L’art de la décision. La maîtrise de nos trois cerveaux
De nouvelles découvertes en neurosciences ont mis en évidence la présence de neurones et d’un réseau complexe de neurotransmetteurs, protéines et cellules d’appui dans le cœur et l’intestin. Ainsi il n’y aurait pas un cerveau mais bien trois. Comment interviennent-ils dans les prises de décision ?
Toute la journée, nous prenons des décisions… Qui les prend ? Qui décide ? Soi-même, une partie de soi ? Les autres ? Tout à la fois ? Que se passe-t-il au moment de la décision ou juste avant ? D’où proviennent nos décisions ? Dépendent-elles de notre esprit, de notre corps ? Quels sont leurs circuits ? Autant de questions auxquelles les scientifiques tentent de répondre.
Les dernières découvertes scientifiques ont mis en évidence la présence de neurones également dans notre intestin et plus récemment encore dans notre cœur. De nouvelles questions se posent alors : nos décisions sont-elles l’exclusivité des neurones de notre cerveau ? Ou aussi de ceux de l’intestin et du cœur ? Ces derniers peuvent-ils être considérés comme un centre de décision à part entière ?
Le fonctionnement de nos trois cerveaux
Le cerveau ventral – situé dans l’intestin – source du «moi ventral» est bouillonnant, réactif. Il est très dense. Il accueille la matière qui se transforme par lui. Il est créateur d’énergie vitale. C’est la partie la plus puissante de notre corps : il possède la force de créer nos pulsions qui l’emportent souvent dans nos décisions. Il a un appétit énorme : comment lui résister quand la peur nous tenaille, quand l’envie nous dirige, quand la colère nous emporte ? Nous lui cèdons par souffrance. C’est un véritable dictateur. Il veut tout posséder, notamment l’autre (à travers l’amour physique, mais aussi l’amour filial : un amour d’appropriation qui n’admet pas de fissures : c’est MON frère, MA mère…).
Le cerveau de la tête, source du «moi cérébral» est froid. Il réfléchit et pense. Plus complexe que l’intestin, il est une caisse de résonnance. Notre époque est celle de son apogée : les plus forts d’aujourd’hui, ceux qui dirigent, ne sont pas physiquement les plus forts, mais les plus cérébraux, ceux qui ont fait le plus d’études. Il conceptualise les choses, est le champion de la dissection, de la séparation, du «pour» et du «contre». Il aime démontrer les hiérarchies et les différences, «nous avons tort», «nous avons raison». Il est lui-même juge et partie et pense avoir raison, surtout quand ses raisonnements lui paraissent bien construits, même si les bases peuvent être fausses : il peut créer des «tours de Pise» (1). Il peut nous piéger par ses énormes capacités. Il est illusoire jusqu’à nous rendre aveugle. Il aime choisir : c’est l’amour amitié «tu es mon ami, parce que…».
Le cerveau du cœur, source du «moi des sentiments» est vivant, en constant va-et-vient, comme la circulation sanguine, comme la respiration, comme le mouvement sexuel. Il accueille et régénère le sang, notre fluide vital. Il est tendre et fragile. Il est le siège des sentiments et est très difficile à cerner : il n’y a pas de bornes aux sentiments.
Avoir trois cerveaux : source de déséquilibre ou de puissance ?
Le cerveau ventral est dictateur, le cerveau cérébral illusoire et le cerveau sentimental nous emporte dans des élans. Mais chacun est vital, on ne peut vivre sans l’un d’entre eux. Participent-ils à notre équilibre intérieur ? Sont-ils indépendants ou dépendants les uns des autres ? Ou au contraire, sont-ils source de déséquilibre ?
Pulsions, envies, pensées, sentiments, émotions, chaque expression provoque des réactions entre chaque cerveau. Nous sommes en présence de vases communicants. Tous trois réagissent comme nos muscles : plus ils s’expriment et plus ils grossissent. Leurs appétits peuvent devenir énormes. Alors, ils aiment et veulent toujours plus : des sensations toujours plus fortes, des raisonnements toujours plus poussés, des passions impossibles à assouvir.
Quand il y a déséquilibre
Plus le «cerveau ventral» grandit, plus il a faim, plus il réclame, plus il domine. C’est une spirale dont il est difficile de sortir car il utilise sa puissance physique jusqu’à la douleur pour faire céder les autres cerveaux. Il les domine facilement en aspirant vers lui l’énergie : s’il rencontre de la résistance, il aspirera l’énergie du cerveau cérébral jusqu’à ce qu’il vienne à son secours pour justifier ses pulsions : «je peux manger ce carré de chocolat, ce n’est pas grave, ce n’est qu’un carré». À l’extrême, le «cerveau ventral» peux m’autoriser à tuer. Face au puissant cerveau ventral, le cerveau cérébral perd une partie de sa liberté. Si la domination est répétitive, elle modifiera la personnalité par habitude : à la longue un caractère peut devenir brutal. Ou quand il devient trop obèse, il grossit comme un ballon de baudruche. Devenu énorme, il «dépassera» notre espace vital et se heurtera à tout ce qui nous entoure : nous deviendrons alors susceptibles. Le comportement extrême du cerveau ventral est l’addiction.
Plus le «cerveau cérébral» domine, plus il grandit et davantage il conceptualise et sépare les choses, davantage encore il exerce son esprit critique jusqu’à détruire ce qui peut être bon, par des raisonnements apparemment justes. Pour devenir puissant, il concentre le maximum d’énergie vers la tête jusqu’à donner l’illusion que lui seul à raison. Il impressionne par ses capacités cérébrales et séduit les autres cerveaux par la beauté de ses raisonnements. Il développe l’individualisme. Il ne vit que dans le «Moi et les autres». Champion de la justification, il peut prendre la décision de faire du mal s’il peut la justifier. Il peut valider des mensonges s’il pense qu’ils sont utiles, même pour venir au secours d’une envie ou une pulsion.
