Auguste, empereur romain, la maîtrise de soi au service de l’Empire
«J’ai trouvé Rome en briques et je l’ai quittée en marbre» Auguste
Auguste fut associé à la grandeur et à la gloire de l’Empire romain qu’il contribua à étendre, et pacifier. Après des décennies de guerre civile, il apporta un message de paix et de prospérité, fondateur d’une nouvelle ère, un âge d’or. À Rome, il réforma les institutions, embellit la ville par une effervescence des arts et des lettres, développa une politique de constructions urbaines et architecturales. Son règne, appelé le «siècle d’Auguste» ainsi que le nom de Maecenas (mécène), proche de l’empereur, devinrent des références culturelles mythiques.
Au Grand Palais à Paris (1), vient de se dérouler une remarquable exposition sur le thème «Moi, Auguste, empereur de Rome», à l’occasion du bimillénaire du décès d’Auguste, mort le 19 août, en l’an 14 de notre ère. L’ambition de cette exposition était de faire revivre «le siècle d’Auguste». Nous avons pu admirer les plus prestigieuses collections d’art de cette époque et surtout découvrir un homme d’exception en la personne de l’empereur Auguste (63 av. J.-C.- 14 ap. J.-C.), un des principaux bâtisseurs de la civilisation romaine.
Les premiers pas belliqueux d’Octave
La mère d’Octave était la nièce de Jules César, qui, sans descendance légitime, adopta son petit-neveu. Lorsque César mourut assassiné en 44 avant J.-C., Octave (ou Octavien) s’engagea dans la guerre civile et revendiqua l’héritage de son parent adoptif. Il s’opposa ainsi à Marc Antoine, fidèle lieutenant de Jules César qui prétendait aussi lui succéder.
En 43 avant J.-C., fut instauré un triumvirat réunissant Marc Antoine, Octave et Lépide. Les trois hommes se partagèrent les provinces conquises par Rome. Ce gouvernement tri-partite dura tant bien que mal une dizaine d’années.
Mais, en 32 avant J.-C., de nombreux conflits séparaient déjà Antoine et Octave, et notamment un conflit d’ordre privé. En effet, Antoine avait épousé Octavie, la sœur d’Octave et, installé en Égypte, il devint l’amant de Cléopâtre. Il répudia alors son épouse. Pendant un an, les deux hommes s’affrontèrent. En 31 avant J.-C., Octave gagna la bataille décisive d’Actium et cette victoire lui ouvrit les portes de la renommée.
Auguste, héritier des héros légendaires et des dieux de Rome
Devant le Sénat, Octave prononça un discours et s’engagea à poursuivre l’œuvre de César, en achevant la pacification de l’ensemble des provinces conquises (Égypte, Espagne, Gaule, Syrie…). En 27 avant J.-C., il prit le nom d’«Auguste». Une couronne de lauriers fut placée au-dessus de la porte de sa maison sur le Palatin, et un bouclier d’or fut accroché à la Curie (2) portant l’inscription de ses vertus : la clémence, le courage, la justice, et la piété. Avant d’être attribué à Octave, le terme d’«augustus» était un adjectif à connotation religieuse signifiant, saint, sacré et il était réservé à un temple ou à un dieu.
L’étymologie «augere» : signifie faire croître. Ceci se retrouve dans le terme «augur» qui a donné «augure», le prêtre devin qui interprétait les phénomènes naturels, considérés comme des présages favorables pour les actes de la vie quotidienne (partir à la guerre, construire un temple, désigner un homme pour une fonction politique…). Nous retrouvons la racine dans le terme «aug-menter».
Dans le récit des Res Gestae Divi Augusti (Actes du divin Auguste) (3), rédigés à la fin de sa vie, Octave exprima la signification de ce surnom sous lequel on allait alors le désigner : «Dès lors, je l’ai emporté sur tous en autorité, mais je n’ai pas eu plus de pouvoirs qu’aucun de mes collègues dans mes diverses magistratures». Il assuma ainsi un pouvoir qui faisait de lui un être sacro-saint. Il s’inscrivit toute sa vie dans la filiation de César, avec pour modèle Alexandre le Grand (4).
Il légitima son pouvoir en inscrivant sa personne et les évènements de son règne dans une ascendance à la fois légendaire des fondateurs de Rome (Romulus et Rémus, Énée et Anchise) et divine (Vénus, Mars, Apollon). Le célèbre autel de la paix, l’Ara Pacis (5), inauguré en 9 avant J.-C ., symbolisa le retour à la paix. L’évocation des mythes y fut offerte grâce à un programme iconographique sur plusieurs panneaux, célébrant à la fois l’origine de la cité et celle de la domus Augusta.
