Farizade au sourire de rose
Les « Mille et Une Nuits » sont un recueil de contes arabes anonymes. « Ali-Baba et les quarante voleurs », « Aladin et la lampe merveilleuse », les aventures de « Sinbad le marin, en font partie.
Voici pourquoi on les appelle Les contes des « Mille et Une Nuits ». « Farizade, au sourire de rose » en est un.
Le roi de Perse, ayant découvert que sa femme lui était infidèle, la fit étrangler et décida d’épouser chaque jour une nouvelle femme qu’il faisait mettre à mort le lendemain matin.
Pour mettre fin à cette calamité qui entraînait la mort de toutes les jeunes filles à marier, les unes après les autres, Schéhérazade, la fille du Vizir – le Premier Ministre – voulut l’épouser, malgré les supplications de son père.
La nuit, elle raconta au roi une histoire qui le passionna mais qui n’était pas terminée quand ce fut l’heure pour lui de se lever pour aller aux affaires de son royaume. Il décida de ne la faire exécuter que le jour suivant, quand il aurait entendu la fin de l’histoire. La nuit vint, Schéhérazade termina l’histoire et en commença une autre, si passionnante elle aussi que le roi l’épargna à nouveau. Il l’écouta ainsi pendant mille et une nuits, remettant chaque jour sa mort au lendemain.
Au bout de mille et une nuits, il renonça à la tuer et ils vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs jours.
Dans les Contes des Mille et Une Nuits, sont rassemblées toutes les histoires que Schéhérazade raconta au roi pendant mille et un nuits ! Autant dire un nombre considérable.
Au beau milieu d’un conte, on peut lire : « À ce moment de sa narration, Schéhérazade vit apparaître le matin et, discrète, se tut. Mais lorsque ce fut la huit cent soixante huitième nuit, elle dit… »
C’est au cours des 774e, 775e, 776e, 777e, 778e et 779e nuits que Schéhérazade raconta le conte :
Farizade au sourire de rose
Un jour, un roi de Perse, jeune et beau, se promenait sous un déguisement dans un quartier pauvre de sa ville. Il entendit des voix et découvrit, à travers la fente d’une porte, trois belles jeunes filles. Mais la plus jeune était encore plus belle. « Moi, disait l’aînée, je voudrais épouser le pâtissier du sultan, pour me régaler de ses gâteaux. — Moi, disait la seconde, je voudrais épouser le cuisinier du roi, pour manger des plats extraordinaires. — Moi, dit la plus jeune, je souhaiterais devenir l’épouse de notre Maître le sultan. Je lui donnerais des fils dignes de lui. Et une fille dont les cheveux seraient d’or d’un côté et d’argent de l’autre. Ses larmes, si elle pleurait, seraient des perles sur ses joues. Ses rires seraient des pièces d’or, et ses sourires des boutons de rose. »
Le lendemain, le roi fit venir les trois sœurs au palais et les maria : la première à son pâtissier, la seconde à son cuisinier. Il épousa la plus jeune et fit d’elle la reine.
Le complot des soeurs
Les deux aînées, jalouses, complotèrent contre elle. Lorsqu’elle mit au monde son premier fils, beau comme le croissant de la nouvelle lune, elles le remplacèrent par un chiot mort. Puis, elles le mirent dans une corbeille en osier dont elles se débarrassèrent dans le canal qui longeait le palais. Le courant l’entraîna et il fut recueilli par l’intendant des jardins du roi et sa femme qui se réjouirent, car ils n’avaient jamais eu d’enfant malgré leur grand désir.
Un an plus tard, la reine accoucha d’un deuxième garçon, plus beau que le précédent. Elles mirent à sa place un petit chat et l’abandonnèrent lui aussi au fil de l’eau. Elles firent subir le même sort à la petite fille qui naquit ensuite et qu’elles remplacèrent par une jeune souris aveugle.
Alors le sultan ne contint plus sa colère et son désespoir. « C’est un monstre que j’ai épousé ! » dit-il. Et il ordonna qu’on tue sa femme. Mais, pris de pitié car il l’avait aimée, il se contenta de la faire enfermer dans un réduit, tout au fond du palais, jusqu’à la fin de ses jours.
Les deux sœurs, satisfaites, engraissèrent.
