Esther Duflo Prix Nobel d’économie à 47 ans, Lutter contre la pauvreté sur le terrain
Le 14 octobre 2019, Esther Duflo, et son mari indien Abjhit Banerjee, et Michael Kremer, professeur américain à l’Université d’Harvard, se sont vus décerner le prix Nobel d’économie pour leur approche expérimentale de la lutte contre la pauvreté dans le monde.
Esther Duflo est la plus jeune à avoir reçu un prix Nobel, la deuxième femme à avoir reçu le Prix Nobel d’économie après l’Américaine Éleonor Ostrom (1), primée en 2009, et la quatrième française à recevoir le prix Nobel d’Économie.
L’économiste la plus jeune et la plus brillante de sa génération
Dès sa tendre enfance, Esther Duflo est impliquée dans l’humanitaire, par l’intermédiaire de sa mère pédiatre qui organise des actions avec des ONG. À 22 ans, elle obtient une maîtrise d’histoire et d’économie et deux ans plus tard, elle devient agrégée.
Elle se spécialise dans la pauvreté, le développement humain, la santé et l’éducation.
En 1999, elle rencontre celui qui deviendra plus tard son mari et elle part avec lui réaliser une grande partie de ses recherches en Inde.
Elle travaille dans des ONG, et en 2003, elle fonde le Poverty Action Lab (J-PAL), spécialisé dans la lutte contre la pauvreté sur le terrain.
De 2001 à 2009, Esther Duflo obtient la première chaire internationale Savoirs contre pauvreté au Collège de France, soutenue par l’Agence française de développement.
En 2010, elle remporte la médaille John Bates Clark (2) pour son rôle essentiel dans l’économie du développement, en recentrant cette discipline sur les questions micro-économiques et les expériences à grande échelle sur le terrain.
En 2011, avec son mari, elle écrit Repenser la pauvreté (3), ce qui leur vaudra de recevoir le prix économique le Financial Times/ Goldman Sachs.
En 2013, le président américain Barack Obama la choisit pour travailler à la Maison Blanche au sein du Président’s Global Development Council sur les questions de développement mondial. En parallèle, elle obtient une chaire d’économie au MIT de Boston.
En 2015, elle reçoit le Prix de la Princesse des Asturies (prix espagnol prestigieux), pour ses travaux d’études sur les causes de la pauvreté et ses propositions pour la combattre à partir du modèle micro-économique.
Esther Duflo est considérée comme l’une des économistes les plus brillantes de ces dernières années. Selon le magazine américain Times, elle figure parmi les 100 personnes les plus influentes du monde entier, comme son mari, et depuis 2018, elle est membre du Conseil scientifique de l’Éducation Nationale.
Éradiquer la pauvreté en combinant démarche scientifique et expérimentation sur le terrain
Pour éradiquer la pauvreté, Esther Duflo applique la rigueur et la démarche scientifique au service d’un engagement total et radical. Elle monte des expériences de terrain avec des ONG pour évaluer concrètement et de façon pratique et précise les politiques les plus efficaces en matière de santé, agriculture, éducation. Ses programmes : réduire l’illetrisme, inciter les enfants à aller à l’école, inciter les mères à les faire vacciner ou à participer à la vie politique. Elle pose des questions très précises : Comment faire pour que des enfants aillent à l’école ? Comment faire pour qu’ils apprennent quelque chose ? Quelle organisation, quels moyens permettent d’y parvenir ? Faut-il diminuer le nombre d’élèves par classe ? Faut-il plus de livres, plus de cartables, plus de cahiers ?
Conjuguer économie et grands enjeux sociaux
Au Bangladesh, Esther Duflo mena un programme avec l’ONG Bangladesh Rural Avancement Committe (BRAC) consistant à allouer aux plus pauvres, un capital sous la forme d’animaux ou d’argent permettant de commencer une petite affaire tout en les accompagnant pendant dix-huit mois. Une proportion importante de personnes aidées sont sorties durablement de la pauvreté, et sont devenues en moyenne 30 % plus riche, en meilleure santé et mieux éduquées. En pouvant nourrir leur famille elles ont retrouvé de la dignité auprès de leur communauté. Une quarantaine de pays ont suivi cet exemple avec succès, avec des donneurs privés.
La théorie du hasard expérimentée sur le terrain
Esther Duflo mène une expérimentation de terrain innovante et une méthode d’évaluation originale qu’elle applique à de nouveaux projets, notamment à un projet de soutien scolaire en Inde, à un projet de microcrédits en Inde et au Maroc, et à une politique de prévention du sida pour adolescents au Kenya.
Cette méthode pour évaluer l’impact d’un programme est appelée « évaluation par échantillonnage aléatoire » (randomized controlled trials RCT).
Par exemple, pour savoir si un programme de soutien scolaire mis en œuvre donne des résultats, on le met en place dans la moitié des écoles d’une ville sélectionnées par hasard et on l’ignore dans l’autre moitié et écoles, et on compare ensuite le niveau des élèves dans les deux groupes. Autre exemple, évaluer l’efficacité d’un traitement en comparant les résultats effectués dans une « population test » (population à qui on a donné le médicament) avec celle d’une population non traitée dit « population témoin » ou « groupe de contrôle ».
Une autre expérience menée au Ghana proposa à deux groupes de travailler à la fabrication de pièces textiles. Un seul des deux groupes reçut, outre de l’aide technique, une aide financière. Ce second groupe s’avéra plus productif et plus efficace car l’aide financière l’avait mis à l’abri des autres préoccupations qu’avait du affronter le premier groupe : se soigner, payer l’éducation des enfants…
Cette méthode, déjà appliquée en 1960 par le Président Lyndon B. Johnson, pour lutter contre la pauvreté et militer en faveur de l’éducation a été abandonnée, les économistes préférant les modélisations sur la base de mathématiques et de statistiques plutôt que des expériences sur le terrain. Esther Duflo la reprit.
La pauvreté n’est pas l’absence de moyens
Pour Esther Duflo, la pauvreté n’est pas seulement l’absence de moyens mais l’incapacité de réaliser son potentiel par manque d’éducation, de santé. Il manque un contrôle sur sa propre destinée. Aux étudiants elle dit : « quels que soient vos talents, vous avez la capacité et l’opportunité de trouver un problème que vous pouvez résoudre, si vous consacrez l’énergie, si vous prenez le temps d’écouter et de réfléchir. Ne vous laissez pas décourager par l’ampleur du problème. Acceptez la possibilité d’échouer. […] Une innovation qui échoue mais dont on reconnaît l’intérêt, est plus utile qu’une innovation qui réussit mais dont on ne tire pas les bienfaits »
Esther Duflo, qui est maintenant naturalisée américaine, partage son temps entre la France, les États-Unis, l’Afrique centrale et l’Inde, pour tenter d’apporter des solution à la pauvreté et au manque d’éducation dans ces pays. Elle applique une économie humaine, généreuse, engagée et impliquée sur le terrain.