Sciences humaines

La résistance, changer notre regard sur le monde

Les alertes concernant les risques de catastrophe écologique ne suffisent pas pour nous faire agir. La force d’inertie est grande car nous nous sommes coupés de la Nature et de ses lois.

Cyril Dion, auteur de l’ouvrage « Petit manuel de résistance contemporaine » (1) invite à explorer des stratégies pour engager une résistance.

Un manifeste signé par 15 364 scientifiques de 184 pays appelle les dirigeants et citoyens du monde à se réveiller : « Pour éviter une misère généralisée et une perte catastrophique de biodiversité, l’humanité doit adopter une alternative plus durable écologiquement que la pratique qui est la sienne aujourd’hui. […] Il sera bientôt trop tard pour dévier de notre trajectoire vouée à l’échec. » (2)
La croissance économique profite à une minorité et nous arrivons à penser qu’un petit nombre d’individus gouverne le monde. Toutes les six secondes, un enfant meurt de faim, un être humain sur neuf n’est pas assez nourri, … (3). La destruction va plus vite que la régénération de la nature malgré des efforts consentis.
Toutes les propositions faites dans beaucoup d’ouvrages, articles de presse, documentaires sont peu efficaces car nous évitons de nous pencher sérieusement sur la question.

L’auteur constate qu’il s’agit d’abord de rechercher les causes de nos conduites erronées, pour résister face à un danger comparable à une guerre mondiale, comme l’évoquent Cyril Dion ou également Hubert Reeves.
Nous ne devons pas prendre les armes mais changer notre façon de voir le monde.
Chacun d’entre nous est partie prenante de cette entreprise de destruction massive d’une façon ou d’une autre.
Nous devons donc réfléchir pour faire les choix constructifs d’un monde écologique.

Donner du sens

L’être humain se caractérise par sa capacité à donner du sens. Il se raconte des histoires (récits) pour comprendre, interpréter son existence et se projeter dans un avenir meilleur.
Nancy Huston écrit (4) : « Nous seuls percevons notre existence sur Terre comme une trajectoire dotée de sens (signification et direction) : un arc. Une courbe allant de la naissance à la mort. […] Les fictions sont vitales à l’homme…[…] unificatrices, rassurantes, indispensables » (5).
Le monde actuel est construit autour d’une fiction : le mythe du progrès matériel, héritage du siècle des Lumières. Nous croyons que le bonheur provient de l’acquisition de richesses matérielles. Au XIXe siècle, cette mentalité a été nourrie par le capitalisme et l’industrialisation avec une croyance en un futur matériel prospère. Aujourd’hui les faits parlent d’eux-mêmes : l’homme est réduit à une fonction économique. Il a perdu le lien avec la Nature. Il s’est également coupé de sa nature profonde, ce qui a généré de l’angoisse et un manque de confiance en la vie.
Cyril Dion explique que nous vivons sans avoir conscience d’être esclaves de l’idéologie du « mythe de progrès » (6).
Bien sûr nous agissons. Prenons par exemple le mouvement des « gilets jaunes » (7) ou les manifestations de la jeunesse pour réclamer des actions politiques contre le réchauffement climatique. Mais ces actions sont insuffisantes.
Il est difficile de se déconditionner du « mythe du progrès » car nous le prenons pour la réalité. Nous restons consommateurs du système et réclamons et attendons des autres une solution.
Nos actions sont cloisonnées. Beaucoup d’entre nous pensent « à quoi bon ! », constatant que beaucoup n’agissent pas. Notre approche écologique est celle d’un mouvement pour la survie, ce qui ne fait pas rêver. Chacun prétend avoir raison au nom d’un intérêt particulier ou de parti, et nous nous égarons en « chamailleries ». Cyril Dion dit : « Nous ne savons pas vivre autrement. » (8)
Nous devons nous interroger sur les fondements de notre conduite qui consiste à rester plongés dans un cadre de vie si peu réjouissant.

La résistance

Selon Cyril Dion, il existe plusieurs formes de résistance.
La résistance, c’est d’abord changer notre regard sur le monde.
Nous devons nous pencher sur un autre rêve : un monde véritablement écologique pour lequel résister parce que notre conscience et nos valeurs le dictent.
Ensuite, la résistance est individuelle.
La première étape consiste à examiner les « récits » qui conduisent à l’inefficacité de nos actions.
Il appartient à chacun de prendre réellement conscience de l’urgence de changer.

Pour cela, la méditation est un moyen de plus en plus pratiqué pour sortir des habitudes et prendre le temps de l’introspection. Changer de « récit » nous incite à élever le niveau de réflexion au sens métaphysique : quel sens donnons-nous à notre présence sur Terre ? Quel est notre lien avec elle ? Quelle vision écologique nous tient à cœur ? Et plus concrètement : quelles villes, quelles maisons, quelle nourriture, quel « vivre ensemble » pour demain ?