Les étapes glorieuses vers l’apothéose
Le 26 juin 23 avant J.-C., Auguste reçut la potesta tribunicia (puissance tribunicienne) (6) qui lui octroya des pouvoirs renforcés.
Le 5 février 2 avant J.-C., le titre de «Père de la patrie» lui a fut attribué pour la sagesse dont il avait fait preuve pour conduire la réconciliation des Romains déchirés dans un empire immense s’étendant jusqu’aux confins du monde connu. Une telle transformation devait se lire dans le marbre de son forum (7). Celui-ci était encadré de portiques qui abritaient les statues des plus grands hommes de l’histoire de Rome. Auguste avait conçu son forum comme un immense atrium où les nobles Romains exposaient les portraits de leurs ancêtres. L’empereur Auguste récupérait tout le passé de la cité en assimilant les Romains illustres à ses propres ancêtres.
Le 19 août 14 après J.-C., Auguste décéda à Nola en Campanie (province de Naples). Un convoi funèbre fut organisé pour conduire la dépouille impériale jusqu’au Champ de Mars (8) où eut lieu son incinération. Pendant celle-ci, un ancien préteur certifia avoir vu Auguste s’élever vers les cieux porté par un aigle : le prince défunt rejoignait les dieux. Il fut divinisé, comme César. Ses cendres furent déposées dans son mausolée, colossal monument circulaire de 85 m de diamètre, surmonté d’un talus planté d’arbres, et une série de cercles concentriques entouraient la chambre funéraire centrale.
La romanité, destinée commune de tous les peuples
Quel fut le bilan de quarante et un ans de règne ? Auguste était pragmatique et s’adaptait aux circonstances. La réorganisation administrative de Rome et des provinces de l’Empire, conduite dans le respect des traditions et des croyances autochtones fut un immense chantier à porter à son crédit. Il en alla de même du modèle urbain, architectural, esthétique – celui de Rome elle-même -, dupliqué de l’Orient à l’Occident de l’Empire qui l’accompagna. Il triompha des guerres civiles en inventant une monarchie capable de créer le consensus aux yeux de l’aristocratie, de la plèbe et des provinciaux, dont on exigeait le tribut. Ce principat dont il fut le premier empereur éloigna durablement les grands conflits au cœur de la Méditerranée et intensifia les échanges d’un bout à l’autre de l’Empire. Cet empire mondial était culturellement autant grec que latin. Il portait une double conception civique et monarchique de la politique et un cadre juridique de la vie en commun.
Auguste incarna l’ordre apollinien (9) par excellence, fait de mesure et de maîtrise de soi. Sa façon d’exercer un pouvoir sans partage, sans apparaître comme un tyran témoigna de son habileté politique. S’il conserva une part d’ombre, il parvint cependant à agréger les différentes communautés de l’Empire autour de la figure impériale en tant qu’incarnation de valeurs idéales. La modération, la maîtrise de soi furent les clés de la réussite de ce principat.
Mais, plus tard, lorsque des personnalités portées aux extrêmes (Néron ou Caligula) accédèrent au pouvoir, les contradictions inhérentes à ce type de régime apparurent au grand jour.
Toutefois, Auguste, champion de l’identité romaine, paré de toutes les vertus d’un chef providentiel élu par les dieux, sut métamorphoser Rome, la ville de ses ancêtres en une véritable et prestigieuse capitale d’Empire. Même si Rome ne se souciait pas d’imposer sa culture, la romanité était devenue la destinée commune de tous ses peuples.
Auguste reste à tout jamais un héros de la paix, de la concorde et de la prospérité, un véritable génie politique qui s’imposa comme un modèle, régulièrement convoqué dans l’Histoire (10).
