La magie du feu, la magie du mystère, troisième niveau de magie
« Le plus beau sentiment du monde, c’est le sens du mystère. Celui qui n’a jamais connu cette émotion, ses yeux se sont déjà fermés » – La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie » Einstein (1879-1955)
Avec les deux articles précédents, le premier niveau de la magie « la magie des sens », et le deuxième niveau de la magie « la magie des liens » nous avons gravi deux marches qui nous conduisent à la fin de notre voyage au troisième niveau de la magie. Ici, c’est le mystère qui nous attend.
Rappelons-nous, le mot magie, il vient du persan, de la racine mag – magus qui signifie « science, sagesse ».
Au premier niveau de la magie, le prestidigitateur se joue de nous comme la Nature le fait en nous faisant croire en des choses qui ne sont pas. Comme elle, il utilise nos sens et fausse la Réalité. Il le fait pour notre plus grand bien, provoquer l’étonnement. Il nous rappelle à un vécu lointain, à la mémoire de cet enfant pour qui la vie est « tout magique » (voir ci-contre, L’escamoteur de Jérôme Bosch).
La magie de la quintessence
Devenus adulte, les tours de passe-passe réveillent en nous ces questions en lesquelles nous n’osons plus croire. La magie existe-t-elle vraiment ? Conduit-elle à l’émerveillement dont parlent les sagesses du monde ? Est-ce une quintessence ?
Alors, nous devons gravir une marche de plus. Sortir des effets trompeurs du premier niveau de la magie pour nous diriger vers d’autres contrées, où l’on entend et voit autrement. Là-bas, le deuxième niveau de la magie nous attend et nous livre ses réponses. Oui, répond celui-ci, mais à une double condition.
Premièrement, abandonner le mental « Tacatacata » ou le mental « hamster » celui qui fait tourner en rond. Ce mental qui sait tout, le mental qui veut tout contrôler et nous enferme dans la logique de l’hyper rationalité.
Deuxièmement, gagner en éthique et en son application. Ne pas s’installer dans une attitude d’usurpateur et de manipulateur mais dans une attitude d’homme de lien, d’unité, d’amour, et purifier ses intentions. Voir en l’autre le reflet de soi et non une absence, voir dans le monde, la beauté du sens et non un désenchantement de séparatisme.
Le deuxième niveau de la magie nous incite à sortir du monde des apparences, pour aller vers un inconnu que nos cinq sens ignorent. Une transformation s’affirme, une deuxième naissance s’opère, éduquer nos sens pour les sublimer à une autre perception. Ici, la Dame à la Licorne, reine des cinq sens (1), sera notre guide et notre magicienne.
« L’opération de la magie est l’attraction d’une chose par une autre en vertu d’une affinité naturelle… Ainsi, l’aimant attire le fer… Les œuvres de la magie sont donc des œuvres de nature (naturelle)… Et la Nature est appelée magicienne en vertu de cet Amour réciproque… Toute la puissance de la magie réside dans l’Amour ».
Marsile Ficin (2).
« La grandeur d’un métier est peut-être, avant tout, d’unir les hommes : il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines » Antoine de Saint-Exupéry.
«… L’Homme n’est pas un élément perdu dans les solitudes cosmiques, mais c’est une volonté universelle qui converge et s’harmonise en lui ». Pierre Teilhard de Chardin (3).
La Magie, un feu
Ayant vaincu les faux-semblants, étant sortis victorieux du désenchantement de l’hyper-rationalité, ayant éveillé notre entendement à d’autres perceptions, nous voilà rendus aux portes du troisième niveau de la magie.
Pour y rentrer il faut accomplir un sésame. À savoir, exécuter le geste le plus magique qui soit donné à l’Homme. Le geste qu’aucun tour de magie ne peut vaincre, qu’aucune raison ne peut étouffer. Un geste réalisable par tous et accessible à tous, singulier et universel. En sa présence, l’Homme exprime sa vraie nature, celle qui marque sa différence avec les minéraux, les végétaux, les animaux.
Ce geste, cet acte, les anthropologues, les préhistoriens en soulignent sa naissance il y a 500 000 ans environ. Comment l’Homme l’a appris ? Personne n’en connaît la réponse. Du scientifique le plus éclairé, au poète le plus imaginatif, tout le monde est ignorant. Il est une énigme dans son origine et un prodige dans son accomplissement. Pourtant, grâce à lui l’Homme rentre dans la voie qui conduit à la porte des mystères et découvre un nouvel horizon, le monde des interrogations les plus nobles.
