Philosophie

« Oh non, je n’ai pas envie d’aller bosser demain !»

Que se passe-t-il quand nous n’avons pas envie d’aller au travail ? Deux attitudes possibles : celle de victime ou celle de bâtisseur. Laquelle choisir ?

« Oh non, demain, je n’ai pas envie d’aller bosser. » Que ceux qui n’ont jamais entendu ou prononcé cette phrase lèvent la main. Ils sont rares !
Ces phrases qui semblent anodines, « ça va comme un lundi »,  « vivement la retraite » révèlent la sensation de l’ennui, du désintérêt, de l’inconfort au travail. Comme on le sait, le verbe est créateur, les mots donnent corps aux idées. Ils finissent par créer un paysage mental, une manière de percevoir ce que nous vivons à travers des filtres particuliers et prédéfinis.

Nicolas de Condorcet (1)  a dit : « Les révolutions les plus difficiles à accomplir sont celles des habitudes et des pensées ». Le risque est bien de fabriquer un automatisme de pensée, une habitude qui finit par créer un sillon mental. Plus on l’emprunte, plus le sillon se creuse et plus il est difficile d’en sortir. Ainsi, toutes les phrases dénigrant notre travail ancrent en nous l’idée « travail égal pénible »

Victime !

Si j’associe le travail à une peine, cela me semble alors justifié de m’en plaindre. Face à une complexité ou une difficulté, me plaindre signifie que je pense ne pas avoir la capacité de les assumer. Je me dédouane a priori de n’avoir été le créateur ni du problème, ni hélas de la solution. Subir, telle est la posture de la victime.
Le refus de la responsabilité et des contraintes est l’un des traits caractéristiques de la posture de victime. C’est automatique : on se sent acculé, contraint par tout ce que l’on pense déjà subir, il est alors difficile d’imaginer pouvoir donner davantage. On a du mal à être généreux, on calcule ce que chaque acte va nous coûter. Comme le ferait un consommateur exigeant qui compare les produits dans un rayon, nous regardons nos efforts à l’aune de ce qu’ils vont nous rapporter. Notre sillon mental de l’habitude s’enrichit de l’option « calcul de rentabilité ».

« La beauté est dans l’œil de celui qui regarde. »Oscar Wilde

Et pourtant notre emploi est la résultante de nos choix, plus ou moins conscients, plus ou moins éclairés. Des choix que nous avons construits petit à petit, depuis l’école, en fonction de ce que nous aimions ou pas, des efforts que nous avons faits ou pas, des opportunités que nous avons saisies, de celles que nous avons créées. C’est comme un ouvrage que l’on sculpterait depuis des années sans avoir en tête au préalable le modèle final. C’est important de se rappeler que nous sommes le sculpteur de notre vie, et c’est ce pouvoir-là que nous nous refusons quand nous nous voyons victime. Nous avons à tout moment une possibilité de création, ne serait-ce que par le regard, la manière de percevoir les événements. Comment modifier le regard que l’on porte sur tel collègue ? La beauté d’un dossier ne dépend-elle pas de notre œil ?

 Bâtisseur !

Changer le regard que l’on porte sur le concept de travail en lui-même est essentiel. Pour l’esprit français, le travail d’accord, mais avec les congés ! Entreprendre d’accord, mais avec les aides de l’État Providence ! Il reste dans un coin de notre mémoire l’association entre travail et torture ou entrave ! Entrave à notre liberté et à notre plaisir. Pour le mythe américain du self made men, le travail est une raison de vivre et l’outil de réalisation de sa propre richesse. Au Japon, le travail est souvent vécu comme un devoir suprême dont on ne saurait se soustraire. Le mot Karoshine désigne-t-il pas « mort par excès de travail ».
Chacun a un filtre qui colore et connote différemment notre idée du travail. Ni meilleur, ni pire qu’un autre.
Pour réenchanter notre vision du travail, nous pouvons en France, nous appuyer sur l’imaginaire des Bâtisseurs de cathédrales, que nos ancêtres ont fait vivre à travers tout le pays. Ces hommes qui ont l’amour du travail du Beau, et qui ont œuvré pour bâtir plus grand qu’eux. Pour eux, la pierre qu’ils travaillaient n’était pas un caillou à casser, ni une brique à tailler, mais un morceau de cathédrale à rendre vivant.

C’est sous l’inspiration de cette épopée mythique que la France se lève, aujourd’hui, pour reconstruire Notre-Dame de Paris.

Mais nous voilà revenus au bureau et les bâtisseurs peuvent nous sembler bien loin. Mais non ils ne sont pas si loin. Là, derrière notre écran, dans nos réunions, dans nos fiches de poste, derrière les petites choses transitoires, quel mythe sommes-nous en train de créer, quelle aventure en train de vivre ? Imaginons chaque semaine de travail comme un petit coup de burin ; quelle statue sommes-nous en train de sculpter ? Notre posture est en train d’écrire notre réalité et notre histoire. Alors, dès demain au travail, à chacun le choix de se voir comme victime ou comme bâtisseur.

(1) Mathématicien et homme politique français, représentant des Lumières (1743-1794), célèbre pour ses travaux pionniers sur la statistique et les probabilités et qui a proposé réformes du système éducatif et du droit pénal.
par Audrey EG

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