Philosophie

« Harry Potter » et la magie du lien

Le destin peu banal d’Harry Potter et de ses compères nous transporte dans un monde de tous les possibles où la dimension héroïque au quotidien (développée dans l’article paru dans la revue Acropolis de novembre 2017), semble indissociable d’une vision magique de l’existence. Quel est donc le secret des héros, ce souffle qui les porte vers leur propre dépassement ?

Harry incarne un garçon (presque) normal et une forme de « banalité du bien : la possibilité d’une action moralement juste, voire héroïque, dans des périodes sombres, possibilité qui est même offerte à des garçons malingres porteurs de lunettes en nickel »
Harry incarne un garçon (presque) normal et une forme de « banalité du
bien : la possibilité d’une action moralement juste, voire héroïque, dans des périodes
sombres, possibilité qui est même offerte à des garçons malingres porteurs de lunettes
en nickel »

Harry tire sa force du sacrifice de sa mère, Lily Potter, morte en le protégeant de l’attaque du Seigneur des Ténèbres au début de la saga. Les valeurs d’amour, de fidélité et de renoncement sont omniprésentes dans l’œuvre, même chez les elfes de maison, attachés indéfectiblement à leurs maîtres.  Cette dette morale éveille très tôt chez Harry la conscience de sa responsabilité qui va consister à trouver et à exercer son libre arbitre : nulle fatalité en définitive même dans la répartition des nouveaux élèves dans les différentes maisons de l’école de sorcellerie de Poudlard : « le choixpeau prend ton choix en compte (1) et comme l’exprime le sage  Dumbledore « Ce sont nos choix qui montrent ce que nous sommes vraiment, beaucoup plus que nos aptitudes. » (2) Le choix a donc valeur d’engagement à exprimer notre propre nature d’être.

Harry tire sa force du sacrifice de sa mère, Lily Potter, morte en le protégeant de l'attaque du Seigneur des Ténèbres.
Harry tire sa force du sacrifice de sa mère, Lily Potter, morte en le protégeant de l’attaque du Seigneur des Ténèbres.

Harry et ses camarades vont ensuite disposer d’outils magiques comme la cape d’invisibilité mais, contrairement à Gigès, (qui dans le célèbre mythe de Platon (3), profite de son invulnérabilité pour s’arroger le pouvoir par le crime), il n’en usera qu’à bon escient et jamais pour en tirer un bénéfice personnel. L’idée de sa mission et son attachement indéfectible à son maître, défenseur des forces du Bien, orientent ses choix.

Le pouvoir des trois

L’amitié joue également un rôle fondamental dans l’histoire. C’est un trio inséparable qui va affronter les pires épreuves en restant uni au-delà même du dénouement final. Même s’il est parfois en proie au doute, Harry ne recule jamais devant le danger et exerce sa volonté sans faillir. Mais il a besoin de l’intelligence d’Hermione, archétype de la brillante élève et infatigable chercheuse. Comme elle le dit elle-même: « J’ai tout appris dans les livres. Mais il y a des choses beaucoup plus importantes comme le courage, l’amitié ».

Mais c’est tout de même sa rationalité qui lui ouvre les portes à d’autres voies de connaissance : « L’exercice de l’argumentation lui donne paradoxalement la maîtrise d’une science irrationnelle, la magie » (4). Pour nos philosophes modernes, elle est décrite comme « l’être spinoziste qui réduit ce qui semblait être un hasard (ou un miracle) à un effet de l’ignorance » (4). Elle est garante de la moralité : « c’est une kantienne qui agit toujours de manière à ce que la maxime de son action puisse devenir une loi universelle » (4). Le troisième pilier du trio est Ron, sensible, impulsif et gaffeur mais dont le soutien et la générosité ne font jamais défaut à ses amis. Brave et déterminé, il affronte seul le combat de l’échiquier magique.

Un trio inséparable affronte les pires épreuves en restant uni au-delà même du dénouement final.
Un trio inséparable affronte les pires épreuves en restant uni au-delà même du dénouement final.

Le tryptique Harry, Hermione et Ron illustre la devise « un pour tous, tous pour un », à la façon de Montaigne ou d’Aristote, lequel pensait que « sans amis, personne ne choisirait de vivre ».

Leur ami et protecteur, le géant Hagrid incarne les forces naturelles, l’innocence et la pureté de cœur. Il veille inlassablement sur les jeunes. Gardien des clés, il vit entouré de ses créatures magiques. Parmi elles, le Phénix n’est découvert qu’au prix d’un combat mortel contre le serpent Nagini mais l’héroïsme sera récompensé. En effet, la compassion a un pouvoir de guérison : les larmes du Phénix vont soigner les blessures mortelles d’Harry. C’est la différence essentielle de vision entre le héros et l’agent des forces du mal : «Là où Voldemort veut détruire la mort, le Phénix l’inclut comme moment naturel de l’existence » (5). Voldemort est prêt à tout pour survivre matériellement tandis qu’Harry est prêt à donner sa vie pour sauver ses pairs, en l’occurrence Ginny, la sœur de Ron qu’il épousera plus tard.

