Le haïku, un art de vivre et une sagesse
Connus en Occident au début du XXe siècle, les haïkus d’origine japonaise existent depuis le début du XVIe siècle et visent à exprimer de façon synthétique et symbolique la beauté, l’émotion contenue dans toutes choses de la nature. Ils invitent à la méditation et à la contemplation.
Le haïku est une forme poétique classique et codifiée de la littérature japonaise, un petit poème extrêmement bref, visant à exprimer l’évanescence des choses, l’instantanéité de la relation toujours changeante de la sensibilité humaine face à la contemplation de la nature. Jusqu’au XVIe siècle, la poésie japonaise était l’apanage de l’aristocratie. Les mêmes thèmes, les mêmes motifs, les mêmes images étaient inlassablement modulés : des citations d’œuvres anciennes, Kokinshu (la première anthologie poétique du XIe siècle), les Contes D’Ise (de la poésie amoureuse) et le Dit du Genji, (le roman d’une dame de la cour, Murasaki Shikibu, au XIe siècle). C’était une poésie rigoureuse sans beaucoup d’originalité et dans laquelle l’usage des mots de la vie quotidienne était formellement proscrit. Au XVIe siècle, le Japon passa de l’époque féodale à l’ère moderne d’Edo. La poésie se répandit dans la bourgeoisie. Le poète utilisa alors d’autres mots, s’inspira de situations populaires, intégra l’humour qui virait parfois au grotesque, voire au trivial.
Au départ, le style haïkaï no renga était une poésie collective élaborée autour d’un maître par un cercle de participants qui enchaînaient des vers dans une sorte de ronde poétique. Le maître prononçait le premier vers capable de susciter une unanimité, une concordance spirituelle, et de se révéler assez fécond pour nourrir un échange qui pouvait aller jusqu’à cent vers. Dans ces premiers vers se concentrait toute la puissance créatrice du maître, de sorte qu’on commença à les rassembler dans des anthologies.
La poésie du Zen
Le haïku permet de contempler la beauté, de recentrer sa pensée sur l’essentiel afin de se libérer du stress de notre monde trépidant. Il suffit simplement de s’asseoir, respirer, regarder la nature, exprimer en quelques mots le bien être qui s’installe en soi. Sa structure particulière (3 vers de 5-7-5 syllabes) exige du poète, non seulement la maîtrise de la forme mais la capacité de synthèse qui lui permet de cristalliser un vécu poétique bref mais profond (1). Matsuo Basho (1644 -1694), le patriarche des haïkus, le définit ainsi : «Un haïku est simplement ce qui s’est passé dans ce lieu, à ce moment. L’évocation suggestive de ce qui ne se voit pas au premier regard, le pressentiment de la beauté.» De par ses définitions, le haïku est la poésie du zen : refus du verbalisme, de l’intellectualisme, insolence, humour, liberté, amour de tout et de tous sont les caractéristiques de cette religion et des haïkus.
Saisir les instants précieux, s’ouvrir au réel, exprimer son monde intérieur, faire taire l’intellect, se détacher, vivre dans la simplicité, s’incliner devant la nature, accepter l’impermanence, atteindre l’équilibre, partager… Autant de raisons d’écrire des haïkus. Le haïku éduque le regard que nous portons sur ce qui nous entoure, nous rend sensible aux vertus d’accueil, de lucidité et d’amour. Il nous éveille et nous montre une voie de sagesse. Sans morale, sans discours, par sa simplicité, il nous enseigne un art de grandir et d’aimer. Un art de vivre. Ecrire des haïkus nous permet d’exprimer toute la tendresse que nous éprouvons pour les choses simples, toute l’attention que nous portons aux êtres les plus humbles, des fleurs jusqu’aux insectes. Il éveille l’innocence enfouie en nous?)
Ainsi Ryokan
Des puces, des poux
N’importe quel insecte
D’automne qui chante
L’humour dans le haïku est toujours sans méchanceté. C’est un sourire esquissé.
