Les clés de la philosophie pour vivre dans un monde incertain
Le coronavirus COVID-19 a plongé le monde dans l’incertitude remettant en cause l’avenir serein de la planète. Nous sommes rentrés individuellement et collectivement dans un monde VICA (volatile, incertain, complexe et ambigu), pour lequel les solutions classiques ne peuvent pas s’appliquer. Comment agir dans cette réalité incertaine ? La philosophie peut nous y aider en donnant des clés essentielles.
Vivre dans un monde incertain est un défi individuel et collectif. L’expérience du coronavirus COVID-19 (1) a créé un événement qui a ébranlé les certitudes.
De nombreux problèmes complexes et incertains sont apparus (confinement, séparations et divorces de couples, dépressions, arrêt de l’économie, brutale augmentation de malades et de décès causés par le virus…). En même temps, de nouveaux héros du quotidien (personnel médical, de service, de transport…), autrefois délaissés, sont devenus tout à coup importants et se sont mobilisés pour que le monde continue à fonctionner.
Un événement crée une rupture
Le coronavirus COVID-19 est un événement – non un fait banal – qui a créé une rupture, comme le furent la Révolution Française et le 11 septembre 2001, engendrant des changements de mentalité, des nouvelles visions de la géopolitique, du monde et de la vie.
Le coronavirus nous a fait découvrir une nouvelle réalité, celle d’une pandémie mondiale, d’un monde incertain dans lequel personne ne peut certifier quand le virus sera éradiqué et s’il le sera un jour, s’il y aura d’autres confinements, comment l’économie mondiale repartira, si la vie reprendra comme avant… D’ailleurs pour beaucoup d’événements, on parle d’un monde d’avant et un monde d’après et le Coronavirus n’échappe pas à cette règle.
Les certitudes laissent le pas aux incertitudes. Les convictions d’hier qui étaient absolues, inébranlables, sont aujourd’hui remises en cause.
Le monde devient volatile, incertain, complexe et ambigu. Nous sommes rentrés dans un monde VICA.
Le monde VICA
VICA (2) est un acronyme de quatre mots qui signifie Volatilité, Incertitude, Complexité et Ambiguïté. Créé en 1987 par l’armée américaine, ce concept tente de comprendre un monde nouveau qui était en train de se redessiner à l’époque et qui ne pouvait plus s’interpréter comme avant, compte tenu de la complexité. Aujourd’hui, ce concept est plus que jamais d’actualité.
- Volatilité : Le monde change à grande fréquence et à grande amplitude.
Tout devient volatile, éphémère, impermanent, changeant et instable. Plus rien ne fonctionne comme avant, les changements peuvent être violents et
brusques, la stabilité a disparu. Plus personne n’ose prendre de risques.
Les sociétés et les personnes ont peur, se replient et se protègent. - Incertitude : tout devient incertain, improbable, indéterminé, sans limites… Qui aurait pu savoir, il y a quelques mois, qu’un virus apparu en Chine toucherait la population mondiale provoquant des effets économiques, sociaux, sanitaires… Qui peut prévoir aujourd’hui ce qui se passera dans l’avenir ? Face à l’incertitude, on rentre dans une multitude de détails pour se rassurer, on manque de clarté et petit à petit, la vie se ralentit et se paralyse.
- Complexité : les entreprises, les sociétés, les États sont composés de multitudes de parties interconnectées les unes aux autres et à un ensemble et, quand surgit un problème, on ne sait pas exactement où est la cause ni où est l’effet. Prendre une décision nécessite de prendre en compte une multiplicité de facteurs, de voir tout en détail. Face à cette multiplicité, on a alors tendance à banaliser ou l’on rentre dans le déni (en refusant de voir la réalité), ou l’on réduit le problème à deux entrées : bien ou mal en tentant de trouver un bouc émissaire qui sera responsable du problème et à qui on pourra attribuer la faute.
- Ambiguïté. Il y a diverses façons d’interpréter ce que l’on vit, ce qui ne facilite pas la connaissance de la vérité ni la prise de décision sur ce qu’il faut faire. On l’a vu avec le Coronavirus COVID-19, les explications des scientifiques sur la cause et les effets du virus ont proliféré, se contredisant parfois, entraînant le doute, la méfiance et l’indécision. Qui croire ? Que faire ? Quelle décision prendre ?
Ainsi la volatilité génère la peur, l’incertitude engendre la paralysie, la complexité entraîne la banalisation et le déni et l’ambiguïté nous propulse dans un monde de doute et d’indécision. Comment agir ?
Les solutions de VICA
Face au monde VICA, nous ne devons pas baisser les bras mais nous interroger sur le sens de ce que nous vivons et trouver le courage d’agir pour trouver des solutions acceptables.
