Société

Le chat GPT, nouvelle pilule bleue ?

Le « chat GPT », robot conversationnel en ligne, offre des réponses très convaincantes à n’importe quelle question, savante ou farfelue. L’intelligence artificielle peut-elle supplanter l’intelligence humaine ?

Le « chat GPT », robot conversationnel en ligne, offre des réponses très convaincantes à n’importe quelle question, savante ou farfelue : l’intelligence artificielle peut-elle supplanter l’intelligence humaine ?

Texte
Ce robot, d’une éloquence stupéfiante, en accès libre et gratuit, a ébahi des millions d’internautes. Il est capable de résoudre toutes sortes de problèmes à l’aide l’algorithmes qui traitent en un instant d’énormes masses de données. Mais si cette intelligence artificielle peut nous surpasser dans bien des domaines cognitifs précis (sciences, histoire, langues..) elle ne saura pas répondre à une question d’ordre moral ou de type philosophique comme la nature du Bien. Elle se contentera seulement de citer et de croiser toutes les définitions et références sans jamais se positionner en conscience.
Pourtant, comme le développe Luc Ferry (1), « le rêve des posthumanistes, qui professent un matérialisme radical serait de parvenir à une Intelligence artificielle forte dotée comme la nôtre de conscience de soi, de libre arbitre et d’émotions, mais « incarnée sur une base non biologique » « ; une post-humanité dont nous deviendrions bientôt, comme le prophétise avec anxiété Elon Musk, « les animaux domestiques ».

Nous simplifier la vie ou en perdre l’essence ?

L’intelligence artificielle apparaît aujourd’hui comme une aubaine pour les curieux, les étudiants qui peuvent obtenir sans effort un développement hyper documenté sur n’importe quel sujet. Toutefois, pour Isabelle Gregor (2), son but ne serait pas seulement de nous simplifier la vie et de nous épargner la peine d’apprendre et d’étudier, le robot de l’intelligence artificielle rendrait inutile notre intelligence limitée : « Pour les uns, il est juste un nouvel outil mis au service, non de notre besoin de culture, mais de notre paresse. […] Pour les autres, il n’est qu’un instrument de pouvoir, […] à visée messianique. »

Un instrument de pouvoir ?

Une chaîne de télévision a questionné le chat GPT sur la validité d’un certain médicament décrié par les autorités scientifiques : la réponse a souligné l’absence de preuves avérées sans même mentionner les autres angles d’approche et le retour du terrain sur cette question controversée.
« Il (chat GPT) est incapable de prendre en compte la diversité, la relativité et la variabilité des points de vue. […] Notre perroquet savant ignore l’ironie, le doute, le second degré et les sous-entendus qui font toute la richesse d’un discours. Mais on est encore loin du second sens donné depuis l’Antiquité à l’intelligence : il s’agit de ce fameux « bon sens » qui nous permet de repérer les évidences. » (3)

Les machines peuvent-elles penser ?

Pour Mayor (4) « la révolution numérique ne serait qu’une actualisation dans le présent d’anciennes technologies. […] Une réinvention plus qu’une révolution. […] Les technologies déjà investies des espoirs de l’humanité d’être assistée voire suppléée dans ses tâches physiques (par les robots) et intellectuelles (par l’Intelligence artificielle). » Les avancées technologiques, disait Jorge Livraga (5), ne présument pas de la conscience de l’homme mais n’en sont que les instruments, de même que l’outil n’est qu’une prolongation de la main. Et ce qui l’a conçu est l’intelligence humaine et non la machine. Dans ce même ordre d’idée, Mayor ajoute que les transformations technologiques ne provoquent pas de mutations mécaniques des modèles de comportements humains (6).

Une vision de progrès ou de barbarie ?

Comme le dénonce Marc Cherki (7), les risques seraient que cette technologie soit utilisée à de mauvaises fins : l’adage rabelaisien « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » est d’actualité. De nouvelles armes numériques seront à la portée d’États voyous ou totalitaires, de cybercriminels et d’organisations terroristes sous forme de surveillance, d’influence, ou d’attaques numériques.

