Goût du beau ou culte du laid ?
« L’art est la sagesse faite beauté » Jorge A. Livraga
« Le laid est beau et le beau est laid » : cette réplique des sorcières de Macbeth interpelle. À vouloir s’affranchir du beau, le laid est-il devenu la nouvelle référence ?
Le principal argument de réfutation de critères « universalistes » de beauté est leur caractère apparemment subjectif : on a coutume de dire que les goûts et les couleurs sont affaire de sensibilité individuelle, de culture etc. sans toutefois préciser que les goûts évoluent avec notre lecture de la réalité.
L’autre argument est celui de l’injustice de la beauté puisque certains ont été moins favorisés par la nature : pour la logique dominante de loterie génétique de notre culture matérialiste, c’est irrecevable. Dans son ouvrage Le goût du moche (1), Alice Pfeiffer pourfend les stéréotypes des modes et l’académisme des dogmes en faisant l’éloge du pouvoir d’attraction de la laideur. Cette inversion de critères, revendiquée comme une forme de contestation, voire de liberté, est particulièrement prégnante dans l’art contemporain.
L’art contemporain, miroir d’une société déracinée
Une de ses caractéristiques est de vouloir se démarquer de ce qui fait sens et de réfuter les critères traditionnels d’harmonie, de proportion et de transcendance au bénéfice de l’expression subjective de l’auteur. Ces productions souvent entachées de snobisme voire de vulgarité se vendent fort cher mais ne parlent ni au cœur ni à l’âme. L’artiste n’est plus celui qui capte les essences des Muses, chères à Platon, puisqu’il ne place rien au-dessus de lui : « L’art contemporain ne se donne plus la beauté comme destination. On sanctifie tout ce qui semble moderne, subversif et transgressif. » (2)
Pour Luc Ferry (3), « l’artiste s’imagine volontiers en poète maudit, subversif, voire révolutionnaire, mais la vérité est qu’il met en scène la logique capitaliste de l’innovation destructrice et de la rupture incessante avec les traditions ».
Un aveu d’impuissance
La philosophe Delia Steinberg Guzman (4) explique cet attrait pour la laideur comme un aveu d’impuissance : « la protestation est implicite dans la laideur. Face à l’impossibilité d’apporter remède à beaucoup de maux sociopolitiques, économiques, religieux et tant d’autres, on choisit de déprécier le monde, en montrant son aspect le plus vulgaire et répugnant ; le défi et la tromperie du laid cachent l’impuissance ».
La beauté, une nécessité pour l’âme
Simone Weil, philosophe néoplatonicienne du XXe siècle considérait la beauté comme une nourriture indispensable à la vie de l’âme, un des besoins essentiels de l’être humain.
Mais qu’est-ce que la beauté ? En quoi la nature, considérée comme un modèle par les Anciens est-elle belle ? « L’idée de beauté fait d’abord songer à ce qui se contemple. Elle est aussi un mystère qui laisse sourdre, à travers ce qui se voit, d’avantage que ce qui se voit. » À l’image d’un coucher de soleil, « Le visible devient alors seuil de l’invisible » (5).
Plotin écrit dans Les Ennéades que la beauté est « l’accord dans la proportion des parties entre elles et avec le tout. » Diderot le réaffirme dans son ouvrage intitulé Pensées sur la peinture : « l’unité du tout naît de la subordination des parties ; et de cette subordination naît l’harmonie qui suppose la variété. » Quand il y a union et intégration, il y a beauté.
Inversement le laid pourrait donc être défini comme une absence d’unité entre ses parties comme le suggère Victor Hugo dans sa pièce Cromwell : « Le beau n’a qu’un type ; le laid en a mille ». En effet, s’il existe des canons de la beauté, variables selon les époques et les cultures, le laid n’en a pas.
La beauté n’est-elle qu’apparence ?
Par la magie de Photoshop, les couvertures de magazine révèlent souvent des portraits lisses et sans défaut, offrant une image glacée et superficielle de la réalité. Inversement, la profondeur d’un regard, l’authenticité, l’intelligence, la bonté rayonnante sont belles même sur un visage ridé. Ne dit-on pas que l’œil est la fenêtre de l’âme ?
La dichotomie apparente du beau et du laid trouve son illustration dans la figure de Socrate, personnage énigmatique et contradictoire aux yeux de ses contemporains grecs fascinés par la beauté des formes corporelles et artistiques : Socrate, en effet, est laid mais c’est aussi celui qui a la plus belle âme.
La beauté, un pont avec les archétypes
Faut-il donc sacrifier au culte du laid au nom du sacro-saint droit à la différence ? Sébastien Lapaque nous interroge (6) : « À quoi obéit l’homme quand il peint ou qu’il poétise ? De quel secret veut-il avoir raison ? Quel dévoilement poursuit-il ? Tout simplement celui du monde comme beauté. »
Dans cette même optique, J.A Livraga (7) conférait à l’art une fonction éducative de premier plan : « L’art doit refléter ce que l’artiste a de meilleur en lui et non ce qu’il a de pire ». À l’image du symbole, l’œuvre d’art doit révéler aux yeux de ceux qui la contemplent une vérité cachée qui les transporte dans une dimension plus large, plus inclusive : « Un art sans message est comme une enveloppe sans lettre à l’intérieur ».
Alors exhortons-nous à « abandonner la superficialité corrosive … et à nourrir des finalités dignes pour l’existence ! » (5)
(1) Paru aux Éditions Flammarion, 2021, 200 pages
(2) Benjamin Olivennes : L’art contemporain ne se donne plus la beauté comme destination, par Alexandre Devecchio, Le Figaro Magazine, 29/01/2021
(3) Comprendre enfin l’art contemporain, par Luc Ferry, Le Figaro, 3/06/2021
(4) La dignité et la beauté par Delia Steinberg Guzman, bulletin, novembre 2018
(5) Olivier Rey : Les écrans nous dispensent désormais de nous mouvoir dans le monde par Laurence De Charrette, Le Figaro, le 12/03/2021
(6) L’Empire du non-sens de Jacques Ellul et L’Autre Art contemporain de Benjamin Olivennes : requiem pour des avant-gardes, par Sébastien Lapaque, Le Figaro, 04/02/2021
(7) Prends ton envol, Jorge A Livraga, Éditions Nouvelle Acropole, 2002
par Sylvianne CARRIÉ
Formatrice de Nouvelle Acropole Lyon
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