Le théorème de la dignité par la pratique de la philosophie
Les hommes peuvent accepter de perdre beaucoup de choses, sauf une : leur dignité.
L’affaire Harvey Weinstein (1) semble avoir réveillé le besoin de revaloriser la dignité des femmes dans nos sociétés et de ne plus accepter l’inacceptable. Il ne se passe pas une seconde sans que la dignité humaine ne soit bafouée dans notre monde, comme le démontre le drame des Rohingyas (2) ou les crimes perpétrés par l’État islamique qui, malgré ses défaites, continue à influencer de manière durable beaucoup de consciences.
L’une des clés pour parvenir à soi-même, pour comprendre sa propre identité, pour développer une vie en pleine conscience, consiste en la pratique de la dignité. Il ne s’agit pas d’une recherche de reconnaissance de nos mérites, mais de l’engagement d’agir dans la vie dans le respect de ce que nous sommes essentiellement.
La pratique philosophique quotidienne nous oblige à faire face en nous-mêmes, à la dépendance, à la mécanicité, au confort, à la soumission, à la lâcheté et à l’ignorance. Ce sont les obstacles les plus fréquents qui s’opposent à notre évolution quotidienne ou à notre quête d’authenticité.
Mais attention à la fausse dignité.
On confond la dignité avec le fait de représenter quelque chose aux yeux des autres. Les hommes ont leur prétention et leur vanité, le besoin d’affirmer qu’ils sont quelqu’un et non une quantité négligeable.
Cette manière d’aborder la dignité la fait dépendre excessivement de la reconnaissance sociale et des circonstances, sans prendre en compte l’intériorité de l’individu. Et ainsi, au nom de la sacro-sainte dignité des uns et des autres, les pires crimes ont été commis, du fait de l’orgueil blessé, des jalousies, de l’égoïsme et de l’avidité.
Kant a théorisé de manière très précise le principe de la dignité humaine. « Agis de manière à traiter l’humanité, tant dans ta personne que dans la personne de l’autre, toujours comme une fin et jamais seulement comme un moyen. » (3)
Substantiellement, la dignité d’un être rationnel, nous dit Kant, repose sur le fait qu’il « n’obéit à aucune loi qui ne soit instaurée aussi par lui-même et en lui-même » à laquelle il adhère. Mais cette autonomie implique que l’homme soit conscient du fait que cette loi n’est pas contraire à la loi universelle, sans quoi il est facile de tomber dans la séparativité, l’individualisme, la recherche de lois et de principes au service des intérêts particuliers.
Jean-Jacques Rousseau, justement, concevait la liberté non comme le fait de n’être soumis à rien, mais comme celui de se donner à soi-même des lois d’action qui nous engagent dans notre vie. Pour pratiquer la liberté, un engagement intérieur est nécessaire, ne consistant pas à satisfaire nos propres caprices ou désirs immédiats, mais à faire ce qui est juste et bon.
Comme nous l’avons vu, le concept de la dignité est en rapport avec une série de principes ou d’idées philosophiques : la sagesse qui permet de vaincre l’ignorance ; la liberté de l’esprit qui nous arrache à la soumission ; la force morale qui nous libère de la mécanicité, de l’inertie ; l’autonomie qui nous rend moins dépendant des situations et des circonstances. Ces principes se trouvent intimement reliés, se stimulant mutuellement et nous apportant un véritable programme philosophique pour l’élévation de l’homme et de la société.
Ce qui nous conduit au théorème de la dignité humaine :
La pratique de la philosophie au quotidien nous apprend à faire le bien. Pour cela, nous devons développer certaines qualités intérieures qui nous amènent à nous vaincre nous-mêmes et c’est en cela que nous faisons naître notre dignité.
Avec cette dignité, nous pouvons exercer notre liberté d’esprit, en évitant toute forme de soumission. Cette pratique éveille en nous une force morale qui nous aide à affronter les circonstances et difficultés quotidiennes, nous faisant sortir du confort, de l’inertie ou de la mécanicité.
Les conséquences en sont l’autonomie, la non-dépendance aux circonstances et aux situations qui permettent de garder le cœur joyeux, et confiance en la vie.
La recherche et la pratique de la dignité transforment l’homme en idéaliste. L’idéaliste est celui qui a la nécessité d’agir pour que le monde et lui-même se transforment et s’améliorent. Nous savons tous que les idéaux nous changent. Ils favorisent la transformation intérieure de l’individu et aussi celle de la société.
Michel Lacroix nous rappelle que « l’âme se teinte de la couleur des pensées qui l’occupent […] ; si ses pensées se tournent vers un idéal, l’âme s’élève […], si au contraire l’âme est privée d’idéal, elle s’appauvrit ». (4)