Société

« Hind Swaraj », le livre révolutionnaire de Gandhi

Dans le cadre du 150anniversaire de la naissance de Gandhi (1869-1948), le 02 octobre, la revue Acropolis consacre une série d’articles (1) sur ce personnage hors du commun.

« Hind swaraj, l’émancipation à l’indienne » (2) fut écrit en 1910 alors que Gandhi était encore en Afrique du Sud. Il y présente les idées qui seront à la base de l’indépendance de l’Inde. Écrit comme un dialogue entre un lecteur naïf et l’éditeur qui n’est autre que l’auteur, l’ouvrage est un résumé de la philosophie politique de Gandhi.

Le livre tourne autour de 3 concepts fondamentaux : swaraj, sudharo et satyagraha.

 

« Swaraj » et le pouvoir sur soi

Vieux concept philosophique provenant du Rig Veda (3), swarajdu sanscrit SwaSoi et Rajgouvernance signifie « puissance autonome » ou « auto-gouvernance ». C’est aussi le fait d’être soi-même, son propre souverain, statut auquel les rois désirent accéder.

Au VIsiècle avant notre ère, swaraj est défini comme l’aptitude de l’ego personnel à coïncider avec l’infini du monde (l’Atman). On peut le devenir par le dépassement et le sacrifice. Le swaraj est un pouvoir que l’on obtient par une discipline pour se libérer des trois poisons : l’avidité, la colère et l’arrogance.
Gandhi oppose swarajet le concept de liberté vu par les Anglais et la vision occidentale de la liberté en général, car il s’agit, selon lui, d’une fausse liberté. La seule liberté, c’est le swaraj, le pouvoir de se gouverner soi-même, c’est-à-dire la liberté intérieure.

 Gandhi recentre ainsi l’analyse sociopolitique dans une clé spirituelle. Ne peut être un citoyen (et a fortioriun gouvernant) que celui qui a le swaraj, c’est-à-dire une vie morale. Le gouvernement de soi-même va donner des atouts au citoyen : se maîtriser, maîtrise qui s’exerce dans la non-violence, et faire du citoyen un défenseur de la vérité, car pour se maîtriser, il faut chercher la vérité.

« Sudharo » et la civilisation du progrès : un anti-progrès ?

Le livre de Gandhi était si révolutionnaire qu’il fut immédiatement interdit par le gouvernement anglais. Il y oppose deux schémas de pensée : la civilisation des Anglais assimilée à la civilisation occidentale et la civilisation qui devrait être issue de la culture indienne.

Pour Gandhi, la question de la civilisation est fondamentale. L’humain ne peut connaître la vérité, le Dharma, sans appartenir à une civilisation, un cadre culturel, éducatif, social.

Sudharo signifie progrès, réforme, changement. Pour Gandhi, le progrès est la matrice de la civilisation occidentale, un progrès sans limite grâce à la production exponentielle d’objets et leur utilisation pour développer le confort matériel. Ni le progrès, ni le changement n’ont de valeur intrinsèque, car tous les changements ne sont pas bons. Mais la civilisation moderne vit sur l’idée de l’innovation qui est par définition positive. En conséquence « la civilisation du progrès s’avère un anti-progrès ». Les mots de Gandhi sont très durs : « dans le brasier du progrès il n’y a pas de limite à l’incendie ravageur » ; « la civilisation du progrès s’attise elle-même, elle grignote tout comme une armée de rats ». Mais il dénonce avec un siècle d’avance les dérives de notre société moderne.

Gandhi créée une opposition entre le moderne, la mode, la dynamique du changement et l’ancien, le traditionnel, ce qui s’inscrit dans un système stable et permanent. Pour Gandhi « la civilisation occidentale, sudharo, décivilise ». Car il n’est question ni de morale, ni de religion. On ne parle que du confort physique et cette civilisation ne donne pas le bonheur. Il considère que les Occidentaux veulent transformer le monde entier en un vaste marché pour exporter leur production. Selon lui, le problème fondamental de la civilisation moderne est de placer toute la valeur dans la qualité des choses et non pas dans la qualité de l’être humain. Or la qualité de l’être humain n’a aucun rapport avec sa capacité à produire ou acquérir des choses

De son côté la civilisation orientale est fondée, elle, sur la qualité de l’être humain. Gandhi explique que la véritable civilisation, celle qui va conduire l’homme à la vérité, est la conduite qui pousse l’homme à accomplir son devoir. Le devoir est de respecter la morale, c’est-à-dire parvenir à la maîtrise de son esprit et de ses sens.

