Histoire

L’Ukraine et la Russie, des origines communes ?

Trente ans après son indépendance, l’Ukraine se voit soudainement envahie par la Russie, le 24 février 2022. Un bras de fer, malgré des origines communes.

Bien que la Russie et l’Ukraine soient devenus ennemis actuellement, il n’en a pas toujours été le casdans leur histoire, qui révèle des origines communes : la Rus’ avec entre autres, la principauté de Kiev.

Russie et Ukraine, descendants de la principauté de la Rus’

Au VIIIe siècle, le territoire de la Rus’ (1) comprend le Nord de l’Actuelle Ukraine, la Biélorussie et l’Ouest de la Russie. Le pouvoir de la Rus’ est concentré dans quelques villes dont Kiev, sa capitale. Les princes de Kiev, païens, se sont convertis au christianisme et ont adopté la culture de l’Empire romain byzantin et de la chrétienté orientale avec de grandes églises et de grands monuments. 

La Rus’ a été conquise par des Vikings appelés « Varègues », marchands et guerriers scandinaves, qui se sont installés, se mêlant aux populations autochtones, essentiellement composées de paysans slaves. Ces Vikings venaient vers la mer Noire pour vendre leurs produits (bois, peaux, ambre). 
Les princes de Kiev ont créé la dynastie des Riourikides (2) avec pour fondateur le Viking Riourik. Cette dynastie a réussi à établir son pouvoir sur l’Ukraine d’aujourd’hui et ensuite au nord vers la mer Baltique, au sud à la Mer Noire, à l’est à la Volga, et à l’ouest jusqu’aux Carpates. 

À partir du XIIIsiècle, la principauté de Kiev est balayée par des invasions turco-mongoles. 
La Galicie devient un foyer de civilisation slave et orthodoxe, ukrainien par la langue et ouvert aux influences occidentales. Les autres territoires sont sous influence mongole et ensuite sous influence de la Pologne-Lituanie. Ceci aura des répercussions sur la langue, la langue russe s’enrichissant des mots empruntés aux Mongols, la langue ukrainienne restant plus fidèle au slave oriental des origines. 
Parallèlement, Moscou se développe et avec elle ce qui deviendra la Russie et les princes de Moscou qui se succèdent ont des pouvoirs de plus en plus importants vis-à-vis des Mongols. Les Cosaques se rallient aux paysans asservis par la Pologne et fomentent des révoltes. Ils viennent se mettre sous la protection du tsar (signifiant César) de Moscou, Alexis 1er Romanov en 1654. Ainsi l’Ukraine orientale devient-elle russe.

L’Ukraine ou Oukrainia qui veut dire « frontière » ou « marche » se situe essentiellement dans le bassin du Dniepr, entre la Pologne et la Russie.

Les territoires ukrainiens du sud, sont annexés par le grand duché de la Lituanie pendant que l’Ukraine occidentale composée de la Galicie-Volhynie est conquise par la Pologne et un État catholique. L’Ukraine orientale subira également l’influence polonaise après l’union des deux couronnes de Lituanie et de Pologne en 1385.

Partage de l’Ukraine entre les empires

En 1667, un premier partage de l’Ukraine a lieu entre la Russie et la Pologne.
La Russie conserve la rive gauche du Dniepr et la région de Kiev. L’Ukraine de la rive droite, subit les attaques des Ottomans et se dépeuple au profit de l’Ukraine orientale. Toute tentative de constituer une Ukraine réunifiée et indépendante avec l’appui de la Pologne et de la Suède se solde par un échec. 

Entre 1793 et 1795, l’Ukraine est partagée entre l’empire russe et l’empire autrichien. L’Empire russe annexe la rive droite du Dniepr, la Podolie et la Volhynie, et l’Empire autrichien s’empare de la Galicie, la Bucovine et l’Ukraine subcarpatique (ou Ruthenie). L’empire russe, slavophile pratique le servage et l’autocratie, l’empire autrichien est pro-européen, plus perméable aux Lumières.

Catherine II de Russie réintègre l’Ukraine progressivement à l’Empire russe. Elle étend l’empire aux steppes et aux rives de la Mer Noire. Au Sud, elle conquiert la Crimée en battant les Ottomans et fonde la ville d’Odessa, pour contrôler les rives de la mer Noire et ensuite la base navale Sébastopol. Cette région deviendra à la fin du XIXe siècle un grand centre de commerce, d’industrialisation et d’exportation des produits agricoles.

Les premiers mouvements nationalistes ukrainiens voient le jour dans l’Ouest de l’Ukraine, autour de Lemberg (aujourd’hui Lviv) et de Czernowitz (aujourd’hui Tchernivtsi) mais ils seront dénoncés par la propagande tsariste comme inféodés aux puissances européennes.

