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Le comique, un sujet très sérieux

Le comique n’est pas nécessairement insignifiant. Rire et faire rire les autres est très lié à la l’importance que nous donnons aux évènements de notre propre vie comme à ceux que nous montrons aux autres. Tout semble indiquer que le rire et l’humour sont des aspects non négligeables qui méritent d’être cultivés.

 Le philosophe français Henri Bergson, philosophe français, est l’auteur d’un intéressant essai intéressant sur le rire (1). Pour lui, tout personnage comique est un type ou un prototype particulier.

Le rôle du personnage dans la comédie

Pour Henri Bergson, tout personnage comique est un type ou un prototype particulier.
Pour Henri Bergson, tout personnage comique est un type ou un prototype particulier.
Groucho Marx considérait que le comique était un sujet très sérieux.
Groucho Marx considérait que le comique était un sujet très sérieux.

L’un des frères Marx (2), Groucho, par exemple, concrétise très bien cette idée. Il était conscient de la difficulté d’être drôle, et considérait qu’être comique était un sujet très sérieux ; il lui est arrivé de dire qu’il était plus facile de faire pleurer que de faire rire. Il pensait qu’il était difficile de réaliser des comédies et que peu de comédiens en étaient capables, et que peu de films comiques étaient réalisés. Il savait que toute comédie se nourrit de personnages authentiques et qu’il n’était pas suffisant de raconter des blagues. De fait, l’élément le plus important d’une comédie est le personnage, et des personnages naissent les meilleures comédies.

Groucho affirma être lui-même un personnage aux sourcils fournis, aux yeux globuleux, aux lunettes, à la moustache peinte extravagante et avec un cigare pendant à ses lèvres. Il popularisa l’image d’un culotté sympathique, qui chantait, faisait des jeux de mots et disait des choses incompréhensibles pendant qu’il allait d’un côté à l’autre, le dos courbé. Jamais ne cessa de le surprendre le fait que, sans une logique apparente, le public répondait avec des éclats de rire sonores à ses commentaires peu communs.

Harpo Marx enchanta tout le monde avec sa mimique et ses solos de harpe.
Harpo Marx enchanta tout le monde avec sa mimique et ses solos de harpe.

Un autre de ses frères, Harpo, avec sa perruque de cheveux rouges et frisés, son chapeau haut de forme et sa gabardine aux énormes poches d’où sortaient toutes sortes d’objets, ne parla jamais dans aucun film, mais il enchanta tout le monde avec sa mimique et ses solos de harpe. C’est parce que le côté comique était, en réalité, le personnage qu’il représentait.
Ses frères aussi étaient des personnages.

Harpo démontra également la théorie de Bergson, selon laquelle le comique était en relation avec le côté mécanique ou automatique du comportement humain. La parodie préférée de Harpo dans ses débuts, par exemple, était l’imitation d’un fabricant de cigares. Cet homme travaillait dans la vitrine d’un bureau de tabac, et là, il enroulait les feuilles de tabac en faisant de manière mécanique et inconsciente des grimaces exagérées. Ses joues se gonflaient, il se mordait la langue, ses yeux sautaient…

Le rire dans l’histoire

Dans son roman connu, Le nom de la rose, Umberto Eco fait ressortir la restriction du sourire qui se fit dans la chrétienté à certains moments de l’histoire, quand le moine Georges dit que le Christ ne riait jamais, et que le rire était le propre des personnes superficielles et vides et qu’il conduisait à la perversité morale. Clément d’Alexandrie (3) admettait seulement un rire modéré, et saint Jean Chrysostome (4) réprouvait l’hilarité. Les règles monastiques médiévales interdisent pratiquement le rire, car il allait à l’encontre des règles du silence et de l’humilité qui devaient régner dans le monastère. Cette attitude se comprend jusqu’à un certain point, si nous pensons que l’image centrale du christianisme est celle de Jésus crucifié, une image qui ne suscite aucune sorte de rire.

Quelque chose de très différent se produit dans d’autres religions, comme le bouddhisme, où nous voyons l’image sereine du Bouddha, qui semble laisser transparaître un doux sourire. Il est connu, par exemple, que les moines bouddhistes sont des personnes très souriantes, comme le Dalaï-Lama lui-même. Mais nous avons aussi des exemples à l’intérieur de l’Église chrétienne. Le pape Jean XXIII demandait dans ses prières d’avoir une bonne humeur. Saint François de Sales (5), Thomas More (6) ou Thérèse d’Avila (7) furent des personnalités avec un grand sens de l’humour.

La Bible elle-même relate comment Abraham et Sara se mirent à rire quand Dieu leur annonça qu’ils allaient avoir un enfant. Sara dit : « Dieu m’a fait rire et tous ceux qui l’apprendront riront aussi ». Et ils eurent un fils qui s’appela Isaac, qui signifie « rire » en hébreu (que certains traduisent comme « rire de Dieu »).

Le rire, une manifestation sociale

Les anthropologues ont montré qu’il n’existe aucune culture dans laquelle le sens de l’humour ait été absent, mais, dépendant de la société et de la période historique, les attitudes envers le rire et les formes dans lesquelles il se manifeste, sont changeantes. Le rire est une pratique sociale, avec ses propres codes, ses rituels et sa théâtralité. Par conséquent, nous pouvons dire que le rire a sa propre histoire. L’humeur peut être considérée comme une manifestation individuelle, mais l’humour se reflète dans le plan social comme une expression externe, grâce à la parole écrite ou parlée, le dessin, la caricature, etc.

