La bipédie a existé en Europe il y a 11,6 millions d’années
La découverte d’une nouvelle espèce de singe remet en cause la date d’apparition de la bipédie chez les ancêtres de l’homme. Le consensus était compris entre 5 et 7 millions d’années, mais une étude réalisée par Madelaine Böhme de l’Université de Tübingen en Allemagne, apporte un nouvel élément à ce débat.
Une étude publiée dans la revue Nature assure que la découverte en Bavière de fossiles d’un singe inconnu, vieux de plus de 11 millions d’années, aide à mieux comprendre le passage de nos ancêtres sur leurs deux jambes. Madelaine Böhme et ses collègues ont découvert ces fossiles dans une fosse d’argile en Bavière, dans le Sud de l’Allemagne. Ils ont trouvé 37 os appartenant à quatre individus : un homme adulte, deux femmes adultes et un jeune. Ils ont nommé cette nouvelle espèce Danuvius guggenmosi et pour les auteurs de l’étude, cette espèce pourrait illustrer la façon dont les singes ont accédé à la bipédie, d’abord dans les arbres en tant que mode de déplacement secondaire, puis finalement au sol. Le fossile constitue en ce sens un bon modèle de ce qu’aurait pu être le dernier ancêtre commun des grands singes et des humains. L’âge des fossiles a été daté par magnétostratigraphie (1).
Le nom de genre fait référence au dieu romano-celtique Danuvius, personnification du Danube, qui coule à proximité. Le nom de l’espèce a été donné en honneur à Siegulf Guggenmos (1941-2018), archéologue amateur qui avait découvert le site de Hammerschmiede de Pforzen dans le sud-ouest de la Bavière.
Une position redressée
Danuvius guggenmosi était un petit singe, pesant entre 17 et 19 kg pour les femelles et 31 kg environ pour les mâles, qui mangeait probablement des aliments comme des noix. La colonne vertébrale avec sa courbe en S (comme la nôtre) tenait le corps droit sur deux jambes et la construction de l’animal, sa posture et la façon dont il s’est déplacé sont uniques parmi les primates.
« Pour la première fois nous avons pu étudier plusieurs articulations importantes du point de vue fonctionnel, notamment le coude, la hanche, le genou et la cheville, dans un seul squelette fossile de cet âge » a déclaré le professeur Madelaine Böhme. Son collègue David Begun de l’Université de Toronto, au Canada ajoute : « Il n’y a aucune raison de penser qu’il n’aurait pas utilisé les quatre membres lorsque cela aurait eu du sens, par exemple dans les petites banches où l’équilibre était précaire. Mais il était également capable à la fois de suspension comme le chimpanzé et de bipédie sans assistance ».
Situé bien avant la séparation « hommes/grands singes », à l’époque du Miocène moyen où l’Europe était bien plus chaude qu’aujourd’hui et la végétation tropicale, Danuvius guggenmosi montre que certains primates pouvaient adopter une position redressée et marcher sur leurs pieds, mais dans les arbres. C’est pour cela que ses membres inférieurs et son bassin sont aussi proches des nôtres. Ses bras étaient d’ailleurs presque aussi longs que ses jambes, avec un coude flexible et des mains puissantes munies de doigts recourbés capables de maintenir une forte pression, donc adaptés à la suspension comme ceux de leurs lointains descendants qui se déplacent de la même façon.
Les grands singes ont fini par disparaître d’Europe il y a 8 millions d’années. Si cette découverte permet de confirmer l’hypothèse d’une bipédie précoce et diversifiée, elle alimente aussi un autre débat entre spécialistes. Les grands singes bipèdes, ancêtres des premiers hommes, sont-ils les descendants de ces singes européens ? Les forêts tropicales n’ont pas disparu subitement d’Europe. Leur superficie s’est rétrécie, leurs habitants, plutôt que de s’adapter à de nouveaux environnements, ont pu suivre ce rétrécissement qui, au fil des millénaires et des générations, les aurait fait disparaître d’Europe et se confiner en Afrique.
Et quand Homo erectus, le plus vieux représentant du genre Homo connu en Europe, est arrivé d’Afrique il y a deux millions d’années, il n’a croisé sur sa route aucun autre grand singe bipède.