L’agriculture plus morte que vive ?
Depuis 50 ans, l’investissement dans des outils agricoles énormes (tracteurs, moissonneuses), permet de produire énormément de calories alimentaires en faisant l’économie du travail humain. Mais ceci a un coût environnemental et humain énorme.
Aujourd’hui le rendement énergétique de l’agriculture intensive est désastreux.
Le modèle alimentaire que l’on a développé après-guerre, nommé « révolution verte » était basée sur l’énergie à profusion et sur la génétique, les intrants chimiques (engrais et pesticides) et la mécanisation, des machines toujours plus grosses pour chercher des gains de productivité. Les études montrent qu’il faut dix unités de calories fossiles pour produire une unité de calories alimentaires avec ce modèle. Dans un monde avec moins d’énergie, cela ne peut plus fonctionner.
La dégradation des sols stérilise la terre. De plus, ce modèle de production la vie du sol n’est pas prise en considération (1).
Le paradigme est le suivant : on travaille les sols profondément avec de gros tracteurs, on choisit des semences à fort potentiel, on apporte des engrais pour nourrir cette plante mais pas le sol.
La terre n’est vue que comme substrat dans lequel on plante une graine (éventuellement OGM), et on apporte de l’extérieur tout ce dont la plante a besoin pour se nourrir. Si elle tombe malade, on a les insecticides et fongicides. Et s’il y a un problème de concurrence et d’enherbement, les herbicides. La logique du « contrôle total » !
On tue la vie des micro et macro-organismes du sol qui le rendent poreux et ceci entraîne des phénomènes d’érosion forts par la pluie et le vent, une imperméabilité (sol imperméable) empêchant la reconstitution des nappes phréatiques, et une infertilité rendant nécessaire les apports d’engrais massifs
L’effondrement des biodiversités augmente les maladies
Dans le modèle intensif, la biodiversité est vue comme une contrainte. On a procédé à de gigantesques remembrements dans les années 70 et 80 pour arracher les haies car la biodiversité est une perte de surface agricole. Cette logique de simplification des systèmes pour produire toujours plus, se retourne aujourd’hui contre nous. Car ce sont les synergies du vivant qui en font la richesse et non les reproductions artificielles à partir de quelques éléments isolés rajoutés par l’homme.
En parallèle d’un appauvrissement de la biodiversité naturelle, la biodiversité cultivée a été sacrifiée. À la recherche de la meilleure efficacité, les cultures les plus adaptées au traitement industriel ont été privilégiées et le nombre de variétés cultivées s’est effondré en même temps que leur valeur en termes de santé.
La biodiversité cultivée s’effondrant depuis cinquante ans, la diversité génétique des plantes cultivées s’érode d’année en année et en même temps leur résilience avec face aux maladies.
Une surproduction de CO2
L’agriculture est responsable directement de 19% des gaz à effet de serre (GES) par le méthane lié à l’élevage, le protoxyde d’azote dû aux épandages d’engrais, et le CO2 des énergies fossiles des tracteurs et des bâtiments. Mais cela peut atteindre 30% des GES, si l’on y inclut tout ce qui est lié à l’alimentation et au commerce alimentaire planétaire (transports).
Ceci ne prend pas en compte les effets de la pratique agricole du labour : dès qu’on commence à travailler les sols, on déstocke du CO2. La concentration de CO2 dans les sols est de 100 à 300 fois supérieure à ce qu’elle est dans l’atmosphère. En labourant, on relâche le CO2 qui était dans le sol.
De plus, le labour, en même temps qu’il libère le CO2 du sol, fait rentrer l’oxygène de l’air dans le sol : le taux d’oxygène dans l’air est de 21 %, celui du sol est de 14%. Si l’on fait rentrer de l’oxygène à concentration plus forte que sa concentration dans le sol, il se produit un phénomène d’oxydation qui va minéraliser la matière organique et engendrer un dégazage de CO2. Ces émissions ont été désormais mesurées.
Un coût collectif immense
En France, entre 1982 et 2012, les trois quarts des communes ont subi au moins une coulée d’eau boueuse du fait de l’érosion hydrique. Ainsi, depuis les années 70, on ne fait que noter une baisse de la fertilité, une baisse de la matière organique, une baisse du carbone qui se trouve dans les sols. L’érosion par le vent et les pluies est aujourd’hui énorme, et la baisse de fertilité produite par ce type d’agriculture selon les calculs de la Commission Européenne, coute 1,25 milliards d’euros par an.
Selon l’association Ferme d’Avenir (2) qui soutient le développement de l’agroécologie en facilitant la création de fermes alternatives (3) par de jeunes agriculteurs, le coût de disparition de la biodiversité, des pollutions des eaux et la dégradation des sols dues au modèle intensif industriel, représente entre 15 et 64 milliards d’euros par an.
Les projections de l’Europe à 2050 montrent le développement des sécheresses, maladies, et leurs conséquences sur la souveraineté alimentaire.
Au final cette agriculture coûte très cher à tout le monde, mais ne nourrit ni n’attire plus les jeunes. Nous nous dirigeons vers un univers agricole sans agriculteurs (2050) dans lequel des tracteurs-robots ou des « esclaves » modernes travailleront pour des organisations internationales propriétaires tant des sols que des semences.
Comment penser une agriculture durable dans un modèle qui intègre le caractère fini de notre planète ? Le changement climatique occupe les unes des journaux par les « catastrophes » qu’il engendre et nous restons malgré cela attachés à des critères de mesure de notre « bien-être » comme le PIB (Produit intérieur brut) qui ne mesure en rien le bien-être humain mais la combustion rapide du vivant sur terre. Et si le bonheur avait une dimension plus qualitative et intérieure, nourri par le lien aux autres, à soi, à la nature ?
Or, il nous faut une agriculture plus désirable, condition pour qu’elle devienne durable et permette d’aller vers l’autonomie alimentaire indispensable dans les temps qui viennent.
Nous devons donc revoir nos modèles afin d’en assurer la « soutenabilité » tant matérielle qu’humaine. Or, les paramètres proposés opposent trop souvent les deux critères, montrant que la façon d’aborder le sujet n’est pas correcte.
Il nous faut penser autrement et convaincre les tenants du modèle obsolète mais ne pas leur demander de trouver la solution. Comme le disait Albert Einstein, « ne demandez pas à un système qui est à l’origine du problème d’en assurer la sortie ». Ceci paraît toujours d’actualité.