Le cheminement entre les mondes ou la magie du lien

Lorsque le magico-bus plane dans le ciel londonien ou se rétracte pour se faufiler à travers la circulation, il demeure invisible aux yeux des moldus (les non-sorciers) ; tout comme le quai 9 ¾, qui n’est un obstacle que pour ceux qui ne voient que les apparences et n’osent pas foncer dans le mur de briques. « Une réalité séparée […] contigüe à notre espace-temps normal, mais néanmoins coordonnée à notre monde familier » (6). L’œuvre fait cohabiter des plans de réalité distincts mais imbriqués dont la clé d’accès se trouve dans la conscience de chacun. En fin de compte, chacun ne choisit-il pas de ne voir que ce qu’il veut voir ?

Le concept du "patronus" suggère la possibilité de développer en soi des formes mentales positives à travers la mentalisation .
Le concept du « patronus » suggère la possibilité de développer en soi des formes mentales positives à travers la mentalisation .

De même, les lois de la matière semblent inopérantes dans ce monde magique où la téléportation est un moyen de transport courant mais non sans risque ; où les objets sont des entités vivantes qui traduisent symboliquement une réalité psychologique : ainsi le cousin Dudley qui n’a de cesse de s’empiffrer se voit affublé d’une queue de cochon, tout comme les compagnons d’Ulysse dans l’Odyssée d’Homère ;

Le choixpeau prend ton choix en compte.
Le choixpeau prend ton choix en compte.

le miroir du Rised reflète nos désirs, comme le suggère l’inversion du mot ; la pensine, sorte de boule de cristal, rend visibles les pensées-souvenirs ; la baguette magique est une extension de la volonté ; la beuglante, une lettre animée dont le contenu est hurlé au destinataire etc. En fait, « L’objet magique n’est jamais simplement matière mais matière à réflexion, action, éducation… » (7).

la pensine, sorte de boule de cristal, rend visibles les pensées-souvenirs
la pensine, sorte de boule de cristal, rend visibles les pensées-souvenirs

Le concept du patronus suggère la possibilité de développer en soi des formes mentales positives à travers la mentalisation : « découvrir au cœur de sa personnalité les ressources de vie qu’on pourra mobiliser face au nihilisme ou désespoir » (8). Ce désespoir si bien symbolisé par les détraqueurs, entités malfaisantes qui aspirent l’âme, sapent la confiance et détruisent la cohérence interne.

La magie, une conversion philosophique du regard ?

Interrogé sur le caractère d’invisibilité du magico-bus pour la plupart des gens, son conducteur a donné une magistrale leçon de philosophie : « Eux ? (les Moldus) Ils ne savent pas écouter, ni regarder.. Ne font attention à rien. Jamais. Dans un monde brouillé et désenchanté, l’attention est la seule véritable technique de salut qu’il nous reste. La plus précieuse et la plus magique. » (9)

Et si la magie commençait déjà par une conversion du regard ? Car, comme nous le rappelle J.K. Rowling, l’auteur de la saga, « Nous n’avons pas besoin de magie pour changer le monde. Nous avons déjà ce pouvoir à l’intérieur de chacun de nous puisque nous avons la capacité d’imaginer le meilleur ».  C’est la force du lien qui réveille la puissance endormie en chacun  pour pouvoir agir. En fin de compte, de la magie du lien, naît la nécessité de l’engagement.

(1) Florian Werner, Bruit de bottes dans la grande salle de Poudlard, in Philosophie magazine hors- série N° 31 page 52
(2) Marianne Chaillan : Harry Potter et Sartre, opus cité page 54
(3) Tiré de La République de Platon (Livre II)
(4) Raphaël Enthoven : Poudlard, c’est pas sorcier opus cité, page 29 (5) (6) Mathilde Lemoine, Une héroïne de son temps, opus cité, page 59
(7) Marianne Chaillan, Harry Potter et Nietzsche, opus cité page 41
(8) Martin Legros : Métaphysique du quai 9 3/4, opus cité pages 73 et 75 (8) Clémentine Beauvais : Le bricadabra, opus cité, page 35
(9) Jean-Claude Milner, Une fable politique, opus cité, page 20
Par Sylvianne CARRIÉ

Exposition Harry Potter à Madrid

Du 18 novembre 2017 au 2 Avril 2018
À Madrid, sur plus de 1400 m2, les fans d’Harry Potter pourront découvrir scénarios, objets, costumes, accessoires et créatures fantastiques utilisés dans les films. Reconstitution de la salle commune et de la chambre Gryffondor,  salles de classe des potions et de l’herbologie, forêt interdite, champ de Quidditch, exposition du Nimbus 2000 et du choix peau, réplique exacte de la Ford bleu anglia d’Arthur Weasley…
Lieu de l’exposition
l’IFEMA Feria – Hall 1
5 avenue Partenón 28042 Madrid – Espagne
Tél : 902 22 15 15 et Tel :  (34) 91 722 30 00
Station de métro Campo de Las Naciones
Entrée au Sud du parc des expositions.
www.harrrypotterexhibition.es

 

 

 

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