Le printemps des consciences
Il y a deux ans, au mois d’avril 2020, dans ces mêmes colonnes, je me suis demandé si nous serions aptes à gérer un monde volatile, incertain, complexe et ambigu (VICA) (1).
À l’incertitude du coronavirus COVID-19, se sont rajoutées d’autres incertitudes économiques et sociales, la volatilité financière, les nouvelles complexités géostratégiques et l’ambiguïté des situations électorales que nous vivons actuellement en France. L’indéterminé prévaut sur le déterminé ; l’affect sur la raison. Notre société liquide (2) a augmenté son débit.
Les sociétés traditionnelles considéraient ce type de situation comme étant l’expression des puissances du désordre. Elles avaient déjà compris qu’il n’existe pas d’ordre sans ambivalence et que tout ordre, y compris l’ordre divin, est fondamentalement imparfait. Elles avaient conscience de la fragilité de l’équilibre du monde et pour elles, celle-ci était naturelle. Contrairement à nous, qui, dans la modernité, sommes convaincus d’avoir repoussé vers la marge les puissances du désordre, grâce à la raison et au progrès.
Les puissances du désordre ne sont pas aujourd’hui incarnées par des démons ou des dragons ailés mais par des fake news, des tergiversations, des manipulations et des pandémies. Dans tous les cas, elles introduisent dans l’ordre gouverné par la raison, de la confusion dans l’ordonnance des codes et dans les conditions des êtres, qui ont du mal à comprendre dans quel monde ils vivent. La tentation du repli vers le passé ou de la fuite en avant est grande.
Il semblerait qu’il n’y ait plus de maîtres du désordre, comme le furent les chamanes ou autres, qui dans ces moments, établissaient un dialogue. Les puissances du désordre incarnent le mouvement et l’échappée des cadres sociaux. Elles révèlent un désordre générateur à l’encontre de la fermeture des systèmes.
En effet, les systèmes se ferment partout dans les différentes contrées du monde. Et nous le constatons également dans notre société où des esprits de révolte et de protestation émergent sans qu’ils puissent être canalisés ni contrôlés. En bonne partie, les « forces de l’ordre » ont du mal à les maîtriser. Et le système politique ne leur donne aucune traduction pacifique.
Les sociétés traditionnelles avaient compris et cela reste encore vrai aujourd’hui, que le désordre est la perturbation dans l’ordre, l’incertain dans le certain. IIs ne s’opposent pas mais se combinent de l’intérieur. D’une certaine manière ils sont dans la dialectique du conscient et de l’inconscient. On ne peut pas les réprimer. Il faut les comprendre et les intégrer parce qu’ils font partie de notre ordre complexe qui, comme l’a très bien expliqué Edgar Morin, est constitué dans l’être humain, de raison et de folie. Nous sommes à la fois sapiens et demens. Cela rend les humains fragiles. Cela les oblige à être humbles, à assumer leur vulnérabilité et à en extraire leurs forces.
Au niveau anthropologique, nous savons que c’est par le rite que s’instaure le mode privilégié de négociation avec la figure du désordre. Le rite est un effort pour maîtriser le déséquilibre personnel, social ou écologique, dans le but de maintenir l’harmonie sociale ou individuelle et la régularité des cycles naturels (3).
Pour que le rite soit efficace, il faut un récit qui intègre les puissances de l’ordre et du désordre et instaure une unité entre les contraires, que nous appelons harmonie.
Le printemps arrive, les énergies de la vie s’annoncent, celles de l’espoir également.
Profitons de ce moment pour annoncer le printemps des consciences.