Ce geste si singulier et si universel, quel est-il ? En voici sa teneur, il est simple mais en même temps riche en signification. L’Homme sait donner vie au feu. Il peut accoucher cette lumière qui demeure en sommeil dans toutes choses. Il sait l’apprivoiser et en devenir son gardien. Le feu est un grand compagnon de l’Homme, un grand inspirateur de son évolution qui, de milliers d’années en milliers d’années lui révèlera ses secrets.
Avec la magie du feu, l’Homme apprivoise le mystère, l’indicible. En apprenant à le regarder, il s’éduque à voir l’invisible (les lois) dans le visible (les effets).
Certes, les esprits plus terre à terre diront : avec le feu l’Homme a pu faire cuire sa nourriture et en conséquence faire reculer les parasitoses, mais pas que cela, il s’est ouvert aux questions métaphysiques, aux causes essentielles. En le contemplant, son imaginaire se structure, devient de plus en plus sensible à l’imperceptible. Avec le feu comme ami, il ressent une présence en lui, celle de l’inexploré.
Aussi, à l’image d’une flamme qui cherche sa verticalité, l’Homme s’enfante à une transcendance, aux questions sur l’infini, sur la mort, sur l’immortalité, sur Dieu. Les rites surgissent, il enterre ses morts, construit des temples, pose des bougies. Il évoque une spiritualité. Le mystère s’installe, le feu en est son agent. L’Homme lui rend hommage pour tout ce qu’il lui évoque et inspire. Il le célèbre avec des cérémonies qu’il préside comme symbole d’un esprit qui doit trouver vie en chacun de ses participants.
Mais voilà, avec le feu, l’Homme a aussi trouvé une arme. S’il ne veut pas se détruire lui-même il faut qu’il grandisse dans son authenticité, qu’il accepte de vivre en lui ce que le feu provoque autour de lui, à savoir se purifier.
Le feu est une puissance comme le mental l’est pour la condition humaine. L’Homme va apprendre à s’en servir et il deviendra le feu de l’attention, le feu de la concentration, le feu du mental qui s’est ouvert au discernement. Son symbole sera une épée enflammée telle celle de Manjushri (4) représentant de la Sagesse chez les Tibétains. Mais aussi le bâton de Merlin qui s’enflamme quand il parle aux chevaliers et les met en cercle pour créer l’esprit de la Table Ronde et l’unité du monde ou encore le bâton de Gandalf quand il combat avec sa sagesse les forces de Sauron. Il sort également du bout des doigts de Yoda dans sa lutte avec Palpatine ou autre Sith dans l’épopée cinématographique Starwars.
En architecture, on le retrouve avec les pyramides qui évoquent son nom et son mystère (« Pyr » veut dire, feu). Mais aussi avec les torches des vierges sages et des vierges folles sur le portail central de Notre Dame de Paris, qui aboutissent pour les unes à la porte ouverte des mystères et pour les autres à la porte fermée des mystères.
Le feu, une flamme qui vacille, une flamme qui s’élève. Le feu, une flamme qui cherche sans cesse le vertical, qui établit un lien entre le ciel et la terre. Le feu, source d’inspiration, symbole du sublime, de l’ineffable. « Si tu veux la sagesse, trouve l’ineffable » dit la prière du judaïsme mystique. Le feu, une torche qui conduit au centre du labyrinthe et se change en torche des mystères, « Ne crains pas le mystère. Deviens son fils préféré ; sache que le mystère le plus grand, la racine même de l’énigme est le moteur immobile de l’univers. C’est vers Lui que conduit la sagesse. » Jorge Angel Livraga (5).
Le mystère, l’enfant de la Grande Ignorance, telle est la quête des trois niveaux de la magie, s’offrir à Lui et y trouver source de fécondité.
Laissons les derniers mots à Jean d’Ormesson (6).
« Plutôt qu’un secret ou une énigme, l’univers est un mystère et notre vie est un mystère. Et, il nous est interdit de percer ce mystère » – « Du mystère du rien est sorti le mystère de notre tout. Un mystère a donné naissance à un autre mystère. »