Qu’est-ce qu’une vie humaine ?
Le mois dernier, nous avons été émus par l’accélération de la montée des inégalités dans le monde.
Le Forum Urbain Mondial de Kuala Lumpur (1) organisé par le programme des Nations Unies pour les établissements humains, ONU/habitat qui s’est déroulé du 7 au 13 février 2018 (2), nous révèle que sur la planète, près d’un milliard de citadins vivent dans des bidonvilles, soit un habitant sur sept et demi dans le monde. Et ce phénomène ne va pas s’arrêter (3).« De nombreuses villes secondaires vont doubler ou tripler de taille en vingt ans, personne ne sait gérer ça, surtout en manquant de ressources, d’infrastructures, de capacité de planification », estime le Sud-Africain William Cobbeett, directeur de Cities Alliance (4).
La plupart des gouvernements refusent encore l’explosion des quartiers informels autour de leur villes. En fait, les préconisations des chercheurs sont d’accompagner ces populations plutôt que de combattre la croissance urbaine.
De l’étude sur les bidonvilles, l’expérience positive à retirer est qu’ils possèdent de nombreuses qualités de la ville durable : ils sont denses, mixtes, piétonniers, participatifs, économes en ressources, champions du recyclage. D’ailleurs, les expériences menées dans les villes pilotes ont démontré que le coût des logements, confié au secteur privé est de 160 € le m2 alors qu’il est de 65 € le m2 lorsque les logements sont réalisés par les communautés elles-mêmes. Faisons donc confiance à l’humain et à sa capacité de rebondir et de construire un nouvel avenir.
Nous devons changer de paradigme et nous représenter un nouvel humanisme si nous ne voulons pas qu’il semble coupé des réalités du monde contemporain.
En philosophie, l’humanisme désigne toute pensée soulignant le rôle central de l’homme dans l’univers, en mettant en relief sa capacité d’émancipation et d’autodétermination par un processus d’éducation. C’est une pensée optimiste où l’humanité est considérée comme un produit de l’éducation qui permet à l’homme de s’élever au niveau suprême de l’être, s’arrachant à l’animalité à laquelle il appartient par son corps et ses pulsions.
L’humanisme, comme idée de l’homme est centré sur l’idée de la dignité, telle que l’avait déjà exposée en 1486, Jean Pic de la Mirandole (5) dans son Discours sur la Dignité de l’Homme (6).
« L’humanisme représente aujourd’hui une véritable proposition philosophique, dont le trait principal est une position anthropologique, non anthropocentrique, considérant l’humanité comme un le résultat d’un processus de libération et d’une éducation dont le succès n’est pas garanti à priori » (7).
Comme l’a très bien fait remarquer Béatrice Bouniol (8), l’humanisme contemporain est soumis à quatre défis : la crise migratoire, la crise écologique, le néo-libéralisme et les nouvelles technologies.
L’historien Olivier Christin rappelle que déjà au XVIe siècle, les humanistes réfléchissaient à la question migratoire car, à l’époque, il existait déjà de grandes migrations comme celle des Juifs espagnols ou des Huguenots français, tandis que les grandes découvertes de nouveaux continents interrogeaient sur la diversité culturelle. Il a fallu du temps pour comprendre que toutes les populations de l’Amérique et d’ailleurs appartenaient à la même humanité.
Dans le cadre des migrations actuelles, nous vivons une époque d’accommodement à la violence qui pousserait certains, par peur ou par repli, à dissocier les droits fondamentaux de l’humanité de ceux des citoyens de leur propre pays. La bonne conscience ne peut se fonder sur des discours nihilistes ou sur des gestes de simple compassion.
Avec la crise écologique, l’idée de l’homme, mesure de toute chose et coupé de son environnement a fait long feu. Nous sommes obligés de reconnaître l’interdépendance de notre espèce avec la Nature et d’accepter peut-être enfin l’une des maximes du temple d’Apollon à Delphes : « Rien de trop ».
Nous devons apprendre à limiter notre consommation mais aussi les expressions de nos égos personnels et développer un sens sain de la mesure.
Le néo-libéralisme nous met face à la tentation d’oublier la valeur des êtres et du sens du travail. Il est urgent de développer une conscience d’émancipation qui nous permettent de quitter le règne de la performance et le règne de la marchandisation comme le souligne Corinne Pelluchon (9).
Les nouvelles technologies font surgir l’épouvantail du transhumanisme, de l’homme augmenté, nous obligeant à réfléchir aux biens et aux techniques que nous devons refuser pour préserver un avenir à l’être humain.
Il est indispensable de redéfinir ce qu’est l’homme en intégrant ses qualités d’imagination, de solidarité et de coopération.
Toute l’histoire de l’humanisme est une histoire d’émancipation et d’autonomie morale.
De là, l’urgence du retour à une éducation qui puisse faire émerger le potentiel que porte chaque être humain et qui lui permette de l’exprimer autant du point de vue affectif que mental. Sans véritable sentiment et discernement intelligent, qu’est-ce qu’une vie humaine ?
(1) Capitale de la Malaisie
(2) Lire l’article Les habitants des bidonvilles se mobilisent de Grégoire ALLIX, paru dans le journal Le Monde du 13 Février 2018
http://www.coordination-urgence-migrants.org/medias/files/le-monde20180213-les-habitants-des-bidonvilles-se-mobilisent.pdf
(3) La population totale des villes s’accroît de 200 000 habitants chaque jour, essentiellement dans les deux régions les plus pauvres du monde, l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud, et en majorité de manière improvisée.
(4) Partenariat mondial formé conjointement par la Banque mondiale et le Centre des Nations Unies pour les établissement humains (ONU Habitat) pour distribuer des subventions, partager des informations entre les gouvernements locaux et formuler des recommandations politiques pour lutter contre la pauvreté urbaine dans les pays développés
(5) Philosophe et théologien humaniste italien (1463-1494). Il étudia et synthétisa les principales doctrines philosophiques et religieuses connues à son époque, notamment le platonisme, l’aristotélisme, la scolastique. Il est le fondateur de la kabbale chrétienne.
(6) Édité dans Œuvres philosophiques, traduit par Olivier Boulnois, Giuseppe Tognon, Éditions PUF, collection Épiméthée, 1993
(7) Article de Fosca Mariani Zini in Humanisme, paru dans le Grand dictionnaire de la philosophie, CNRS Éditions, 2012
(8) Auteur de l’article Les quatre défis de l’humanisme contemporain, paru dans le journal La Croix du 26 janvier 2018
https://www.la-croix.com/Journal/quatre-defis-lhumanisme-contemporain-2018-01-26-1100908870?utm_term=889943&from_univers=
(9) Née en 1967, philosophe française, professeure de philosophie à l’Université Paris-Est-Marne-la-Vallée
Par Fernand SCHWARZ
Président de la Fédération Des Nouvelle Acropole