Les 50 ans d’Auroville, ville expérimentale d’un nouvel état de conscience
En 2018, Auroville (ville de l’Aurore), fondée par La Mère, disciple spirituelle de Sri Aurobindo célèbre son cinquantième anniversaire. De nombreux visiteurs sont venus du monde entier pour assister à l’événement.
En revenant en Inde du Sud, à Pondichéry et Auroville, pour le cinquantenaire de la naissance de la Cité de l’Aurore dont Sri Aurobindo eut la vision, et que concrétisa sa compagne spirituelle Mira Alfassa, La Mère, je suis passé à l’ashram, m’incliner sur le Samadhi (1) où reposent ces deux grands êtres qui ont tant œuvré pour une nouvelle conscience de l’humanité.
Au Park Guest House de l’ashram, je fus frappé par un portrait de Sri Aurobindo réalisé peu de temps avant son départ en 1950, dont le regard était habité par une infinie tristesse. Connaissant la profondeur de son œuvre, j’ai interprété ce regard comme une compassion extrême pour l’humanité. Lui, avait trouvé le chemin dans le corps pour une nouvelle espèce, mais il savait bien combien le chemin est difficile et l’humanité présente n’est pas encore prête.
Je fus renforcé dans ma conviction lorsque j’allais assister, au Play Ground de l’ashram, à une sorte d’exercice physique toujours pratiqué depuis la création de ce lieu dans les années 30. Les ashramites qui défilaient au pas cadencé en faisant des mouvements de gymnastique, hommes et femmes en short flottant, celui du temps de la coloniale, avaient dans leur marche à la fois quelque chose de touchant et de pathétique. Une musique cadencée, diffusée par des hauts parleurs grésillant, les accompagnait dans leurs exercices hiératiques. Puis une musique venant de loin dans le temps, jouée par La Mère à l’harmonium, fut déversée sur le terrain de jeu, alors les protagonistes se mirent à défiler devant une chaise vide, celle que La Mère occupait de son vivant. Cette exaltation du passé et du souvenir abritait une empathie certaine qui, à mes yeux, ne témoignait pas forcément d’un travail sur soi mais plutôt d’une exaltation de sentiments qui peuvent vite retomber mais dont la nature humaine a besoin pour continuer à vivre dans l’espoir d’une transformation de son mental. Je fus moi-même énivré par son coté sacramentel. Cette cérémonie fut le prélude de celle de l’anniversaire de La Mère, le 21 février.
Février 2018, un double anniversaire
Une foule considérable, venue des quatre coins du monde, défila dans les rues adjacentes à celle de l’ashram, rue de la Marine, jusqu’au soir pour venir s’incliner sur les reliques de la chambre de Mère. Ensuite, cette foule convergeait vers Auroville située àune dizaine de kilomètres plus loin pour venir assister au cinquantenaire de la naissance de la ville.
Le 28 février 1968, 124 nations apportèrent de la terre de leur pays qu’ils déversèrent dans une urne au centre de la ville et au pied du Matrimandir en construction, qui allait devenir le cœur de la ville.
Pour celles et ceux qui sont satisfaits du monde tel qu’il est, Auroville n’a évidemment pas de raison d’être. Mais pour les autres, et ils semblent de plus en plus nombreux, Auroville représente une tentative à une aspiration plus haute de leur être profond et du vivre ensemble, que ne leur apporte plus les pays dans lesquels ils vivent aussi bien en Occident qu’en Orient, pays régis à cause de l’endormissement de ses habitants, par des gouvernements félons animés par le pouvoir et l’argent.
Le cinquantenaire d’Auroville
La journée du cinquantenaire commença le 28 février 2018 à 4h30 du matin, par un immense feu dans le grand amphithéâtre où se trouve l’urne avec la terre des nations et la charte d’Auroville écrite par La Mère. En fond, le Matrimandir et à sa gauche le grand banyan, à la symétrie si parfaite, qui est le centre géographique de la cité.
15.000 personnes, aurovilliens, ashramites et visiteurs venus nombreux aussi bien d’Europe, des Amériques et d’Asie, étaient silencieusement réunis autour de ce feu de sanctification, pour montrer au monde que cette ville a tenu bon comme modèle d’une autre façon de vivre et d’être sur cette terre meurtrie par les humains eux-mêmes, dans leurs inconsciences de se comporter avec elle.
Pour couronner le tout, Narendra Modi, le Premier Ministre de l’Inde, était venu saluer les efforts de Aurovilliens.
Lorsque la Voix de La Mère s’éleva à l’aube de la cérémonie, un grand frisson parcourut l’assemblée. Cette voix qui semblait sortir de l’Urne, où se trouve la Charte d’Auroville, rappela son contenu. « La terre a besoin d’un endroit où les hommes puissent vivre à l’abri de toutes les rivalités nationales, de toutes les conventions sociales, de toutes les moralités contradictoires et de toutes les religions antagonistes : un endroit où, libérés de tous les esclavages du passé, les êtres humains pourront se consacrer totalement à la découverte et à la mise en pratique de la Conscience Divine qui veut se manifester. Auroville veut être cet endroit et s’offre à tous ceux qui aspirent à vivre la vérité de demain. »
En 1965, alors que le projet de la Ville de l’Aurore commençait à prendre forme, la Mère délivra la pierre d’angle de l’édifice futur.
« Auroville veut être une cité universelle où hommes et femmes de tous pays puissent vivre en paix et en harmonie progressive au-dessus de toute croyance, de toute politique et de toute nationalité. Le but d’Auroville est de réaliser l’unité humaine. »
Pendant la cérémonie, les regards des êtres humains rassemblés-là étaient à la fois graves et recueillis. Le décor magique du lieu, alors que le jour se levait, donnait à cette célébration un ton de solennité quasi planétaire. Des jeunes garçons et filles, représentant les 124 nations du début défilèrent autour de l’urne puis vinrent déposer quelques gouttes d’eaux des différents pays qui apportèrent la terre de leur sol. Cette réunion hautement symbolique de la terre et l’eau consacrait l’alliance renforcée par celle de l’air et du feu. En effet derrière le dôme du Matrimandir le soleil jaillissait dans un ciel limpide.
Un autre jour commençait pour Auroville.
Alors ce poème d’Aurobindo s’imposa dans mon esprit :