La philosophie peut nous aider à trouver des clés.
- Face à la volatilité, regarder la réalité telle qu’elle est, l’accepter, concevoir comment les systèmes et les choses agissent avec leur dynamique. En philosophie, si nous voulons changer les choses, nous devons comprendre si nous voulons agir.
- Face à l’incertitude, développer une compréhension intelligente des choses : le « connais-toi toi-même », qui nous permet de nous connaître en profondeur, avec nos qualités et nos défauts, nos limitations ; la connaissance des autres (les comprendre, se mettre à leur place, développer l’empathie) ; la connaissance de l’univers (comprendre le sens des évènements de l’histoire, connaître les lois de la nature pour mieux vivre en harmonie avec elles…).
- Face à la complexité, voir ou percevoir avec clarté comment les différentes composantes d’une réalité sont reliées et interconnectées entre elles, afin que nous puissions agir sans précipitation mais avec les lumières de notre discernement. Cela suppose de développer attention et concentration pour nous relier en profondeur avec ce que nous vivons et observons.
- Face à l’ambigüité, élargir ou agrandir notre agilité d’esprit, pour agir rapidement face à l’inattendu, avoir confiance en soi et dans nos convictions, tout en étant profondément enraciné intérieurement.
L’application de la prudence
Face à l’incertitude, les Anciens (Grecs et Romains) préconisaient l’application d’une vertu essentielle, la prudence (Phronésis, Prudentia), qui est l’acte de réfléchir, de ne pas se précipiter, d’évaluer la situation avant d’agir et de prendre les risques.
La prudence consiste à vivre avec les risques, voire les affronter car de toute façon les risques sont là et on ne peut pas toujours les éviter. Le coronavirus COVID-19 en est un parfait exemple.
Aucune assurance ne peut nous garantir que demain nous serons toujours en bonne santé, qu’il ne nous arrivera rien, que nous aurons toujours le même niveau de vie, que notre vie professionnelle continuera comme avant…
Edgar Morin nous dit : « Nous devons apprendre à accepter les incertitudes, à vivre avec elles, alors que notre civilisation nous a inculqué le besoin de certitudes toujours plus nombreuses sur le futur… » (3).
Notre civilisation moderne a toujours voulu tout contrôler, prévoir l’avenir, en nous expliquant, comment il serait dans cinq à dix ans. Mais en fait, nous contrôlons très peu de choses à commencer par nous-mêmes.
En utilisant la prudence, face à l’incertitude nous pourrons avec courage, agir avec intelligence, trouver un sens à ce que nous faisons et à ce que nous vivons, affronter les épreuves qui se présenteront à nous. Face à l’inconnu, nous pourrons développer des potentiels latents en nous et révéler des talents et des forces insoupçonnées.
L’incertitude fait partie de la vie
L’incertitude fait partie de la vie, à commencer par la date de notre propre mort. Mais nous mourrons tous les jours à de nombreux états : en passant par tous les âges de la vie jusqu’à la mort mais en mourant également tous les jours à des idées, à des opinions, à des illusions, à de l’ignorance… C’est ce que nous appelons l’évolution.
Nous naviguons de certitudes en incertitudes pour découvrir que l’incertitude est toujours là même quand nous croyons l’avoir vaincue. Parfois nos certitudes sont des vérités subjectives qui nous apportent un moment de lucidité et de splendeur. Puis nous découvrons que certaines d’entre elles n’étaient que des illusions et que par conséquent nous devons les modifier. Cela doit nous rendre très humbles et comme Socrate, reconnaître qu’en vérité nous ne connaissons pas grand-chose et que cette ignorance nous permet d’initier un long chemin vers la vérité, en bref de philosopher.
Du savoir au savoir-être ?
Nous sommes obsédés par le fait de toujours chercher des certitudes et l’expérience collective mondiale actuelle les fait tomber les unes après les autres. Même la science qui prétendait tout savoir et tout expliquer semble impuissante devant le Coronavirus COVID-19 avec des explications toutes aussi contradictoires les unes que les autres.
Savoir-être commence par apprendre à penser par soi-même, à développer notre intériorité car c’est de l’intérieur de nous-mêmes que nous pouvons agir sur l’extérieur et l’environnement.
En même temps, nous devons apprendre à mieux nous connaître, pour savoir qui nous sommes vraiment et développer nos potentiels face aux épreuves que nous vivons et face à l’incertitude. Cela suppose de développer un esprit d’aventure, d’accepter de se lancer dans l’inconnu, de sortir de sa zone de confort et décider intérieurement de se libérer de ce qui nous limite.
Chaque fois que les êtres humains se sont lancés vers l’inconnu, ils ont progressé. La science, les grandes découvertes, les civilisations en sont un parfait exemple.
