Regards avisés sur l’éducation
Deux apports pertinents de deux personnalités marquantes du XXe siècle, pour éclairer notre regard sur l’éducation. Le premier sur les erreurs à ne pas répéter, le deuxième sur la fécondité de l’échec dans l’apprentissage et la formation du caractère, à la lumière du tâtonnement expérimental.
Lucide, impitoyable mais éclairant, voici le diagnostic que porte sur l’éducation que beaucoup d’entre nous ont subie, sur celle que nous faisons subir à la jeunesse, un des grands témoins de notre temps, l’écrivain internationalement connu, Doris Lessing, dans un roman de science-fiction, The sentimental agents in the Volyen Empire (1).
Un diagnostic impitoyable
Un habitant de la planète Volyen accuse son pays de ne pas lui avoir donné l’éducation dont il avait besoin.
« Voici mes points principaux :
Un. Vous, Volyen, ne m’avez jamais donné d’obstacle à surmonter. Du berceau jusqu’à la tombe, mes chemins ont été rendus faciles.
Deux. À cause de vous, je suis devenu mou et plein d’indulgence à l’égard de moi-même, incapable de rien me refuser.
Trois. Vous m’avez appris que ce que je voulais, je pouvais l’avoir, cela m’était dû parce que j’en avais conçu le désir.
Quatre. Vous m’avez infligé une vie d’insupportable ennui, parce que vous avez écarté de moi tous les risques et les dangers, vous m’avez caché la face de la mort, vous vous êtes comportés à mon égard comme une mère trop indulgente qui croit que la nourriture et le confort peuvent être l’équivalent de l’amour.
Cinq. Vous ne m’avez jamais informé qu’est inhérent à la nature Volyène le besoin de nous transcender, d’avancer et de nous hisser sans cesse sur le cadavre de notre propre moi, d’arriver à gravir des marches de plus en plus hautes sur l’échelle de l’évolution.
Six. Vous m’avez appris que manger, boire, dormir et m’amuser était le but de la vie.
Sept. Autrement dit, vous m’avez volé ce qui est mien par droit de naissance, le droit de lutter, de combattre, de souffrir, de surmonter, de réaliser l’impossible, d’accomplir des miracles. »
Échec scolaire et tâtonnement expérimental
« Par ses tâtonnements le long des pierres ou sous les herbes », écrit Célestin Freinet (2), « le filet d’eau a enfin trouvé une faille par où il peut répondre à l’appel de la pesanteur qui anime et oriente son cours et sa destinée. Négligeant les tâtonnements qui n’ont pas réussi, il s’engagera tout entier par cette faille jusqu’à ce que d’autres obstacles viennent à nouveau contrarier et compliquer l’inéluctable écoulement.
C’est à la rapidité et à la sûreté avec lesquelles l’individu bénéficie intuitivement des leçons de ses tâtonnements que nous mesurons son degré d’intelligence. »
Comment marcher si l’on n’a pas deux pieds ?
Ce que les deux pieds – le droit et le gauche – sont à la marche, l’échec et le succès le sont à l’évolution et à la réussite à long terme de l’individu.
Comme dans la marche, il faut bien accepter de perdre un instant l’équilibre, puisque c’est grâce au déséquilibre qui nous projette en avant que nous avançons.
L’enfant qui apprend à marcher ne compte pas ses chutes. Mû par une pulsion puissante, il tombe et se relève, inlassablement, jusqu’au jour où il maîtrise la marche.
Si les adultes se mêlaient d’apprendre à marcher aux enfants (autrement qu’en s’assurant qu’ils exercent leurs pas chancelants sur un terrain favorable et sans danger excessif), combien aurions-nous sur les bras « d’handicapés » ou de « dyslexiques » de la marche ? Car il y aurait tout à parier que notre souci serait de leur éviter les chutes. Nous entraverions ainsi considérablement le tâtonnement expérimental qui leur permet de construire de l’intérieur leur sens de l’équilibre.
Une des raisons de l’échec scolaire qu’aucune réforme n’arrive à contenir dans des limites acceptables, vient du non-respect de cette loi fondamentale. La pulsion évolutive, l’appel impérieux de sa nature profonde pousse l’enfant, puis l’adolescent auxquels on n’a pas interdit le tâtonnement expérimental, pour qui donc l’échec fait partie du processus naturel d’apprentissage, à ce parcours tâtonnant qui va le mener à la découverte du monde et de lui-même dans une symbiose croissante.
Il faut redonner à l’échec droit de cité dans nos écoles.