La médecine en Égypte, l’origine naturelle de la maladie
La médecine occidentale doit beaucoup à la médecine égyptienne non seulement par l’application de techniques qui remontent à plus de cinq mille ans mais dans la conception de la maladie qui pour les Égyptiens avait une origine naturelle et non divine.
Depuis la Haute Antiquité, à l’époque du Nouvel Empire, vers 1300 à 1200 avant J.-C, la médecine égyptienne jouissait d’une incontestable renommée, tant en Égypte qu’à l’étranger (auprès de leurs ennemis les Hittites, des Grecs comme Homère, Hérodote, Diodore de Sicile…). Même Hippocrate s’initia aux mystères de cette science en Égypte. Il écrira, suivant ce qu’il a appris, dans ses Prolégomènes : «Les choses sacrées ne doivent être enseignées qu’aux personnes pures ; c’est un sacrilège de les communiquer aux profanes avant de les avoir initiés aux mystères de la science.» La pureté se traduit en égyptien par le mot ouab qui veut dire prêtre pur. Pour recevoir des enseignements, et pratiquer la médecine, il faut être préparé et purifié dans tous les sens du terme.
Les trois types de médecins
Le premier type de médecin était le sounou, médecin généraliste laïc qui, bien qu’ayant appris sa science dans le temple, vivait dans les villages. Sounou vient du mot sou (lancette de chirurgie,) du mot nou (pot à pharmacie) et de la racine soun (souffrance). Le sounou était celui qui s’occupait des souffrants. Guidé par le dieu Thot, il était capable de soigner des fièvres, soigner des traumatismes, réduire des fractures, pratiquer des interventions chirurgicales. Certains sounou étaient spécialisés dans le traitement de certaines parties du corps : par exemple, le sounou irty, ophtamologiste.
Le second type de médecin était le wabou-Sekhmet, (ouab), prêtre médecin «pur» de la déesse lionne Sekhmet, qui quand elle était apaisée, était capable de guérir, ou quand elle était en colère, pouvait envoyer des maux et des épidémies. Le wabou-Sekhmet vivait dans la maison de vie, partageant son temps entre sa formation théorique et l’exercice de la médecine. Certaient ouabs déambulaient en Égypte trois à cinq mois par an. Face à des épidémies, le wabou-Sekhmet était capable d’apaiser la colère de la déesse Sekhmet et la transformer en chatte paisible Bastet, en récitant des formules prophylactiques et magiques. Le wabou-Sekhmet avait pour modèle le prêtre-médecin-architecte Imhotep, premier médecin historique qui aurait organisé les écoles de médecine dès l’Ancien Empire, selon le modèle construit à Saqqarah.
Le troisième type de médecin était le sawou, sorcier qui avait pour mission de protéger le fluide vital, le double, appelé Ka. On recourait à lui quand le médecin ne pouvait pas guérir. En Égypte, les médecins étaient encadrés, contrôlés par un ministère officiel de la santé. La santé (celle de pharaon ou du peuple) faisait partie de l’ordre de la Maât (1), et la maladie était considérée comme un déséquilibre, une rupture de l’ordre dont la cause était naturelle.
La maladie, résultat d’éléments corrompus
Pour les Égyptiens, la maladie avait une cause naturelle dont l’origine, la pathologie Oukhedou venait en fait des germes de putréfaction issues des matières fécales et des intestins, qui se répandant dans les vaisseaux, gagnaient les différentes parties du corps, engendrant la maladie, accélérant la vieillesse et la dégénérescence.
La thérapeutique avait donc à exercer une double action : exorciser l’agent pathogène (éléments humides, corrompus et impurs) et réparer les désordres causés par lui. On purifiait le corps en permanence (celui des vivants comme des momies) pour éviter qu’oukehdou ne se répande dans l’organisme tout entier. On recourait à la diététique, aux lavements avec des herbes et des essences, par des techniques similaires à la médecine ayur-védique. Les Égyptiens pratiquaient également l’incubation, technique mystique de soin basée sur le jeûne, les prières, l’isolement, l’interprétation des rêves.
Mais il fallait déterminer avec précision l’origine de la maladie et les traitements appropriés.
La consultation médicale
La consultation médicale commençait par un véritable examen clinique avec un interrogatoire très serré et l’examen de l’aspect du visage, de la couleur des yeux, des phénomènes particuliers, des odeurs, du pouls…. À la fin de l’examen, le médecin prononçait un diagnostic. Il décidait des remèdes et des préparations avec l’aide du pharmacien. Dans la pharmacopée égyptienne, on trouvait plus de sept cents plantes pour soigner toutes sortes de maladies et les venins et les poisons faisaient également partie des traitements.
En Égypte, aucune maladie n’était maudite, honteuse ou le résultat d’un châtiment divin. Les malades étaient des êtres qui souffrent et qu’ils fallait aider à comprendre leur maladie pour qu’ils participent au processus de guérison. Le médecin racontait au patient l’histoire mythique de la maladie, pour que celle-ci ait un sens dans la réalité de l’univers et quelle devienne plus compréhensible pour lui. Le patient qui comprenait le sens de sa maladie pouvait mobiliser ses défenses immunitaires et fortifier sa psyché. Les Égyptiens pensaient que l’esprit et la psyché agissaient sur la biologie et réciproquement.
On sait que les Égyptiens pratiquaient la chirurgie notamment à Abydos, qu’ils savaient réduire des fractures, appliquer des pansements, pratiquer la trépanation, l’opération des yeux, traiter les problèmes féminins (l’obstétrique dans le temple de la déesse Neith à Saïs, les problèmes de stérilité au temple de la déesse Bastet à Tell-Basta (bubastis)…). Pour soigner, les Égyptiens avaient également recours à des papyri médicaux.
Les papyri médicaux
Il y avait à la bibliothèque d’Alexandrie une encyclopédie médicale en six volumes dont il n’est resté que le sommaire. Mais l’importance de la pratique médicale était consignée dans une quinzaine de papyri, écrits en langue grecque sacrée. Le plus célèbre et le plus ancien est le papyrus Ebers, écrit en 1550 av. J.-C., dans le Nouvel Empire, regroupant sept cents formules de maladies internes, classées en fonction des organes concernés. Le Papyrus d’Edwin Smith était selon son auteur, une copie du Moyen-Empire du livre d’Imhotep, intitulé le livre secret des médecins, livre d’enseignement exotérique et ésotérique, dont il ne reste que quelques chapitres, notamment sur le cœur mais qui exposait une médecine objective, scientifique basée sur de minutieuses observations et une très bonne connaissance de l’anatomie humaine. Ce livre était déposé dans la bibliothèque de chaque temple.
Plus que des techniciens, les médecins étaient de véritables initiés capables de comprendre la souffrance et de la traiter dans le respect total de l’ordre et de l’équilibre, et des lois de l’univers appliquées à l’homme. De vrais philosophes en quelque sorte.
Par Marie-Agnès Lambert
(1) Maât est la déesse symbolisant la Justice, l’équilibre, l’ordre, la vérité et la rectitude.
À lire
G. LEFEVRE, Essai sur la médecine de l’époque pharaonique
PUF, 1953
Yvan KOENIG, Magie et magiciens dans l’Egypte ancienne
Ed. Pygmalion, Paris, 1994
B. HALIOUA, La médecine au temps des Pharaons
Ed. Liana Levi, 2002