Les trois enfants furent élevés et choyés par l’intendant des jardins du roi et sa femme qui étaient déjà bien vieux. Lorsque celle-ci mourut, il se retira avec ses enfants adoptifs dans un riche palais que lui donna le sultan. Il était entouré de jardins magnifiques qu’il avait dessinés lu-même, et d’un parc clos de hautes murailles et peuplé de toutes sortes d’animaux sauvages et apprivoisés.
La vie dans un palais et les beaux jardins
Après sa mort, les jeunes princes, Farid et Farouz, continuèrent à vivre dans ce merveilleux domaine avec leur sœur, Farizade. Ses cheveux étaient d’or d’un côté et d’argent de l’autre. Ses larmes étaient des perles, ses rires des pièces d’or, et ses sourires des boutons de rose. C’est pourquoi on l’appelait Farizade au sourire de rose. Elle se plaisait dans ses beaux jardins.
Un jour, elle y reçut une vieille femme qui, pour la remercier de son hospitalité, lui révéla que trois choses incomparables manquaient à son jardin pour qu’il soit unique en son espèce : Bulbul-el-Hazar, l’Oiseau-Parleur, que tous les oiseaux se rassemblent pour admirer ; L’Arbre-Chanteur, que la brise s’arrête pour écouter, et l’Eau couleur d’Or, dont une seule goutte remplit un bassin sans que jamais il déborde, et s’élève en gerbes d’or, pareille à une topaze transparente où aiment à s’abreuver l’Oiseau-Parleur et l’Arbre-Chanteur.
À l’instant, disparut le charme des jardins pour Farizade dont les larmes, figées en perles, jonchaient le sable des allées.
Le départ de Farid
À son retour de la chasse, Farid décida de partir à la recherche des trois merveilles. Il tira de sa ceinture un couteau dont le manche était orné des premières perles tombées des yeux de Farizade enfant. « Si la lame rouille ou se ternit, tu sauras que je suis prisonnier ou en grand danger. S’il en dégoutte du sang, c’est que je serai mort. »
Il chevaucha vingt jours et vingt nuits. Enfin, sous un arbre, il trouva un sage vieillard en prière. Il lui coupa barbe, moustaches et cheveux qui étaient si longs et si épais qu’on ne le comprenait pas quand il parlait. Le vieil homme reconnaissant lui déconseilla une entreprise si périlleuse que nul n’en était jamais revenu. Mais, devant son obstination, il tira de son sac une boule de granit rouge. « Jette-la devant toi. Elle te conduira là où tu veux aller. Mais qui te protègera contre ceux de l’Invisible qui sont des milliers ? Surtout, en aucun cas ne regarde derrière toi. »
La boule de granit rouge s’arrêta au pied d’une montagne. Le prince y attacha son cheval et commença à gravir la pente. Autour de lui, le sol était couvert de blocs de basalte noir : c’était le corps des jeunes gens qui l’avaient précédé. Des cris sauvages, qui n’avaient rien d’humain, éclatèrent. C’était les voix de ceux de l’Invisible qui se moquaient de lui, l’injuriaient et le menaçaient. Il sentit le souffle de l’une d’elles, plus effrayante encore que les autres, tout contre lui dans son dos. Terrifié, il se retourna. À l’instant même, il fut changé en pierre de basalte noir.
Le départ de Farouz
Lorsque Farizade tira le couteau de sa poche, la lame était terne et rouillée. Malgré ses supplications, Farouz partit aussitôt à la recherche de son frère et des trois merveilles. Il remit à sa sœur un chapelet fait de perles : c’était les secondes larmes de Farizade enfant. « Si elles se collent les unes aux autres, c’est que j’aurai subi le même sort que mon frère. »
La boule de granit rouge du vieillard le conduisit au pied de la montagne. Il était parvenu au milieu de son ascension, résistant aux voix, sans répondre aux injures ni aux menaces. Mais lorsqu’il entendit crier derrière lui : « Mon frère ! Mon frère ! » Ne fuis pas devant moi ! » il oublia tout et se retourna. Les grains du chapelet se collèrent les uns aux autres dans la main de Farizade.