Ainsi Bashô écrivait :
Dans ma hutte
Tout ce que j’ai à vous offrir
C’est que les moustiques sont petits
On ne se promène pas toujours avec un appareil photo et même dans ce cas, les images sont tellement fugitives qu’il est impossible de les fixer. Le haïku permet de rendre cet instant magique ; c’est une poésie de l’immédiat : la goutte d’eau de l’instant se change en goutte de cristal, c’est le temps cueilli comme l’explique Henri Brunel.
Trois chevreuils,
Têtes fières
Culs de neige bondissant
Du bout de l’herbe
Aussitôt qu’elle tombe
La luciole s’envole
Bashô
Le silence zen n’est pas un vide, une absence. C’est une aventure, une porte qui s’ouvre sur l’infini. Avons-nous conscience de notre vie, de nos liens avec l’univers ? Ces choses ne s’apprennent que dans le silence et le haïku nous fait saisir cet échange d’amour et parfois même, fugitivement, l’éblouissante clarté de l’absolu.
Les haïkus de Bashô sont presque toujours la conclusion d’un récit. Ses disciples laissaient le haïku pénétrer en eux et méditaient longtemps dans le silence…
Soleil d’hiver
Sur un cheval
La silhouette gelée
Voici une recommandation du poète Yves Leclair : «Surtout ne pas se mettre à sa table de travail et se dire « Je vais écrire un haïku ». Le haïku surprend, saute aux yeux, s’écrit à l’improviste, de lui-même, comme ça, d’un seul trait, en passant. Le haïku s’écrit d’autant mieux que l’on ne veut pas en écrire.»
Une attention consciente
Que ce soient les arts martiaux, la cérémonie du thé, l’art floral ou la calligraphie, la conscience et l’action doivent être unité. La finalité n’est pas dans le résultat mais dans la vigilance et la conscience que l’on apporte à chaque geste. La différence avec l’art en général est que l’art zen demande, en plus d’une structure et de compétences, une véritable transformation de soi qui s’atteint par la méditation. C’est une harmonie entre l’homme et son environnement. Dans cette optique, écrire des haïkus peut être considéré comme une action consciente puisqu’il faut, comme dans les autres arts, faire preuve de discipline pour respecter la règle des 5-7-5, d’humilité et de concentration, afin de découvrir la beauté de la nature.
Une technique originale riche en symboles
Les thèmes du haïku sont la nature, les saisons, la nature et l’homme. Les poètes utilisent un vocabulaire simple conforme au langage de la nature. Pas de comparaison, pas de rime, pas d’appréciation, pas de forme passée puisque le haïku est une photo instantanée d’un moment fugitif, saisi uniquement par l’émotion du poète.
Le haïku se compose de 3 vers de 5-7-5 syllabes. Cette contrainte demande un effort de concentration mais permet de conserver le rythme et la pureté de la poésie. Ce n’est pas par hasard si le haïku comporte une suite de vers de 5-7-5 syllabes.
- Le 5 est le nombre de la perfection intégrée
Le cinq est le signe de l’union, du centre (3 principes célestes et 2 principes terrestres). C’est le symbole de l’Homme (homme de Vitruve dessiné par Léonard de Vinci), de l’univers (2 axes + centre), de l’ordre et de la perfection, de la volonté divine.
Ce sont les 4 plans de la personnalité avec l’axe de la conscience redressé.
Pour de nombreuses de civilisations, le 5 est le nombre de la perfection intégrée. L’harmonie pentagonale de Pythagore a notamment servi à l’architecture des cathédrales.
Au Japon, plus précisément, il existe 5 orients (points cardinaux + centre), 5 éléments (terre, eau, feu, vent et espace), 5 couleurs de base (rouge, jaune, bleu, blanc et noir) et bien sûr les 5 qualités de connaissance de Bouddha à acquérir pour accéder à l’éveil : intelligence, confiance, compassion, clarté, équanimité.
