Euterpe, muse de la musique L’harmonie des sons
Zeus engendra de Mnémosyne neuf muses dont chacune représente un art. Euterpe est la Muse de la musique, qui a le pouvoir de choisir et de combiner des sons purs avec sa flute, de créer l’harmonie ou la discordance. Que penserait-elle de la musique d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui, j’ai vu Euterpe, la Muse par excellence, celle dont l’attribut, celui du son, est aujourd’hui pour nous musique, science des muses, harmonie qui résume l’ensemble des arts et des sciences.
Je l’ai vue comme j’ai l’habitude de voir mes étranges apparitions : entourée d’un halo de prodige, transformant magiquement le vent qui passait à travers le roseau creux de sa flûte. Ce qui était jusque-là air sans ordre ni concert était, dès lors, son harmonieux et pur, modulé en un discours particulier que nous, les humains, appelons mélodie.
Je me suis rappelée quelle valeur considérable avait pour la muse le fait de savoir choisir et combiner les sons, savoir disposer tant de l’élément sonore que du silence de fond qui le porte. Je me suis rappelée que, pour la muse, le son n’a pas une valeur fortuite et que ce n’est pas la même chose de joindre les uns aux autres, car de l’union des sons provient l’harmonie et la discordance, selon que nous avons su ou pas coordonner ce qu’il convient de coordonner.
Le rôle de la musique
Le vieux Platon — aussi vieux que la muse — nous expliquait déjà les différents états d’âme que peut provoquer la musique chez l’homme, et ce qu’il appelait musiques positives à la différence des négatives. La positive était celle qui élevait le cœur de l’homme, en le préparant à de grandes entreprises, en le faisant se sentir fort et sûr de lui, actif, heureux, serein. La négative, par contre, encourageait la mélancolie, le découragement, la crainte et l’insécurité, la peur de l’échec, la tendance à l’inertie.
Et, oh ! paradoxe ! Aujourd’hui qu’il y a tant et tant de lieux consacrés à la musique, nous nous trouvons en présence de tant d’autres temples profanés, où l’on n’adore pas Euterpe mais sa contrepartie obscure.
Si nous enlevons les exceptions (qui sont pour cette raison des exceptions), nous verrons que la musique d’aujourd’hui n’est pas de l’art, ne jaillit pas de l’inspiration. C’est un vulgaire commerce, où commande une mode : prostituer l’homme, le dégrader dans ses goûts, annuler ses minimes possibilités d’éveil. En conséquence de quoi, il faut suivre la mode : plus on paie, mieux c’est, et la mode est un article cher. Les sons s’unissent en des rythmes discordants, qui suggèrent au corps des distorsions au lieu de danse. L’harmonie se perd en sauts simiesques, et la voix humaine se confond avec les râles de bêtes moribondes. La flûte d’Euterpe… pauvre flûte… ne parvient plus à exprimer un tel désastre. On lui a substitué des instruments exotiques où le vent qui entre d’un côté est mille fois meilleur que la mélodie qui sort de l’autre.
Mais, comme il n’y a pas d’autre musique à écouter, c’est celle qu’on écoute, et qu’on finit par aimer, dans cette absence totale de beauté et d’harmonie. La jeunesse en particulier s’endort sur des sons mélancoliques, instinctifs, sensuels et incitatifs. Tout est bon, pourvu que les jeunes gaspillent les énergies de leur âge… S’ils grandissaient sainement… combien de mensonges, combien de douleur, combien de misère ne s’éviteraient-ils pas !… Mais Euterpe n’est pas de ce monde. Elle a été bannie, au point que mon humble vision s’est estompée au rythme de coups et de bruits lointains qui arrivaient jusqu’à moi – et jusqu’à elle aussi –d’une « boîte à musique ».
Euterpe s’en est allée, enveloppée dans ses voiles et dans ses mélodies, soufflant des prodiges dans sa flûte, reprenant son vol à son rythme.
Retrouver la pureté de la musique
Et son départ m’a laissé un autre mystère. Sa flûte est creuse… Le vent court à travers elle parce que la flûte le laisse courir ; elle se contente de le recueillir, le moduler et, à nouveau, le laisse sortir transformé en musique pour les oreilles… Euterpe est creuse, elle est pure et propre comme les premiers rayons du soleil au matin, c’est pourquoi résident en elle la beauté et l’harmonie… Et nous, que sommes-nous ? De pauvres roseaux, obstrués par la fange du temps, recouverts par la mousse des passions, inutilisés à cause de l’oxyde de la volonté en faillite.
Il faut à l’homme, comme l’a un jour enseigné Euterpe, se nettoyer et s’ouvrir de l’intérieur, en exerçant une force suprême sur la base d’une autre force idéale. Et alors résonnera l’instrument, alors le monde saura quelle est l’harmonie encore cachée qui vient du fait d’être un homme.
Pour ce message, le tien, merci Euterpe. Et pour te laisser voir, la promesse de ne jamais plus t’effacer de mon horizon.