Le départ de Farizade
Elle partit à son tour. Comme ses frères, elle rencontra le vieux sage qui lui dit qu’elle ne pourrait délivrer ses frères qu’après s’être rendue maîtresse des trois merveilles. « Comme tu es poussée, lui dit-il, par l’amour de tes frères et non par le désir de conquérir l’impossible, l’impossible sera ton esclave. » Il tira un flocon de laine de sa ceinture et en mit une moitié dans chacune des oreilles de Farizade.
Après avoir suivi la boule de granit rouge, elle gravit la montagne, n’entendant grâce au flocon de laine qu’un bourdonnement confus qui ne la gênait pas. Au sommet, elle vit devant elle une cage d’or sur un socle d’or. Et, dedans, l’Oiseau-Parleur. Elle mit la main sur la cage : « Oiseau ! je te tiens ! tu ne m’échapperas pas ! » Et elle ôta de ses oreilles le flocon de laine. Toutes les voix s’étaient tues, et l’Oiseau-Parleur chanta et dit à Farizade qu’il était son esclave.
Il lui indiqua où trouver l’Arbre-Chanteur, sur l’autre versant de la montagne, si grand que son ombre aurait pu couvrir une armée. Elle entendit son chant, plus beau que celui de la brise et du luth et cueillit un de ses rameaux.
Sur les conseils toujours de l’Oiseau-Parleur, elle se tourna vers l’ouest : là derrière un rocher de turquoise, elle vit sourdre un ruisselet pareil à de l’or en fusion. Dans un creux de la roche était posé un vase en cristal. Elle le remplit d’Eau d’Or, puis, la cage dans une main, le rameau chantant dans l’autre, et le vase sur l’épaule, elle redescendit le sentier, versant sur chaque bloc de basalte noir une goutte d’Eau d’Or. Et la pierre se transformait en homme. Elle délivra ainsi tous ceux qui avaient été pétrifiés et retrouva ses frères.
Le retour de Farizade
À leur retour, le vieillard qui avait appris à Farizade à ne pas prêter l’oreille aux voix qui empêchent de gravir la montagne et à rester sereine en toutes circonstances, avait disparu.
De retour à la maison, Farizade installa la cage de l’Oiseau-Parleur dans le jardin. Aussitôt accoururent toutes les espèces d’oiseaux qui accompagnèrent son chant.
Elle versa une goutte de l’Eau d’Or dans un grand bassin d’albâtre où elle mirait ses cheveux qui étaient d’or d’un côté et d’argent de l’autre. Et aussitôt la goutte foisonna et s’éleva en gerbes étincelantes.
Elle planta le rameau de l’Arbre-Chanteur qui devint, en quelques instants, un arbre immense et se mit à chanter de ses mille bouches invisibles un chant plus beau que celui de la brise et du luth.
Farizade au sourire de rose et ses deux frères vécurent heureux.
Le dénouement
Un jour, au cours d’une chasse, ceux-ci chevauchaient sur un étroit sentier lorsqu’ils croisèrent le sultan qui chassait aussi. Frappé de la beauté et de la noblesse de ces jeunes gens inconnus, il voulut aller chez eux.
Prévenue par Farid, qui avait pris les devants, et sur les conseils de l’Oiseau-Parleur, Farizade mit un voile devant son visage et prépara des concombres farcis de perles. Lorsque le roi arriva, émerveillé de sa visite du jardin, elle les lui servit. Il s’étonna. Alors l’Oiseau-Parleur prit la parole : « Tu as bien cru que les enfants d’une sultane pouvaient être changés en animaux ! Pourquoi t’étonner qu’un concombre puisse être farci de perles ? Rappelle-toi ; “Je lui donnerai des fils dignes de lui. Et une fille dont les cheveux seront d’or d’un côté et d’argent de l’autre. Ses larmes, si elle pleure, seront des perles, ses rires des pièces d’or et ses sourires des boutons de rose.” »
Le chagrin se réveilla dans le cœur du roi qui se mit à sangloter, la tête dans les mains. Alors, Farizade, sur l’ordre de l’oiseau, ôta son voile. Son père la reconnut, ainsi que ses frères. Ils s’empressèrent d’aller délivrer la pauvre reine dans son cachot.
Le jour même, les deux sœurs moururent de rage.
Et ils vécurent ensemble, heureux jusqu’à la fin de leurs jours.