- Le 7, nombre du cycle complet
Le sept est également le chiffre des merveilles, le nombre parfait qui préside à l’harmonie des sphères et à la perfection de l’âme. Pensons aux 7 couleurs de l’arc-en-ciel (2) aux 7 notes de musique, aux 7 planètes, aux 7 jours de la semaine. Le sept détermine un cycle complet qui permet un renouvellement positif. Il représente la totalité de l’espace et du temps, de l’univers en mouvement, de la vie morale (les 3 vertus théologales : foi, espérance, charité et les 4 vertus cardinales : prudence, tempérance, justice et force).
En Egypte, il est le symbole de la vie éternelle.
Sept est le nombre des corps de l’homme dans la constitution septénaire : les 4 plans de la personnalité et les 3 plans de l’individu.
Les 4 plans de la personnalité correspondent à des états d’évolution.
Règnes Corps Eléments
Minéral physique terre
Végétal énergétique eau
Animal émotionnel air
Humain mental feu
Ces plans sont surmontés par la triade, commune à de nombreuses traditions : Osiris, Isis, Horus en Égypte, Atma, Budhi, Manas en Inde…
Les auteurs des Haïkus
Bashô (1644-1694) est considéré comme le patriarche du haïku. Dans sa jeunesse, il a écrit des poèmes à la mode : des plaisanteries constituées de nombreux jeux de mots. Vers 1680, il a commencé à attacher de l’importance à la philosophie dans le haïkaï surtout dans le hokku. Il a été très influencé par Tchouang-Tseu, philosophe chinois du IVe siècle av. J.-C., qui attachait peu de valeur à l’intelligence et a nié l’artifice et l’utilitarisme ; il a soutenu que la valeur véritable existait dans des choses apparemment inutiles et qu’on vivrait bien si nos actes n’allaient pas à l’encontre de la nature.
Buson Yosa (1716-1783), proposa des poèmes différents de ceux de Bashô, sans portée philosophique. Ses expressions étaient si raffinées qu’on ne pouvait trouver de talent équivalant au sien. Il avait du génie et pouvait faire sentir l’éternité au-delà du paysage en décrivant simplement une scène paisible.
Jour de bonheur tranquille
le Mont Fuji voilé
dans la pluie brumeuse
Ryōkan (1758-1831), moine zen, entreprit un long voyage en solitaire à travers le Japon puis s’installa dans une cabane où il finit sa vie. C’était le poète de la tendresse, comparable à saint François d’Assise par son mode de vie non-conformiste. Était-il un homme éveillé ? À cette question, Ryōkan, pour qui le zen ne pouvait être que profonde liberté, avait livré sa réponse :
Que laisserai-je derrière moi ?
Les fleurs du printemps,
le coucou dans les collines,
et les feuilles de l’automne
Les haïkus de Issa (1763-1827) se distinguent par le comique (comédie de situation), la satire (moquerie des guerriers et des moines dépravés), et la compassion (empathie bouddhiste pour le faible et tout ce qui vit).
Le Bouddha de la lande.
Du bout de son nez
pend un glaçon
Pourtant, Issa a eu une vie dure et parfois cruelle. La mort de sa fille lui inspira ce haïku :
Ce monde de rosée
certes est un monde de rosée
et cependant…
Après avoir découvert la philosophie occidentale, Shiki (1867-1902), convaincu que les descriptions laconiques de choses et de faits étaient efficaces pour l’expression littéraire et picturale, insista sur l’importance du shasei (description d’après nature). Cette idée l’a amené à la description visuelle et à un style simple.
Dans un coin du vieux mur
immobile
l’araignée grosse
Pratiquer le haïku est une invitation à la contemplation, à saisir l’essentiel des choses, à rentrer en soi pour ne faire plus qu’Un avec le monde. Se détacher du monde pour en comprendre l’essentiel, n’est-ce pas l’ultime finalité ?