Le «cerveau sentimental» est très subtil et à du mal à se faire entendre, et parfois peut ne jamais être entendu. Pour que son expression soit perceptible, il doit développer un fort sentiment ou obtenir des autres cerveaux le silence. Il s’ouvre alors et propage dans tout le corps l’émotion de ses sentiments, parfois en créant la confusion ou le trouble. Dans l’excès, il peut amener à la passion sentimentale. Ouvert, il peut accueillir et prendre conscience de l’autre. Il devient alors sans défense, peut terriblement souffrir et se refermer ensuite.
Quand il y a alliance
Si l’un des cerveaux s’allie avec un autre, leur ascendant devient alors très grand.
Quand le cerveau ventral aspire et musèle le cerveau cérébral, les deux cerveaux réunis développent sans frein l’envie, l’avidité béante et désordonnée.
Quand le cerveau cérébral domine le cerveau ventral, les deux cerveaux réunis développent le désir ou le fantasme.
Quand le cerveau cérébral perturbe le cerveau ventral, ils génèrent des angoisses et peuvent provoquer la maladie.
Quand le cerveau ventral s’allie au cerveau sentimental, ils développent la nostalgie.
Quand le cerveau sentimental se noue au cerveau ventral, le cœur ouvert peut laisser échapper l’énergie vitale du cerveau ventral jusqu’à son extinction, jusqu’à entraîner le suicide.
Quand le cerveau cérébral justifie le cerveau sentimental, ils peuvent développer la haine : «je te déteste, parce que…»
La maîtrise des déséquilibres
Comment maîtriser les déséquilibres ?
La première étape consiste à démasquer la naissance des déséquilibres de nos trois cerveaux : Lequel des trois s’exprime ? Qui prend le pouvoir maintenant ? Dans quel cerveau se trouve mon «je» ?
Dans une deuxième étape, il s’agit d’observer ses manques : l’énergie ventrale et vitale manque-t-elle ? A-t-on l’impression d’être inférieur ? Sait-on aimer l’autre ? Quand s’expriment ces manques ? Sont-ils répétitifs ?
La troisième étape conduit à accepter le déséquilibre, à ne pas rejeter le cerveau qui domine sinon celui-ci se défendra et deviendra plus fort : «je t’ai vu, tu es moi, tu fais partie de moi». Il ne faut pas prendre ses exigences au sérieux : pour désarmer le cerveau ventral, le rire est de mise, pour le cerveau cérébral, c’est l’humour – contraction d’«humain» et d’«amour» – et pour le cerveau sentimental, c’est la légèreté.
À la quatrième étape, on entame un dialogue éducatif de tous les instants. Par exemple : avec le cerveau ventral, ne pas hésiter à différer la satisfaction de l’envie : «pas tout de suite», cela n’est pas dire «non». Ainsi, il espère toujours et ne se débat plus. On peut également satisfaire partiellement l’envie, l’amoindrir en utilisant le mental. Si la demande est forte, mettre des barrières et des interdits aux pulsions. S’il y a résistance, il faut sortir l’énergie des pulsions par la respiration. Si la demande est intarissable, il faut la «vomir» physiquement.
Quand le cerveau cérébral s’impose, montrer que l’on n’est pas dupe, «oui je reconnais ton raisonnement…», ne pas le prendre au sérieux ni le culpabiliser, pour ne pas perdre la force de résister. Quand le cerveau cérébral cède au désir, l’affaiblir en cédant partiellement.
Quand le cérébral est piégé par le plaisir de l’opposition, laisser s’exprimer celle-ci jusqu’à la noyade des arguments.
Pour maîtriser le cerveau sentimental, s’étonner et créer du recul sur l’émotion : «Tiens, encore cet élan ?». Il faut intellectualiser l’émotion, vivre avec ses émotions et rechercher le merveilleux.
Vers le «tri-moi »
L’observation constante du comportement de ses cerveaux cherchera à répondre aux questions : quels sont mes déséquilibres récurrents ? S’expriment-ils toujours de la même façon en fonction des circonstances (amour, amitié, famille, sexe, argent, vie professionnelle, vie quotidienne) ? Qui suis-je vraiment ?
Nous ne sommes pas tout à fait ventral, cérébral ou sentimental. Notre identité est vivante : on passe d’un cerveau à l’autre suivant les circonstances. Et rechercher, en fonction des contingences et des circonstances où elle se place, où se trouve son «je», permet de la piloter pour la faire circuler d’un cerveau à un autre. Il est alors possible de provoquer des interactions entre nos «cerveaux» – profiter de ces «vases communicants» – pour créer son «tri-moi», l’union de nos cerveaux, notre véritable identité. Quand le cerveau ventral et le cerveau cérébral s’associent, le mental se fortifie. Quand le cerveau ventral et le cerveau sentimental s’associent, «l’autre» prend toute sa place, ce qui permet la tendresse. Quand le cerveau cérébral et le cerveau sentimental s’associent, l’intuition peut plus facilement émerger.
La maîtrise des déséquilibre entre nos trois cerveaux, la circulation du «je» entre eux et l’émergence de son «tri-moi» permettent de retrouver son indépendance, sa liberté d’être pour rester soi-même.
Par Max PRIEUX
(1) Tour de Pise, monument de Toscane inclinée de façon très caractéristique (actuellement d’un angle de 3,99° vers le sud) apparu très rapidement après sa construction. Son inclinaison serait dûe soit à un défaut de fondation, soit à sa construction sur une plaine alluviale dont le terrain (la marne) se serait affaissée.