La flute de roseau
Un conte racontant la transmission d’une vengeance d’une père à son fils.
Sauvé par la Word Cinema Foundation de Martin Scorsese, voici une nouvelle pépite d’or du cinéma mondial, un film du Kazakhstan, qui s’offre au spectateur comme un conte mystérieux, une nouvelle fantastique venue d’un lointain passé aux qualités visuelles exceptionnelles, rendues par un éclairage frontal tamisé dont les sources lumineuses sont captées à partir d’une science de l’utilisation des rayons du soleil. Cette lumière si particulière délivre un film de grande portée philosophique dans lequel l’esprit et la matière vivent en harmonie dans l’univers et que l’oeil saisit sans nécessairement comprendre et en s’affranchissant de tout rationalisme.
La flûte de roseau montre un prince situé dans une Corée médiévale devenu roi, bien imbu de son autorité qui place la force au dessus de toute valeur. Alors qu’il est prêt de faire exécuter l’un de ses hommes, son ami d’enfance, un poète, lui conseille de suspendre cette exécution. Puis, déçu, le poète choisit l’exil car son inspiration s’est progressivement tarie. Ainsi se dessine le thème central du film, l’opposition entre le pouvoir et la poésie, l’impossibilité d’enfermer la poésie dans un carcan, la liberté que l’homme doit conquérir pour s’affranchir de toute forme d’aliénation. Construit comme un conte à tiroir proche des Mille et une Nuits, La Flûte de Roseau se déroule en sept périodes, qui va du passé au contemporain. Il raconte la transmission d’une vengeance d’un père à son fils. Le fils frappé par cette malédiction culturelle est condamné à une existence tournée vers une tache sordide qui le prive de sa liberté de choix. Mais les rebondissements de l’histoire de la vie font en sorte que jusqu’à un certain point rien n’est écrit, mais en même temps accepter que nous ne sommes pas maître de ce destin. Ici la nature participe à fond dans cette histoire imprégnée de la pensée bouddhiste.
L’écriture de La Flûte de Roseau est surprenante faite de ruptures, d’ellipses, de flashback, de cycles, dans de belles compositions picturales qui tracent des lignes obliques de la terre vers le ciel. À des moments déterminés, des gros plans de visages permettent de saisir subrepticement l’âme des personnages. La poésie envahit cette oeuvre splendide tout en brassant un ensemble de sentiments contradictoires positifs et négatifs en l’homme. On pense aussi à Rûmi lorsqu’un personnage dit «l’homme est comme une flûte sur laquelle on joue une mélodie».
Ce film nous informe aussi qu’une diaspora de plusieurs milliers de Coréens, en plein territoire de l’ex-U.R.S.S., juste avant la seconde guerre mondiale, fut expulsée par Staline, qui les considérait comme une race inférieure, au Kazakhstan. Shinarbaev capta chez ces hommes certaines légendes. C’est seulement au moment de la Pérestroïka initiée par Gorbatchev que put enfin être évoqué ce drame historique, et que fut donnée la permission à Ermek Shinarbaev et Anatoli Kim de mettre en chantier Mest (qui signifie «vengeance» en kazakh. Ce film fut diffusé en France au Festival de Cannes, seulement en 2010. Acteurs du film : Alexandre Pan, Valentina Te, Kasim Jakibaev.
Par Lionel TARDIF
Mardi 20 mai 2014 à 19 h
Espace Daniel Sorano : 16, rue Charles Pathé – 94300 Vincennes
Tel : 01 43 74 73 74 www.espacesorano.com