L’économie du « beignet », une solution alternative pour la planète ?
La croissance infinie est-elle adaptée aux enjeux climatiques et sociaux du XXIe siècle ? La pandémie de la COVID-19 a montré les limites du système. Existe-t-il une solution alternative qui tienne compte de la préservation de la planète et de l’humanité ?
La manière dont nous pensons l’économie depuis le XVIIIe siècle (début de la révolution industrielle) qui se poursuit au XXe siècle par la recherche de la croissance infinie du PIB est obsolète et n’est plus adaptée aux enjeux sociaux et climatiques du XXIe siècle. Pire, elle nous mène droit dans le mur. C’est ce que Kate Raworth, économiste britannique qui enseigne à l’Université d’Oxford au Royaume-Uni a tenté de démontrer dans son livre La théorie du donut, l’économie de demain en 7 principes, paru aux Éditions Plon en 2015, issu de ses travaux pendant onze ans dans les équipes de l’OXFAM (1).
Les effets de la crise de la COVID-19
Aujourd’hui 1% des riches détiennent + de 50 % des richesses mondiales et nous assistons à la dégradation de la planète Terre, à l’augmentation des inégalités sociales entre les riches et les pauvres et entre les pays du Nord et du Sud (2). La crise de la pandémie de la COVID-19 n’a fait qu’accentuer ce phénomène, provoquant un ralentissement de la croissance économique et le décès de millions de personnes. La Banque Mondiale estime qu’en 2021, il y aurait 150 millions de pauvres de plus à cause de la COVID-19.
Paradoxalement, les pays riches commencent à sortir de la crise avec notamment l’accès aux vaccins et à la vaccination ; les Bourses mondiales enregistrent des records d’augmentation élevés mais les pays pauvres risquent d’être laissés pour compte si les droits de brevet sur les vaccins ne sont pas supprimés. Les gouvernements stimulent l’économie pour revenir à une situation antérieure de croissance.
L’avenir de la planète
Trois options s’offrent à nous :
• Stimuler la croissance économique, cibler la croissance rapide infinie du PIB, le « business as usual » d’après Walter W. Rostow (3).
• Construire une économie plus verte de croissance rapide » selon Walter W. Rostow
• Adopter l’économie du « Beignet » (Doughnut Economy), basée sur des mesures innovantes locales par la création d’une « société régénérative, redistributrice » qui procure des « niveaux sociaux de base pour tous ».
L’Économie du « Beignet » ou « Doughnut » Économy
Développée par Kate Raworth (4) en 2012, cette vision consiste à repenser l’économie en proposant un modèle plus juste et durable basé sur la satisfaction des besoins de base des individus sans dépasser les neuf limites écologiques de la planète Terre.
La finalité de l’économie du « Beignet » est d’agir comme une boussole pour le progrès humain en passant d’une économie dégénérative linéaire à une économie circulaire distributive.
L’économie linéaire dégénérative est celle que nous vivons actuellement, dans laquelle les ressources de la planète sont utilisées et rejetées sans espoir de reconstitution. Les énergies sont fossiles.
L’économie circulaire distributive propose de recycler, de réparer et de réutiliser les déchets. Les énergies sont renouvelables et profitent au plus grand nombre.
Kate Raworth part du principe que dans la nature, rien ne croît toujours, sinon il finit par se détruire lui-même ainsi que l’environnement dans lequel il pousse. Chaque chose a vocation de grandir et une fois arrivée à maturité, elle se stabilise. Alors elle peut vivre longtemps dans de bonnes conditions. La Nature a procédé ainsi pendant plus de quatre milliards d’années. Ne pourrait-on pas faire de même en ce qui concerne l’économie ?
La théorie du « Beignet »
La vision de Kate Raworth peut se définir dans un schéma :
Il se compose de plusieurs cercles concentriques.
Un cercle central appelé Fondement social est composé des douze besoins essentiels des êtres humains pour assurer leur épanouissement. Ce sont les objectifs sociaux minimaux à atteindre et à maintenir au-dessus d’un « plancher social ».
Le deuxième cercle appelé Espace sûr et juste pour l’humanité, qui rassemble des normes internationales minimales accordées pour assurer le respect de l’être humain. Une économie durable et prospère peut y être développée. C’est le point idéal pour l’humanité appelé « sweet spot » ou « part alléchante » du beignet.
Le troisième cercle appelé Plafond environnemental qui représente les neuf limites planétaires à ne pas dépasser. Au-dessus de ce plafond, la planète Terre n’est plus préservée et ce serait un effondrement de la planète et de tous les règnes vivants qui y vivent.
Si les douze besoins sont assurés pour tous les êtres humains sans transgresser les neuf limites de la planète, alors l’économie est prospère et durable dit Kate Rathworth.
Dans le schéma N°2, on assiste à la transgression des limites.
L’économie du « Beignet » appliquée à la ville d’Amsterdam
En 2020, Amsterdam fut la première ville à implanter officiellement l’« Économie du Beignet ». Les décideurs politiques d’Amsterdam dont le député-maire Marieke van Doorninck, ont élaboré avec l’aide du Laboratoire d’Action de l’Economie du Beignet (Doughnut Economics Action Lab ou DEAL) (5), une stratégie globale pour adapter la théorie du « Beignet » à la ville. Dans cette stratégie, figurent des systèmes de déchets alimentaires et organiques et des biens de consommation et l’environnement. L’objectif est de réduire de 50% le gaspillage de nourriture d’ici 2030, en introduisant des mesures visant à faciliter la consommation des résidents : création de magasins d’occasion et de services de réparation facilement accessibles et fonctionnels (en 2020, 3500 ordinateurs portables anciens et cassés ont été réparés et distribués à ceux qui avaient des revenus modestes). Des réglementations ont été établies pour encourager la construction avec des matériaux durables. Toutefois, la clé de la réussite de la ville a été l’intégration et l’encouragement de l’action communautaire innovatrice à petite échelle, aussi bien que le soutien actif du commerce local qui stimule l’emploi local (6). Il s’agit notamment de « l’initiative du prix réel » sur les produits d’épicerie pour inclure les coûts de l’empreinte carbone, la privation de terres et la rémunération équitable des travailleurs. Les projets d’infrastructure massifs et les initiatives de logement abordable comprennent des normes sociales et environnementales strictes (7), avec de nouvelles réglementations gouvernementales et des contrats à ces fins.
Quelque 400 résidents locaux et organisations se sont également constitués dans la Amsterdam Doughnut Coalition, pour gérer leurs propres programmes au niveau local.
L’application de la théorie du « Beignet » a été suivie par les villes de Bruxelles, Naimao (Canada), et Dunedin (Nouvelle-Zélande). Le Pape François a d’ailleurs salué cette approche. Dans de nombreux pays et villes, un intérêt croissant se développe rapidement et Kate Raworth pense que ce n’est qu’une question de temps avant que ce concept ne soit adopté au niveau national.
À ce jour, le laboratoire DEAL est en contact avec de nombreuses cités et villes. Il a établi des partenariats de travail avec les pays comme le Brésil, le Costa Rica, l’Inde, le Bangladesh, la Zambie, les Barbades et beaucoup d’autres encore. Le Costa Rica est en bonne voie de devenir un pays totalement « régénérateur » en repensant totalement ses secteurs agricole et touristique d’ici 2050 (8).
Le modèle « Beignet » de pensée globale et d’action locale, peut redonner un véritable second souffle au monde actuel qui manque d’inspiration et de direction.