« Satyagraha » et la force d’âme

Satyagraha est un mot créé par Gandhi. Il vient du sanscrit Satya qui signifie vérité etgrahatenir fermement. Il recouvre un réseau de concepts : force de la vérité, force de l’âme traduit ensuite par Gandhi par « résistance passive » et « non-violence ». C’est le moyen qui épouse les fins du swaraj. La finalité est l’autogouvernement de soi comme celui de l’Inde. Ce moyen, satyagraha, la force de l’âme permet d’exercer une résistance sans violence. Pour Gandhi, on ne peut jamais dissocier les moyens des fins. C’est pourquoi il s’opposa toujours à prendre les armes contre les Anglais. La non-violence est un devoir car dans la philosophie hindoue, la notion de l’autre, de l’altérité n’existe pas en tant que telle, mais plutôt celle d’un ensemble interdépendant où tous les êtres vivants sont reliés.

Satyagraha nécessite beaucoup d’humilité et donc une force d’âme pour la pratiquer. « Il n’est possible de cultiver le Satyagraha que délivré de la peur de la mort… des faux honneurs, de la fortune ». Cultiver cette force d’âme apporte confiance en soi et dignité. Cette quête doit s’accompagner du swadeshiou pratique de la sobriété. Celle-ci est essentielle pour limiter les effets collatéraux de nos actions (Karma). Pour Gandhi cela signifie se restreindre à l’usage des ressources locales de notre environnement et ne pas céder à la société de consommation.

La religion de la non-violence

La non-violence absolue n’existe pas (on mange !) mais il faut essayer de s’en libérer le plus possible.

Appliqué à l’émancipation politique, satyagrahaest une méthode consistant à rentrer dans son droit en supportant personnellement la souffrance infligée par l’homme. Gandhi invitait chacun à s’offrir soi-même en sacrifice car son propre sacrifice est supérieur au fait de sacrifier autrui. « Croyez-vous qu’un homme faible peut briser des lois injustes ? » exhortait Gandhi.

C’est ainsi que Gandhi posa les fondements d’un processus politique et historique basé sur la force intérieure, étant fermement convaincu que ce que l’on ne gagne pas d’abord à l’intérieur de soi-même on ne peut pas l’obtenir à l’extérieur.

Ce furent cette exigence morale et spirituelle tout autant que sa vision prémonitoire sur les dérives du progrès et de la civilisation marchande, mais aussi et surtout son exemple admirable et intransigeant, qui lui permirent d’atteindre l’auto-gouvernance individuelle et politique qu’il appelait de ses vœux. Il inspira d’autres figures comme Martin Luther King et Nelson Mandela, et laissa à la postérité l’exemple d’un guerrier pacifique, celui qui mène le combat à l’intérieur de lui-même pour faire régner la paix et construire l’histoire.

« N’allons pas croire que ceci est un simple rêve. C’est descendre bien bas que s’imaginer que ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire ne pouvait pas se produire. Ce serait ne pas croire en la dignité humaine ».  Gandhi

(1) Article de Dominique Béchu, Mahatma Gandhi, héros universel, guerrier de la paix,paru dans la revue Acropolis N° 306 (avril 2019)
(2) Hind Swaraj, l’émancipation à l’indienne, par Gandhi. Traduit du goujarati, de l’anglais et du hindi par Annie Montaut. Éditions Fayard, 2014, 224 pages, 18 €
(3) Hymnes de louange de l’Inde antique en sanskrit. Il fait partie des quatre grands textes canoniques de l’Hindouisme, connus sous le nom de Veda, composés entre 1500 et 1900 av. J.-C. Il comprend dix recueils de 1028 stances.
Nouvelle Acropole organise un festival national en hommage à Gandhi à l’occasion du 150e anniversaire de sa naissance sous le haut parrainage de l’ambassade de l’Inde
Programme de nos activités : www.nouvelle-acropole.fr
Par Isabelle OHMANN

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