L’exposition sur l’art préhistorique actuellement présentée au Musée de l’Homme (voir encadré) nous met en contact avec la surprenante finesse et cohérence des représentations artistiques dites primitives qui résonnent en nous avec une familiarité troublante.
Au-delà de l’émotion esthétique devant les œuvres présentées, cette exposition nous interroge sur l’identité et l’unité des populations préhistoriques par-delà les frontières d’espace et de temps.
En présentant une fresque des œuvres les plus anciennes connues d’Homo sapiens remontant à – 40 000 ans, l’on constate avec étonnement que les plus vieilles n’ont rien à envier aux plus récentes. Ainsi la qualité des fresques de la grotte de Chauvet qui remontent à – 36 000 ans est comparable à celles de Lascaux, réalisées vers – 19 000 ans. Nous sommes dans de longues échelles de temps et on ne peut plus parler, comme on le faisait avant, d’une évolution progressive et linéaire du plus simple vers le plus complexe.
Un nouveau paradigme pour l’art primitif ?
Ceci remet-il tout bonnement en cause la notion d’art primitif ? « L’art de la préhistoire est loin d’être figé, le renouvellement des connaissances est constant. La préhistoire est une jeune discipline scientifique » dit Éric Robert (1). Il nous explique qu’il s’agit d’une science en construction qui évolue avec les nouvelles techniques et fait reculer constamment les dates des origines de l’humanité. On maintient des classifications par confort basées sur les modes de production des outils, mais tout cela est très relatif et changeant, obligeant à une grande ouverture d’esprit face aux découvertes incessantes qui modifient les paradigmes en cours.
Riches des découvertes des premiers paléontologues avec des ébauches d’interprétation, les nouvelles générations de chercheurs avancent dans la recherche de sens de ce besoin humain de se relier intimement à la nature qui l’entoure et à lui-même à travers ces représentations animales et humaines.
L’humain en l’homme présent dès l’origine ?
Une diversité de styles et de symboles ainsi que les bases communes qui apparaissent dans des lieux si divers comme l’Europe, l’Afrique et jusqu’en Sulawsi, en Indonésie font émerger la notion de culture et prouvent l’existence d’une humanité capable de réflexion et de transmission avec un référentiel commun.
Ces œuvres nous parlent d’une humanité une, douée d’intelligence et voulant transmettre son vécu. Sa capacité d’adaptation aux conditions difficiles de la période glaciaire nous interroge et nous propose une réflexion sur notre propre capacité d’adaptation aux changements à venir sur notre planète.
Nos ancêtres sapiens (et probablement les humanités précédentes) étaient doués de réflexion et pour cela, nous devons nous interroger sur la dimension philosophique de leur message et de leur époque, ce qui nous invite à renouveler notre regard sur leurs œuvres. C’est la proposition de Jean-Paul Jouary (2) : « Cette civilisation d’hier n’est pas primitive. Ce vocable est erroné, fautif qui déconsidère ceux qui nous ont précédés, comme si nous avions, avec le progrès scientifique et technique, augmenté notre intelligence depuis. La propension à considérer les cultures » traditionnelles » ou » primitives » comme statiques, tandis que la nôtre serait en progrès, oublie le dynamisme de la tradition orale. La transformation n’est pas l’apanage des sociétés » modernes ». Peut-être au contraire, est-ce nous qui, en dépit de nos progrès théoriques et techniques, de la raison, de l’utilitarisme et de l’efficacité, pour ne pas dire de la productivité et de la domination, avons depuis lors perdu quelque chose : ce qui relève de la sensibilité, de la sensation, de l’affectivité, de l’incertain, de l’intuitif, du plaisir, du jeu et donc de l’art d’être humain ? En d’autres termes, vivons-nous une déshumanisation ? »
Ces réflexions nous invitent à rester humbles et admiratifs devant le message de nos ancêtres à écouter plus avec le cœur qu’avec la tête et peut-être nous apporterons quelques réponses utiles à nos angoisses contemporaines.
Découvrir les trésors de l’exposition
Les trois thèmes principaux de l’art préhistorique sont les représentations animales, les signes géométriques et les figurations humaines. Le sujet de prédilection est l’animal. Les représentations humaines sont plus rares, surtout des silhouettes féminines, sculptées, gravées et peintes dont les styles varient tout en gardant un lien à travers des milliers d’années d’écart. Ils ont représenté également des vulves et de phallus.
Les spécialistes reconnaissent que le sens de cet art nous échappe, mais les œuvres d’une qualité exceptionnelle de précision, notamment les représentations de toute sorte d’animaux de leur environnement, depuis les sauterelles jusqu’aux mammouths, font preuve d’une acuité de vision et un sens artistique très sûr.
L’exposition est organisée en trois grands espaces. Le premier sur l’art mobilier consacré aux objets sculptés et gravés, façonnés par Homo sapiens depuis 40 000 ans. Le deuxième, sur l’art pariétal et rupestre avec des projections des fresques peintes gravées par nos ancêtres tout autour du monde. Le troisième, particulièrement original, est un hommage à la Venus de Lespugue qui demeure une muse inspiratrice pour l’art contemporain, en sachant qu’en 2022 on célébrait le centenaire de sa découverte dans une grotte de Haute-Garonne.
À partir du 8 février 2023, un autre clin d’œil au dialogue entre les arts a été mis en valeur avec une salle consacrée à Picasso et la Préhistoire, en sachant qu’il a dit sur la Venus de Lespugue, dont il s’inspira pour certaines œuvres, qu’elle évoquait « la quintessence des formes féminines ».