Chacun d’entre nous est concerné par la situation actuelle.
Avant d’imaginer un futur meilleur, nous devons d’abord comprendre et assumer le problème voire la crise car chacune d’entre elles est une opportunité d’évolution.
Et si nous mettions la priorité sur l’expression des qualités de l’Être plutôt que sur la richesse matérielle ?

Matthieu Ricard dans son ouvrage Le plaidoyer sur l’altruisme (9), démontre que l’être humain est naturellement altruiste. L’altruisme est une ressource intérieure qui nécessite de la pratiquer pour l’actualiser. Par cette qualité d’être, l’homme s’ouvre sur les autres et le monde. Il prend conscience de l’interdépendance des différents règnes de la Nature.
Quelle merveilleuse histoire chacun peut construire en mettant l’être humain au cœur de ses actions !
Matthieu Ricard dit : « L’altruisme est le fil d’Ariane qui relie le court terme de l’économie, le moyen terme de la qualité de vie et le long terme de l’environnement. » (10)

Changer de « récit » personnel est un acte de résistance qui ouvre un espace vivant. Nous devenons acteurs et responsables face au monde !

La résistance collective

Cyril Dion écrit : « Si nous voulons emmener des millions de personnes avec nous, nous devons leur dire où nous allons… » (11).

La bataille est culturelle : proposer une vision écologique de l’avenir satisfaisante, construire de nouveaux modèles de vie, les partager et les réaliser grâce à des projets concrets (paysage, urbanisme…).

Nous avons besoin d’un plan.
Pour Cyril Dion, les priorités sont : respecter l’équilibre naturel de notre planète, favoriser l’épanouissement de chaque être humain tout en s’appuyant sur les textes fondamentaux comme la Déclaration des Droits de l’Homme. (12)
Il donne trois grands objectifs : stopper la destruction et le réchauffement climatique, mettre en place la résilience et régénérer la planète et ses modèles économiques.
Ce changement profond peut être véhiculé par des artistes (conte, bande dessinée, film…) mais aussi par des entrepreneurs, des économistes, des ingénieurs…

Cyril Dion propose des solutions concrètes : l’application de la méthode des petits pas, Kaizen (13) en japonais, pour agir en conscience.
Réveillons notre créativité, stimulons nos capacités d’empathie, enrichissons nos connaissances et développons notre enthousiasme pour agir dans le sens de la Transition (14). Proposons des espaces permettant à un grand nombre de personnes d’agir par elles-mêmes, d’oser faire exister leurs rêves, en s’appuyant sur une sagesse de Vie.

Nous devons promouvoir une coopération d’actions entre élus, entrepreneurs et citoyens (15). La loi interdisant l’utilisation de pesticides dans les espaces publics a été promulguée le 1er janvier 2017 grâce au sénateur du Morbihan (Joël Labbé), au soutien des ONG et de nombreux citoyens. Elle est appliquée dans de nombreux lieux. Actuellement des groupes humains agissent pour des valeurs de solidarité et de générosité (Pompiers de Paris, Restos du cœur…).

Il est temps d’agir. Si chacun d’entre nous devient acteur d’un projet fondé sur l’altruisme et la solidarité, il crée un espace vivant et attractif. Alors, lorsque ces finalités seront partagées par un nombre important de personnes, les forces s’uniront pour construire un lieu de vie habitable pour l’homme et tous les règnes de la nature.