En général, le simple fait de partager les éclats de rire peut être plus important que le contenu spécifique de la plaisanterie.
En général, le simple fait de partager les éclats de rire peut être plus important que le contenu spécifique de la plaisanterie.

Il y a différents types d’humour selon les coutumes de chaque zone géographique. Pour cela on parle de la sournoiserie galicienne, de la tendance à exagérer des Andalous ou de l’humour anglais. Le caractère social du rire et de l’humour se reflète très bien dans la plaisanterie, qui est une petite manifestation artistique à caractère verbal qui prétend susciter le rire. Elle fait partie de la culture de l’humour dans une société déterminée, et jusqu’à un certain point indique ce qui semble divertir cette société. L’objet des plaisanteries et des blagues a l’habitude d’être en rapport avec les sujets que chaque société considère comme les plus importants, et avec leurs contradictions. Les spécialistes disent que la plaisanterie renforce l’harmonie et la cohésion du groupe dans lequel elle se partage, pour tout ce qu’elle sous-entend. En général, le simple fait de partager les éclats de rire peut être plus important que le contenu spécifique de la plaisanterie. Avec l’humour, on crée le cadre propice à traiter toute sorte d’idées ; déjà l’écrivain Baldassare Castiglione (8) dans son œuvre Le courtisan, mettait en évidence que l’art de raconter des plaisanteries était aussi un élément intégrant de l’art de converser. L’une des fonctions sociales du rire est qu’il tend à consolider les conventionnalismes sociaux, allant à l’encontre de tout ce qui en sort, et peut agir comme correctif pour modifier les irrégularités de ceux qui ne les respectent pas. L’extravagant, le saugrenu, l’est dans la mesure où il sort du conventionnel. Si dans un groupe de punks l’un d’eux se présente un jour avec un veston et une cravate, il provoquera sûrement des rires.

Bergson attribuait une fonction socialement thérapeutique à la comédie. Il croyait qu’en dernier ressort, ce qui nous fait faisait rire étaient les situations où quelqu’un est devenu inflexible au point de perdre son élasticité sociale, quand une rigidité machinale se substitue à la réponse vitale face à la vie.
Institutionnalisé dans le travail des auteurs comiques, le rire a la fonction sociale de diriger notre attention sur la conduite rigide qu’il peut y avoir en nous et chez les autres, et de corriger cette conduite avant qu’elle ne devienne préjudiciable.

Au-dessus de l’humour sujet aux conventionnalismes sociaux, qui sont changeants et sujets aux modes, nous devrions découvrir quel est réellement le véritable humour, celui que nous pourrions dire « atemporel » ; celui que pourrait percevoir un être humain de tous temps et de tous lieux, parce qu’il suffit de voir que le rire se propage facilement dans une salle d’enfants pour constater que l’humour est contagieux, c’est-à-dire qu’il se transmet d’une manière involontaire des uns aux autres.

Alors, puisque nous devons passer sur le chemin dans la vie, faisons-le avec la bonne humeur.

(1) Le Rire, Henri Bergson, Éditions Flammarion, 2013, 270 pages
(2) Marx Brothers ou Frères Marx : comédiens américains qui ont fait carrière au cinéma, à la télévision et sur scène, notamment à Broadway, jusque dans les années W1950. Ils sont composés de Groucho, Harpo, Chico, Gummo et Zeppo
(3) Lettré grec chrétien (150 – 215), Père de l’Église. Il chercha à harmoniser la pensée grecque et le christianisme. Appelé « saint » Clément sans avoir été canonisé mais pour avoir contribué à établir et défendre la doctrine chrétienne
(4) Archevêque de Constantinople (entre 344 et 349 – 407) et l’un des Pères de l’Église grecque. Son éloquence lui valut le surnom de « Chrysotome », « Bouche d’or ». Saint, docteur de l’Église catholique, orthodoxe et copte
(5) Prêtre catholique savoyard (1567-1622). Nommé évêque de Genève, il ne put jamais prendre possession de son siège, celui-ci étant devenu la « Rome des calvinistes ». Il resta en résidence à Annecy. Proclamé saint et docteur de l’Église
(6) Juriste, historien, philosophe, théologien et homme politique anglais (1478-1535). Ami d’Érasme, il participa au renouveau de la pensée et à l’humanisme dont il fut un illustre représentant en Angleterre. Nommé ambassadeur extraordinaire et chancelier du Roi Henri VIII dont il ne cautionnait pas l’attitude en matière de religion, il fut emprisonné, décapité comme traître. Il sera béatifié et canonisé en 1935
(7) Religieuse espagnole (1515-1582) réformatrice de l’Ordre du Carmel, sainte et docteur de l’Église, profonde mystique et l’une des figures majeures de la spiritualité chrétienne. Elle est l’auteur de nombreux ouvrages tant biographiques que didactiques ou poétiques
(8) Baldassare Castiglione, comte de Novellata (1478-1529), écrivain et diplomate italien de la Renaissance, auteur du Livre du Courtisan, manuel de savoir-vivre
Par Miguel Angel ANTOLINEZ
Article paru dans la revue espagnole Esfinge
Traduit par Michèle Morize

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