La division de l’Ukraine entre l’empire russe et l’empire autrichien durera jusqu’à la Première Guerre mondiale et à la Révolution russe de 1917. Les deux empires sont démantelés. Lénine prend le pouvoir à Moscou avec les bolchéviks. L’Ukraine déclare son indépendance en 1921 avec la création de la République populaire ukrainienne. Lénine riposte en créant la République soviétique d’Ukraine. Seule cette dernière survivra. Elle participera en 1922 à la création de l’Union soviétique (URSS), avec une fédération de républiques.
Les Ukrainiens seront sous la tutelle de Moscou et du Parti communiste jusqu’à l’éclatement de l’URSS et l’indépendance finale de l’Ukraine qui aura lieu en 1991 avec la récupération de la Crimée.

Le débat des historiens sur l’origine des Russes et des Ukrainiens

Dès le XVIIIe siècle en Russie, des historiens ont mené un grand débat sur la Rus’de Kiev, estimant que les habitants de Kiev étaient des Russes et s’interrogeant pour savoir si ceux-ci étaient un peuple slave ou non. 
Certains historiens (comme Nikolaï Karamzine (1766-1826), proche du Tsar Alexandre Ier, depuis Moscou ou Saint-Pétersbourg, établissent une filiation directe entre la Rus’ médiévale et l’Empire fondé par Pierre le Grand au XVIIIe siècle. D’autres comme Mykhaïlo Hrouchevsky (1866-1943), historien et homme politique ukrainien, affirment au contraire qu’il existe dans la région du Dniepr un peuple ukrainien ayant une identité singulière et dont l’histoire ne saurait se confondre avec celle de la Grande Russie.
Dans le premier cas, l’Ukraine n’a pas d’existence propre, dans l’autre, les Ukrainiens sont les seuls à pouvoir se présenter comme les descendants de la Rus’ médiévale.

Aujourd’hui, les Russes de Valdimir Poutine soutiennent l’autocratie et la résurgence de l’ancien empire soviétique, sous le mode conservatiste, pour lutter contre la puissance de l’Ouest. Les Ukrainiens défendent l’État Nation, les valeurs démocratiques, un œcuménisme religieux et les relations avec l’Union européenne et la présence à l’OTAN.

L’Ukraine possède une richesse agricole en blé et son accès à la mer Noire en fait un territoire d’importance stratégique. Elle est la porte de l’Europe, a des connexions à la fois Est/Ouest et surtout mer, terre et mer. Une région qui au cours de sa longue histoire a été au centre de routes commerciales et de connexions entre plusieurs grands empires, et qui a attiré beaucoup de personnes, des grands noms de toutes sortes, et de nombreuses ethnies qui s’y sont mélangées.

(1) qui donnera plus tard le mot « russe » mais également les mots « Ruthènes », « Russins » qui désignaient les Ukrainiens occidentaux
(2) le nom vient du scandinave Rodslagen : le gouvernail
À lire :
– Éditorial de Fernand Schwarz, la guerre des récits, paru dans la revue Acropolis N° 341 (juin 2022)
– L’imaginaire russe, du mythe de la troisième Rome à l’Empire, d’Isabelle Ohmann, page 3 de la revue 343
– La guerre en Ukraine : La Russie et l’Ukraine trouvent leurs racines dans l’Empire de Kiev, interview de Jane Burbank, spécialiste de Russie par Michel Lefebvre, le Monde, 6 août 2022
– Cours de Philo actualité de Fernand Schwarz, La Russie et l’Ukraine, histoire et mythologisation, genèse d’un conflit, le 22 mai 2022

L’Ukraine s’étend de part et d’autre du Dniepr et au nord de la mer Noire sur 600 000 km2.
Elle est composée de :
– La péninsule de Crimée, enlevée aux Turcs au XVIIe siècle, russifiée qui se rallie en 2014 à la Fédération russe en déclarant son indépendance. Sébastopol garde un statut spécial
– L’Ukraine de l’Est et du Sud, jusqu’à la rive gauche du Dniepr, longtemps appelée « Petite-Russie » (Malorussia
– Les bords de la Mer noire appelés « Nouvelle-Russie » (Novorussia)
– L’Ukraine du Nord-Ouest (Galicie, Volhynie, Podolie), proche de la Pologne-Lituanie ou des États habsbourgeois, appelée « Ruthénie »

par Marie-Agnes Lambert
Rédactrice en chef de la revue Acropolis
© Nouvelle Acropole
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole

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