Mais par-dessus tout, nous devons être prêts et armés.
Être prêts et armés de force morale
Face à l’incertitude, à l’inattendu et à l’inconnu, et avant d’agir, nous devons nous armer de force morale (notamment de courage, de détermination, de persévérance…) mais également d’une force d’âme ou Fortitude.
L’âme qui fait le lien entre ce qui est atemporel et supérieur en nous et ce qui est temporel et inférieur en nous peut être prisonnière des habitudes, des peurs, des pensées erronées, des limitations de toutes sortes…
Pour la libérer, nous devons élever notre conscience, prendre de la hauteur et du recul, pour agir du point le plus élevé en nous-mêmes sur nous-mêmess, notre « acropole » et nous maîtriser voire nous corriger pour ensuite agir sur le monde. Alors ce qui est incertain peut devenir certain, peut nous pousser à agir de façon héroïque et affronter les épreuves pour nous dépasser. Et si nous poursuivons notre exploration de l’incertitude, nous pouvons nous trouver devant quelque chose d’indicible, d’inexplicable par les mots mais que nous pouvons capter des hauteurs atemporelles en nous-mêmes, de notre « acropole ». Alors, nous pouvons accéder au mystère, de nous-même, des autres et de l’Univers. Nous accédons alors au véritable savoir, la véritable sagesse.
Quand nous sommes connectés à nous-mêmes comme un centre, les différentes parties de l’univers, les lois de la nature se connectent à nous-mêmes. Alors, ayant compris les lois qui régissent le monde, nous pouvons affronter sans peur l’incertitude, l’inconnu et naviguer dans le monde VICA.
(1) Acronyme de coronavirus disease 2019
(2) En anglais VUCA :Volatility, Incertainty, Complexity and Ambiguity
(3) Tiré d’un article paru le 06/04/2020 paru sur le site internet du CNRS/Le Journal
https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude
par Fernand SCHWARZ
Conférence de Fernand Schwarz sur Facebook Live faite le vendredi 9 juillet 2020
Les clés de la philosophie pour vivre dans un monde incertain
https://www.facebook.com/162482970454397/videos/978998825885588
Lire l’article de Fernand Schwarz et Léo Bérardi, Comment naviguer dans un monde incertain ? page 60 paru dans le hors-série N° 10 Le monde d’après, effondrement ou renaissance ? Édition en septembre 2020, 8 €
À lire
Changeons de voie, les leçons du coronavirus
par Edgar Morin avec la collaboration de Sabah Abouessalam
Éditions Denoël, 154 pages, 14,90 €
Ce grand penseur, sociologue et philosophe, de 99 ans nous fait partager ses réflexions si profondes et même métaphysiques, sur ce que nous vivons, nous les êtres humains où « chacun est individu, sujet, c’est à dire presque tout pour lui-même et presque rien pour l’univers, fragment infime et infirme de l’anthroposphère… dans l’aventure du cosmos, l’humanité est de façon nouvelle sujet et objet de la relation inextricable entre d’une part ce qui unit (Eros) et d’autre part ce qui oppose (Polémos) ainsi que ce qui détruit (Thanatos). Le parti d’Eros est lui-même incertain car il peut s’aveugler et il demande de l’intelligence, encore de l’intlligence, comme de l’amour, encore de l’amour. »
Les bâtisseurs du futur
Le monde nouveau que vous attendez est déjà là
par Hélène CAILLIAU
Éditions Saint-Simon, 2019, 128 pages, 16 €
Face à un monde changeant, complexe et imprévisible, il est nécessaire de changer de paradigme et de devenir acteur de notre vie. Agir autrement et intelligemment pour construire une société nouvelle et différente dont les germes sont déjà dans la société d’aujourd’hui : Retrouver son intuition et développer sa vie intérieure, s’écouter davantage, s’ouvrir aux autres cultures, pratiquer la logique d’inclusion du ET… en s’inspirant des spiritualités d’Orient et d’Occident.
Effondrement ou révolution ?
État d’urgence sprirituelle pour un monde durable et désirable
par William CLAPIER
Éditions Le Passeur, 2020, 304 pages, 20,90 €
Aujourd’hui, personne ne peut plus ignorer que le monde est entré dans une ère nouvelle, celle de son éveil au désastre écologique mais également à une crise sociale sans précédent, mettant en péril le destin commun de l’humanité. L’auteur examine d’abord les données factuelles du drame écologique et du malaise société. Ensuite il tente d’expliquer les principaux obstacles individuels et collectifs qui empêchent le changement. Dans un troisième partie il aborde la nécessité de changer de paradigme qui a causé une crise morale et spirituelle : la perte de sens et du sacré, e consumérisme, la perte du lien avec la nature. L’avenir de la planète est entre les mains de nos ressources intérieures.