Les inégalités dans le monde, outrage à la dignité humaine
En décembre 2017 et en janvier 2018, ont été publiés plusieurs rapports sur les inégalités croissantes dans le monde et les menaces qu’elles représentent dans le monde (1). Qu’est devenue la dignité humaine ?
Bien que le nombre de personnes qui vivent dans une extrême pauvreté ait été réduit de moitié en vingt ans, « si l’inégalité n’avait pas augmenté parallèlement durant la même période, 200 millions de personnes supplémentaires auraient pu être sorties de la pauvreté ».
De fait, durant plus de trente ans, toutes les inégalités ont augmenté dans presque tous les pays, selon le Rapport de la Base mondiale de données, sur la richesse et les revenus, fruit d’un travail collectif de plus de cent investigateurs.
Oxfam, ONG d’origine britannique, a publié le sien quelques jours avant le Forum économique mondial de Davos (2) et a interpellé l’élite mondiale sur le fait qu’en 2017, 82% de la richesse créée dans le monde entier a bénéficié à 1% des plus riches, alors que la situation n’a pas changé pour 50% des plus pauvres.
Des inégalités croissantes
Le Forum de Davos cette année avait pour thème « la création d’un monde commun dans un monde fracturé ». Mais les disparités se sont d’autant plus creusées que les actions se limitent à de bonnes paroles : « Nous voulons des actions », mots que l’Ougandaise Winnie Byon Byanyima, directrice d’Oxfam, n’a cessé de prononcer. Effectivement, depuis les années 80, 1% des personnes les plus riches ont capté 27% de l’augmentation des revenus, face au 12% de 50% des plus pauvres au monde.
Entre 1980 et 2016, les classes moyennes occidentales ont connu pour l’essentiel la croissance la plus faible, y compris la stagnation des revenus.
Les inégalités ne se mesurent pas seulement en termes de revenus. Elles affectent aussi le patrimoine qui est entre les mains des individus. À ce niveau, la courbe a également suivi la même tendance.
En 2014, aux États-Unis, 1% des plus riches possèdent 39% de la richesse familiale en 2014 contre 22% en 1980. Le phénomène est moins marqué en France et au Royaume Uni.
Le tableau des inégalités est aussi très différent dans les diverses régions du monde mais, dans tous les cas, elles sont en augmentation très importante. En 2016, l’évolution de la participation des 10% les plus riches au niveau national est montée à 37% en Europe, à 41% en Chine, 46% en Russie, 47% aux U.S.A. et au Canada, 54% en Afrique subsaharienne, 55% au Brésil et en Inde et 61% au Moyen-Orient.
Les auteurs de tous les rapports affirment que la capacité d’action des États se voit réduite par « l’important transfert de la propriété publique à la sphère privée dans presque tous les pays. La richesse des États est désormais négative ou proche de zéro dans les pays riches. » Si l’on fait une projection pour l’avenir et sur la base des tendances actuelles, les experts anticipent une nouvelle augmentation de l’inégalité d’ici 2050. La proportion du patrimoine mondial qui est dans les mains de 1% des plus riches passerait de 37 à 39%, alors que celui de la classe moyenne se réduirait de 29 à 27%.
Retour de la dénutrition et de la famine
Le rapport publié par les Nations Unies en 2017 nous rappelle un autre fléau dont nous pensions qu’il était en récession mais qui, conformément aux dernières statistiques, resurgit : plus 815 millions de personnes, 11% de la population mondiale, souffrent de dénutrition chronique. C’est la découverte la plus alarmante des organisations internationales : la faim progresse à nouveau. L’objectif de libérer le monde de la famine pour 2030 est remis en question. En 2018, selon les rapports des Nations Unies, 135 millions de personnes auront besoin d’une assistance humanitaire (3).
Les conflits et les dérèglements climatiques, tout comme les colonnes de populations déplacées, semblent être les causes principales de la détérioration de la situation, particulièrement en Afrique subsaharienne, le Sud-est asiatique et l’Occident (4). Les rapports insistent sur le fait que, faute de suivi et de remède effectif, l’inégalité pourra conduire à toute espèce de désastres politiques, économiques et sociaux. L’importance de l’éducation et d’un modèle social où les États puissent protéger les minorités les plus pauvres paraît indispensable pour sortir du marasme.
Aux sources des inégalités actuelles
Ces chiffres sont terribles et nous affectent tous. Mais comment en sommes-nous arrivés là ? Depuis quand nos modèles de sociétés occidentales ont-elles produit ce chemin vers l’inégalité ?
L’historien et chercheur espagnol, Gonzalo Ponton, a publié un livre brillant qui a gagné le Prix national d’essai en Espagne, La lutte pour l’inégalité, une histoire du monde occidental au XVIIIe siècle (5). Il explique que, pour aborder un avenir menaçant et confus, nous avons besoin d’une vision renouvelée du passé dont nous aurions expulsé les mythes, qui aurait contribué à nous faire croire que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles et qu’il suffisait de nous laisser conduire par le courant imparable du progrès pour continuer à nous développer. Gonzalo Ponton démontre que la nature des inégalités qui nous affectent se trouve dans les origines du capitalisme moderne, au siècle des Lumières et de sa philosophie. Il explique l’ascension de la bourgeoisie au XVIIIe siècle et sa prise de contrôle de l’appareil d’État avec la création d’une nouvelle élite et l’établissement d’un système d’inégalités croissantes pour garder le pouvoir.
Évidemment, nous serions surpris de savoir qu’aujourd’hui la Grande Bretagne a presque le même coefficient d’inégalité qu’en 1759 (coefficient de Gini) (6). Comme l’explique Göran Therbon (7), les inégalités constituent une violation des capacités humaines, particulièrement l’inégalité existentielle, celle qui affecte la dignité des personnes, leur degré de liberté et leur droit au respect et au développement personnel. Il est urgent de recréer un nouvel humanisme qui, bien entendu, ne soit pas déconnecté des réalités sociales et matérielles mais qui confère la dignité aux êtres humains.