’aider l’enfant qui traverse une période sensible en lui donnant accès à l’activité dont il manifeste le besoin. Il est bénéfique par exemple, lorsque l’enfant se passionne pour monter et descendre des marches, qu’il puisse s’y livrer, sous l’œil protecteur d’un adulte qui n’intervient que pour aider lors d’un passage trop délicat, plutôt que de l’en empêcher pour sa sécurité. Il en va de même avec tout ce qui touche à l’autonomie. Dès qu’il sait marcher, l’enfant peut être encouragé à devenir autonome dans les actes du quotidien comme s’habiller.
Si l’enfant manifeste ce qui s’apparente à un caprice, ce peut être parce qu’il traverse une période sensible à laquelle l’adulte fait obstacle, sans souvent s’en rendre compte, en aidant trop l’enfant ou en lui interdisant d’explorer le monde environnant. Le « caprice » est en fait un cri de l’âme de l’enfant qui, si elle n’est pas entendue, peut s’étioler ou dévier de son développement harmonieux comme chez certains enfants qui n’ont plus le goût de faire les choses par eux-mêmes.
L’enfant se spécialise au travers des périodes sensibles : son cerveau va passer de 1 million de milliards de synapses à 300 000 milliards à l’âge adulte. L’enfant devient progressivement expert des chemins neuronaux les plus empruntés : que les expériences soient positives ou négatives, ce sont les plus souvent vécues qui s’inscrivent en lui, « pour le meilleur ou pour le pire ». Notre responsabilité d’être vecteurs d’authenticité, de joie et d’amour est donc grande ! (7)
Les périodes sensibles, et après ?
En grandissant, quitter ce formidable élan intérieur de l’enfant jusqu’à ses 6 ans environ pour suivre les programmes et nécessités imposés par l’école puis par le monde du travail semble bien triste et souvent stérile. Des écoles alternatives ou des familles (8) reprennent le flambeau en accompagnant l’enfant pour s’auto-éduquer, suivre ses centres d’intérêt, apprendre ce pour quoi il se passionne, quitte à ce que l’enfant passe des mois à grimper aux arbres ou jouer aux jeux vidéo.
De tels modèles éducatifs sont proposés par exemple dans les établissements autogérés comme l’école de Summerhill en Angleterre (9), la Sudbury Valley School aux États-Unis (10), l’école dynamique en France (11), l’école du troisième type de Bernard Collot (12), etc.
Ces écoles proposent un environnement riche et c’est l’enfant, placé en posture de responsabilité envers son propre cheminement et devenir, qui dispose à son rythme des possibilités offertes. Ces modèles ont pour eux l’immense intérêt de veiller à ce que l’éducation naisse de l’intériorité de l’enfant et soit pilotée par lui. Elles posent un cadre et une intention pédagogiques bien définis pour ce faire. C’est aussi ce que recherchent les écoles Montessori (13). Il existe également en France une association qui accompagne les enseignants du secteur public pour favoriser l’autonomie, la créativité et le sens de l’initiative chez les enfants (14).
Pour résoudre les problèmes d’ampleur sur la planète générés par l’homme d’hier et d’aujourd’hui, pour se remettre à l’heure du mouvement de l’Évolution, il faut à l’homme se transformer intérieurement et changer de plan de conscience. Chacun est porteur d’un programme unique qu’il est facile d’oublier en suivant les modèles dépassés de la société dans laquelle on vit. L’éducation individualisée peut concourir à mettre chaque homme en relation à son programme unique.