Ils veulent appuyer sur pause

Elon Musk et des centaines d’experts mondiaux ont exprimé leur inquiétude, évoquant des risques majeurs pour l’humanité : course incontrôlée pour développer et déployer des cerveaux numériques toujours plus puissants, que personne – pas même leurs créateurs – ne peut comprendre, prédire ou contrôler de manière fiable. « Devons-nous risquer de perdre le contrôle de notre civilisation ? » (8). À jouer les apprentis sorciers, ne risque-t-on pas de se faire dépasser par sa créature ?

GPT versus Socrate ?

Miguel de Lucas (9) estime quant à lui, que le philosophe grec aurait combattu l’intelligence artificielle au nom de la vertu et de la justice. On peut imaginer Socrate harcelant Chat GPT comme un taon (s’il avait eu internet), le poussant dans ses retranchements jusqu’à l’amener à des contradictions flagrantes. Socrate aurait reconnu ses vieux ennemis dans le chat GPT : les sophistes, ces habiles rhétoriciens, marchands de savoir qui ne voyaient dans la connaissance qu’un moyen de convaincre et d’exercer une influence, sans souci aucun de vérité.
Or, pour de Lucas, « cette lutte infatigable pour la vérité est ce qui nous rend humains. C’est cette essence qui nous distingue de ces machines pensantes aussi intelligentes qu’idiotes, aussi riches de données que vides d’idées. » On trouve dans conscience de soi, intelligence d de Platon, par la bouche de Socrate, l’expression de ses inquiétudes sur la confusion entre la fausse science et la véritable connaissance qui est intérieure : « Cet art (l’écriture) produira l’oubli dans l’âme de ceux qui l’auront appris, parce qu’ils cesseront d’exercer leur mémoire. Quand ils auront, en effet, beaucoup appris sans maître, ils s’imagineront devenus très savants, et ils ne seront pour la plupart que des ignorants. »

Alors que manque-t-il à chat GPT ?

Pour Xavier Pavie (10), le jugement est sans appel : « le Chat GPT ne se prononce pas, il accumule des propos, il n’a aucune conviction. Il est incapable d’associer volition et qualité et encore moins de comprendre le sens. […] L’enjeu de ce débat est de souligner notre paresse intellectuelle, le confort dans lequel nous nous laissons aller en nous réfugiant derrière des textes, de l’apprentissage sans conviction. La seule valeur ajoutée de l’espèce humaine est l’imagination ».

Finalement il manque à Chat GPT la conscience de soi et l’intelligence du cœur, caractéristiques essentielles de l’être humain ! Nos robots pourront nous servir la sauce mais n’inventeront jamais la recette.

(1) Luc Ferry, Les trois visages de l’intelligence artificielle, Le Figaro, 05/04/2018
(2) Isabelle Grégor, Chat GPT : ami ou ennemi ? Hérodote, 05/03/2023
(3) Luc Ferry, Avec Chat GPT, allons-nous vers l’I.A. forte ?, Le Figaro, 23/02/2023
(4) Isabelle Grégor, Chat GPT : ami ou ennemi ?, Hérodote, 05/03/2023
(5) J.A Livraga, écrivain et philosophe, fondateur de Nouvelle Acropole
(6) Lionel Obadia, professeur en Anthropologie sociale et culturelle, Université Lumière Lyon 2, Chat GPT : (encore) une « révolution anthropologique » ? The Conversation, 22 février 2023
(7) Marc Cherki, Une vision terrifiante de l’intelligence artificielle, Le Figaro, 22/02/2018
(8) France-info avec Agence France Presse, publié le 29/03/2023
(9) Miguel de Lucas, Pourquoi Socrate aurait détesté Chat GPT : El Pais [Madrid), 17/01/2023
(10) Le point de vue de Xavier Pavie, les Echos, 4 avril 2023
Sylvianne CARRIÉ
Formatrice en philosophie à Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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