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Combattre la pensée à court terme

Ces derniers mois, plusieurs clignotants nous ont alertés sur le défi de la difficile transition consistant à construire de nouvelles alternatives pour le mieux vivre ensemble de l’humanité et un mieux vivre ensemble avec la planète.

La primatologue britannique Jane Goodal, en marge d’une cérémonie pour honorer un prix qui lui a été décerné, a prononcé un discours à Los Angeles : « Nous savons ce que nous devons faire. Nous avons les outils nécessaires. Mais, nous nous heurtons à la pensée à court terme du gain économique, contraire à la protection à long terme de l’environnement. L’humanité est en train d’épuiser ses recours face au changement climatique. » Elle s’inquiète et sans perdre espoir, à 88 ans, elle appelle à combattre cette pensée à court terme pour sortir de l’impasse environnementale. « Nous faisons partie de l’ordre naturel et nous dépendons d’écosystèmes en bonne santé. »

Dans un essai court et très précis (1), Jacques de Larosière, qui, dans les années 80, a dirigé le Fond Monétaire International, nous explique que la gravité de la pensée à court terme s’est accrue dans le monde financier ces deux dernières décennies. « Nous savons que notre monde s’est beaucoup endetté depuis des décennies et que sa « financiarisation » a atteint des proportions jamais observées auparavant, du moins en temps de paix. » En effet, la dette globale mondiale a atteint aujourd’hui le record historique de 300 trillons de dollars. Ce chiffre représente 360 % du PIB mondial, c’est-à-dire, trois fois et demi les richesses engendrées chaque année sur la planète. En 1970 elle s’élevait à 100 % du PIB mondial. 
En réalité, le bilan global a triplé en vingt ans, mais ceci est sans aucune mesure avec l’évolution de la croissance réelle, beaucoup plus faible. 

L’évolution du bilan global illustre la vulnérabilité croissante du système financier, la baisse de l’investissement productif, la faible productivité de l’économie et l’intensification des inégalités sociales. Ce qui est très grave, explique Jacques de Larosière, est la baisse significative depuis 20 ans de l’investissement productif global et l’augmentation des spéculations financières qui gonflent les bulles immobilières et autres. La plus grande part de l’argent emprunté a été utilisée pour des investissements à court terme, afin d’obtenir des gains énormes par la voie de la spéculation.

Seulement 20% de l’argent a été investi dans des infrastructures ou des systèmes de productivité, ce qui a affaibli les États et les a empêchés d’apporter un véritable soutien à long terme à la population, en matière de santé, d’éducation, de transports, etc.
« Si nous voulons avoir la moindre chance de réaliser les immenses transitions énergétiques et écologiques qui s’avèrent indispensables et qui ne pourront être financées que par l’épargne des ménages (et non par la création monétaire), il faudra bien se résoudre à restaurer les deux conditions nécessaires à l’investissement long : la stabilité financière qui rassure sur l’avenir (alors que l’inflation brouille l’horizon) ; et une rémunération suffisante des risques encourus sur le financement à long terme… C’est l’investissement productif à long terme qui permet d’affronter les transitions nécessaires. » (2) Il est donc temps de changer nos imaginaires et d’accepter collectivement de faire des efforts pour partager. L’anthropologue Natasja Martin, comme d’autres, nous explique l’importance des récits et des mythes pour faire face à l’incertitude. Son grand étonnement a été de constater, en Alaska, auprès des peuples animistes du Grand Nord, que « loin de voler en éclats, sous l’effet du dérèglement des écosystèmes et du réchauffement climatique, les mythes qui nourrissent les imaginaires de ces peuples n’ont été que renforcés. L’incertitude et l’instabilité écosystémiques que nous vivons aujourd’hui sont au cœur de leurs histoires… cette mythologie les a armés tout à fait différemment de nous, modernes, pour faire face à ces grands bouleversements. » (3) Si pour les Occidentaux, le rêve n’a aucune interaction possible avec l’extérieur, pour ces peuples, le dialogue nocturne oriente leurs actions quotidiennes ou à long terme.

La vision à court terme ne touche pas que les adultes dans le monde occidental, avec son appât du pseudo bénéfice immédiat, mais également les plus jeunes générations, celles qui devront construire un avenir qui tienne compte des prises des conscience actuelles. 

La génération Z (à partir de l’année 2000) suractive le premier système du cerveau qui est rapide, intuitif, impulsif, sollicité par les écrans, et utilise un peu moins le deuxième circuit qui est plus réfléchi, plus lent, plus logique. Mais, il existe un troisième système dans le cerveau qui permet d’arbitrer entre les deux et favorise l’expression de l’intelligence. Il permet de résister aux réponses impulsives et d’inhiber les automatismes de pensée lors d’un enjeu de morale ou de logique. Selon le spécialiste Olivier Houdé (4), les Z doivent apprendre à combattre leurs automatismes grâce à une pédagogie du contrôle cognitif. Celle-ci permet, entre autres, de décrypter les théories du complot et les pièges de la radicalisation.

Donc, comme les anciens philosophes l’avaient expliqué, la solution est à l’intérieur de nous-mêmes. Et la partager avec patience, determination et confiance, devient aujourd’hui indispensable pour pouvoir rêver et construire un monde meilleur.

(1) Jacques de Larosière, En finir avec le règne de l’illusion financière, Éditions Odile Jacob, 2022
(2) Opus cité, pages 45 et 46
(3) Lire l’article Le temps du rêve, paru dans le Un hebdo N° 414, 14 septembre 2022
(4) Auteur de Apprendre à résister, Éditions le Pommier, 2017
par Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole France
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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