L’alchimie du couple, intégrer les différents archétypes en soi et dans l’autre
Aborder le sujet de l’alchimie dans un couple suggère que la durabilité d’une relation requiert quelque chose de plus qu’une attraction passagère, des goûts communs ou une descendance partagée. Dans cette période où le sujet de la relation féminin/masculin fait l’objet de positions tendues voire extrémistes, nous vous proposons à travers le dernier ouvrage de Laura Winckler, une approche sensible et très documentée pour mieux comprendre les référentiels respectifs de l’homme et de la femme avec entre autres, les éclairages de la psychologie jungienne et des mythes de création dans les différentes traditions ainsi que l’art perdu de l’authentique courtoisie.
« Seul ce qui a été convenablement séparé peut être convenablement lié »
Proverbe alchimique
Égaux mais pas semblables
Nous savons déjà que sur un plan physiologique, les hormones sexuelles conditionnent en partie les réponses que nous allons apporter aux différentes situations et il suffit d’observer une cour de récréation pour se convaincre que les garçons et les filles n’ont généralement pas les mêmes centres d’intérêt dans les étapes de leur apprentissage (avec toutes les exceptions qui confirment la règle). Et que pour pouvoir se retrouver et s’apprécier plus tard dans une complémentarité respectueuse, dynamique et fructueuse, ils doivent d’abord apprendre à reconnaître ce qui les distingue. Nous possédons tous la double polarité masculin/ féminin sans laquelle nous serions éternellement condamnés à un dialogue de sourds ou une guerre sans merci. C.G. Jung nomme animus la contrepartie masculine inconsciente chez la femme et anima la contrepartie féminine inconsciente chez l’homme. Nous sommes dans une recherche de complétude car selon Platon, nous portons la nostalgie de l’unité perdue et de l’androgyne primordial.
Alors l’homme et la femme, comment fonctionnent-ils ? Sont-ils semblables et interchangeables ? Prenons un exemple. Monsieur et Madame sont perdus en voiture : le GPS (assistant de navigation personnel) ne répond plus. Monsieur, se fiant à son instinct, tel un chasseur dans la jungle, va chercher à se débrouiller et à se repérer dans l’espace tandis que Madame suggère de s’arrêter au prochain village pour demander conseil et ne pas perdre plus de temps. Ainsi, l’orientation dans l’espace serait plutôt l’apanage de l’homme tandis que la conscience du temps et des cycles celui de la femme.
Les réponses au stress aussi sont différentes : Monsieur va s’enfermer dans son mutisme dont il ne sortira qu’en trouvant quelque chose à réparer pour se sentir utile ; tandis que Madame va raconter sa journée avec force détails, pour se sentir comprise : « La femme a besoin de se sentir écoutée, pas qu’on résolve ses problèmes » (1). « L’homme a besoin de se sentir apprécié, reconnu… utile et de sentir qu’il garde le contrôle » (2).
Comment alors construire un couple durable ?
Même si, à l’ère du tout jetable, la pérennité dans les relations n’est pas trop dans l’air du temps, nous avons tous été touchés par quelques vieux couples qui semblent comme bonifiés par l’âge dans une relation de tendre intimité et complicité, tissée par des décennies de vie partagée. De même que toutes les relations amoureuses ne naissent pas d’un coup de foudre, les sentiments évoluent au cours d’une vie, tout comme notre relation à nous-mêmes et au monde. Les besoins évoluent, s’affinent et parfois divergent.
Vivre ensemble de manière harmonieuse est un véritable apprentissage qui réclame d’intégrer l’autre dans notre bulle et vision du monde. Le dialogue et l’apprentissage de la gestion des conflits sont une clé maîtresse pour sortir des malentendus et autres sous-entendus, avec patience, bienveillance et sans moralisme, en commençant par écouter vraiment. L’alter égo ou âme sœur idéale ne veut pas dire que l’autre est comme moi mais un autre moi, donc autre : je vais chercher en lui ou elle ce qui me manque. Il importe déjà de clarifier ses intentions et ses besoins, afin d’instaurer une relation véridique : cherche-t-on à combler la solitude ? Les fins de mois ? À se conformer à des normes sociales ?
Laura Winckler nous explique les différentes réponses aux conflits et les niveaux de relation, analogiques à la maturation des individus selon les âges de la vie ; la relation émotionnelle est celle de l’enfant qui ramène tout à lui et cherche à se rassurer ou s’imposer ; la relation de type personnel serait plus celle de l’adolescent en quête d’identité narcissique pour qui l’autre est un faire-valoir ; la finalité étant de parvenir à une relation de type philosophique, possible seulement quand les deux partenaires regardent ensemble vers une même étoile et que « chacun d’eux réalise son propre travail intérieur d’individuation en cherchant à intégrer leurs principes complémentaires » (3). Le Logos et l’Eros de C.G. Jung (ou pensée et sentiments), peuvent s’harmoniser en dépassant l’attachement à nos préjugés et opinions. De même, le yin (puissance de réceptivité) et le yang (puissance d’émission) de la tradition taoïste ne sont pas en concurrence : ce sont des forces universelles qui permettent à l’univers de se mouvoir harmonieusement.
Décliner les saisons de l’amour
Au fil du temps, l’amour se transforme, comme tout ce qui existe et peut, soit se cristalliser et se réduire à une simple cohabitation consentie ou subie, ou même dépérir faute d’entretien, à l’image d’un jardin abandonné ; soit évoluer vers une relation plus riche et complexe.
Les aspérités de la relation sont adoucies par le polissage de l’âme qui développe une compréhension plus profonde et inclusive. Si le printemps est la saison de la fougue amoureuse et des tendres bourgeons, l’été le temps des premières prises de conscience, où, « il nous faudra faire des efforts et commencer à mieux comprendre nos psychologies respectives et assumer nos forces et faiblesses », l’automne est la saison de la récolte des fruits, le temps du partage apaisé. Enfin, l’hiver nous invite à un temps d’introspection plus profond pour nous purifier, développer « la capacité de se guérir soi-même sans éclabousser l’autre de nos reproches » (4) et accompagner l’éternel renouvellement des cycles afin de redonner un nouvel élan à la relation.
Comment vivre la relation symbolique et mythique à l’autre ?
La représentation qu’on se fait de l’autre conditionne le type de rapports que l’on va rechercher. Les mythes grecs nous offrent un panel évolutif de modèles des deux polarités auxquels on va chercher à s’identifier au cours d’une vie : toute femme ne porte-t-elle pas un peu en elle, à la fois une séduisante sirène, une femme de pensée et d’action, une mère compatissante, une femme sage ? Et chaque homme n’aspire-t-il pas à ressembler aux héros de la force, de la puissance de séduction, d’action, du verbe ? L’évolution harmonieuse du couple implique d’apprendre à actualiser ces facettes encore virtuelles de nos personnalités et d’inclure peu à peu les formes de l’autre dans leur richesse et diversité. Toute relation durable s’appuie sur le partage d’un idéal commun, elle se construit et s’entretient pour s’embellir et fructifier. « Car l’amour est un talent à cultiver et pas seulement une émotion ».