(1) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Éditions Actes Sud, 2018
(2) Extrait de l’article Le cri d’alarme de 15000 scientifiques sur l’état de la planète » par un collectif, publié le 13 novembre 2017 dans le quotidien Le Monde
(3) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Éditions Actes Sud, 2018, chapitre 1, opus cité
(4) L’Espèce fabulatrice, Nancy Huston, Editions Babel. 2010, page 14
(5) Ibidem, page 191
(6) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Éditions Actes Sud, 2018, page 57
(7) Lire l’article Gilets jaunes plus qu’un fait de société, un enjeu de civilisation, par Fabien Amouroux dans la revue Acropolis N° 309 (Juillet 2019)
(8) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Éditions Actes Sud, 2018, chapitre 4
(9) Plaidoyer pour l’altruisme, la force de la bienveillance, Matthieu Ricard, Éditions Nil (2013), édition revue et corrigée aux Éditions Pocket, 2014
(10) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Éditions Actes Sud, 2018, page 135
(11) Ibidem, page 49
(12) Lire l’article, 70e anniversaire de la Déclaration universelle des Droits de l‘Homme, Que sont devenus les droits de l’homme ? de Marie-Agnès Lambert, paru dans la revue Acropolis N° 302 (Décembre 2018)
(13) Revue bimestrielle fondée par Cyril Dion, Patrick Baldassari et Pascal Greboval, https://kaizen-magazine.com
(14) Lire le Hors-série n° 8 de la revue Acropolis, Éduquer à la Transition, paru en aout 2018
(15) Petit manuel de résistance contemporaine, Cyril Dion, Editions Actes Sud, 2018, page 40
Par Marie-Annick LOYER
Agir pour le climat
Entre Éthique et profit
par Valéry LARAMEE de TANNENBERG
Préface de Valérie MASSON-DELMOTTE
Éditions Buchet Chastel/ Dans le Vif, 2019, 137 pages, 12 €
Depuis plus de trente ans, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) fait régulièrement le point sur l’état des connaissances en matière de climat. En 2014, un rapport a été publié faisant état de la nécessité de contenir le réchauffement à la surface de la Terre en dessous de 2°C et de poursuivre les efforts pour le limiter à 1,5°C. En 2015, le rapport a évalué l’impact de ce réchauffement et de la nécessité de limiter l’augmentation de la température sinon la planète encourt des risques majeurs pour la sécurité en eau, aliments, santé, activité économique… Ce rapport étudie également l’application de transitions éthiques et justes permettant d’améliorer le bien-être de tous et d’atteindre les objectifs du développement durables des Nations Unies (entre autres, obtenir le zéro émission de gaz à  effet de serre). Aujourd’hui, des acteurs non étatiques, entreprises, ONG, juristes, organisations philanthropiques se mobilisent pour infléchir et faire pression sur les politiques gouvernementales, face à l’urgence. Le livre signale les actions menées ainsi que les contradictions politiques et le rôle et les actions de ces acteurs civils dans la  transition.
Le cercle vertueux
Entretiens avec Lionel Astruc
par Nicolas HULOT et Vandana SHIVA
Éditions Actes Sud/Les liens qui libèrent, collection Domaine du possible 2018, 144 pages, 16 €
Vandana Shiva, militante écologiste, féministe et figure du mouvement altermondialiste avec son réseau de 120 banques de semences agricoles, et Nicolas Hulot, créateur de la Fondation pour la nature et l’homme (FNH), qui a entre autres participé à l’organisation de la COP 21 se sont réunis pour  réfléchir sur l’urgence pour l’humanité de transformer sans plus tarder les sociétés face aux inégalités (1 % de la population concentre 93 % de la richesse mondiale) et les injustices entre les individus et les pays et la dégradation de  l’environnement.  «  Nous vivons dans un monde fini avec des ressources finies […], nous sommes une seule famille sur une seule planète […], et si nous détruisons une fraction de cette planète, nous nous mettons nous-mêmes en danger. » Il faut mettre en place un « cercle vertueux », d’actions concrètes afin de réussir la transition et de faire émerger toutes les formes de solidarité. Parmi elles, faire payer les pollueurs, relier le monde politique et la société civile, s’inspirer de ce qui se fait au niveau local pour l’appliquer à tout le pays, développer l’agroécologie, créer une institution internationale où les enjeux Nord-Sud seraient traités réellement, intégrer la notion d’éocide dans le droit international, créer une « chambre du futur » à la place du Conseil économique, social et environnemental en France et surtout gérer et non dominer.
La pensée écologique
Par Timothy MORTON
Éditions Zulma essais, 2019, 272 pages 20 €
Nous faisons face à une crise écologique : réchauffement climatique, extinction de masse des espèces faune et flore… le retour à l’ère de l’Anthoropocène ? L’écologie telle qu’elle est comprise aujourd’hui n’apporte aucune solution car elle repose sur des concepts erronés. Il faut inclure non seulement les sciences de l’écologie mais également toutes les voies imaginables de la coexistence, du vivre ensemble Il faut « une pensée écologique » n’est pas uniquement ce que l’on pense mais comment on le pense, dans tous les domaines : art, littérature, musique et culture. L’auteur s’appuie sur des auteurs (Darwin, Lévinas, William Wordsworth, Arthur Rimbaud) des chanteurs (la chanteuse islandaise Björk ou le groupe Pink Floyd) et également sur des films Blade Runner de Ridley Scott A.I. Intelligence artificielle de Spielberg..). Pour l’auteur, tout est interconnecté avec tout, inclus dans un « maillage » global tissé par les siècles passés et à venir. Nous devons « penser grand et agir grand », intégrant la complexité, et construire « un monde d’être et non d’avoir » où il n’y a pas de retour en arrière possible ! Par un philosophe international, maître de la chaire Rita Shea Guffey à l’Université Rice de Houston.
Les 8 lois du changement
Devenez acteur de la transformation individuelle et mondiale
par Stephan SCHWARTZ
Éditions  Guy Trédaniel, 2019, 271 pages, 18 €
L’auteur, scientifique, historien et écrivain américain démontre que la transformation sociétale bienveillante ne se fait que par un comportement collectif et individuel qui suit 8 lois qu’il expose  dans les nombreux exemples puisés dans l’histoire mondiale. Il fait ainsi le récit de la vie de grandes figures comme Martin Luther King, Benjamin Franklin, mère Térésa et le Mahatma Gandhi. Il conclut que si les changements imposés par la force et la violence sont peu durables, les 8 grandes lois qu’il décrit ont un impact profond sur la société par un phénomène si subtil qu’il est souvent pris à la légère, car il met en œuvre des choix conscients au quotidien nécessitant « l’êtreté » de l’individu.

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