Par Louisette BADIE
(1) Exposition Moi Auguste, Empereur de Rome -19 mars – 13 juillet 2014 – Musée du Grand Palais : 3, avenue du Général Eisenhower - 75008 Paris - Tel : 01 44 13 17 17 – www.grandpalais.fr
(2) Dans la Rome antique, désigne un groupe d’hommes (sénateurs), et le lieu où ils se réunissaient. Le bâtiment est toujours visible sur le Forum
(3) Testament politique de l’empereur romain Auguste fait un an avant sa mort, dans lequel il fit un compte-rendu à la première personne de ses actions et de ses réalisations. Celui-ci devait être gravé sur des tables de bronze à placer devant son mausolée à Rome. Celles-ci ont disparu mais on en retrouva des copies à partir de 1555 (la plus complète étant la copie d’Ancyre, ville appelée aujourd’hui Ankara en Turquie, accompagnée d’une traduction grecque puisque la ville se situait dans la partie la plus orientale de l’empire)
(4) Roi de Macédoine appelé Alexandre le Grand ou Alexandre III de Macédoine (356 av. J. – C. – 323 av. J. – C.). Élève d’Aristote, il devint l’un des plus grands conquérants de l’histoire. Il fit de son petit royaume le maître de l’immense empire perse achéménide, avança jusqu’aux rives de l’Indus et fonda environ soixante-dix cités dont la majorité porte le nom d’Alexandrie. Pendant son règne, il réussit à constituer une unité politique inégalée entre l’Orient et l’Occident
(5) Voir article de Jean-Marc Bachet L’Ara Pacis Augustae, les racines célestes de la paix romaine dans la revue Acropolis n° 183 (mai-aout 2004)
(6) Pouvoir des tribuns de la plèbe. La plèbe représentait le peuple de Rome sauf les patriciens (citoyens qui appartenaient, par leur naissance, à la classe supérieure ancienne et traditionnelle, détenant diverses prérogatives politiques et religieuses). Le pouvoir le la plèbe comportait des privilèges particuliers : la sacrosanctitas des personnes sacrées et inviolables. Toute personne leur portant atteinte était maudite et méritait la mort ; le droit de casser les décisions rendues par un magistrat quand celles-ci étaient désapprouvées. Auguste cumula l’imperium (commandement) et la puissance tribunitienne, sans être lui-même tribun de la plèbe
(7) Place publique à Rome où les citoyens se réunissaient pour marchander, traiter les affaires politiques ou économiques. On y rencontrait des marchands, des usuriers, des vendeurs d’esclaves, de bétail… Le forum était conçu comme un complexe architectural pour les riches, avec toujours un ou plusieurs temples, des galeries d’art, des bâtiments politiques (sénat, curie…), des magasins et parfois une école ou une bibliothèque . Le forum d’Auguste était situé dans le Rione (quartier du centre historique de Rome) de Monti (un des 22 rioni de Rome : appelé «Les Monts», du fait que les collines de l’Esquilin, du Viminal et une partie du Quirinal et du Cælius s’y trouvaient). Son logo représente trois collines possédant chacun trois sommets
(8) Plaine inondable située entre l’enceinte servienne de Rome et la boucle du Tibre. Cet espace était utilisable pour le rassemblement du peuple romain en armes et les évolutions militaires mais également pour tenir les assemblées du peuple, et élire les magistrats lors des comices (assemblées exprimant la volonté du peuple romain en matière électorale, législative ou judicaire). On y éleva des portiques, des arcs de triomphe, un théâtre, des curies, des thermes, un stade…)
(9) L’apollinien est une notion d’esthétique employée par le philosophe Friedrich Nietzche, renvoyant à l’ordre, la mesure et la maîtrise de soi
(10) Voir éditorial de Fernand Schwarz le retour de l’altruisme, paru dans revue la Acropolis n° 245 (octobre 2013)
Bibliographie
– Revue Connaissance des arts du Grand Palais, hors-série : Moi, Auguste, empereur de Rome
– Journal Le Monde, hors-série : L’Histoire de l’Occident, Déclin ou métamorphose ?
– Journal Le Figaro, hors-série sur Auguste
– Rome en 20 épisodessérie télévisée réalisée en 2005 par John MILLIUS et Bruno HELLER
– Le maître du monde, www.herodote.net/Auguste_63_av_J_C_14_-synthese-1931.php
– Pierre GRIMAL, Histoire de Rome, éditions Mille et une nuits, 2003
– Jean-Pierre NERAUDAU, Auguste, Éditions Les Belles lettres, 1996
– Pierre COSME, Auguste, Éditions Perrin, 2005
– Ramsay Mac MULLAN, La Romanisation à l’époque d’Auguste, Éditions Les Belles Lettres, 2003
– Robert ÉTIENNE, Le siècle d’Auguste, Éditions Armand Colin, 1970
– Jean-Marie ANDRÉ, Le siècle d’Auguste, Paris, Payot, 1974