Nos conditions de vie dépendent des autres
Nos conditions de vie dépendent des autres
L’historien de la santé Patrick Zylberman constate que l’épidémie du COVID-19 révèle de fortes disparités dans la gestion de la crise, bien qu’aucun pays n’ait trouvé la solution : « Notre illusion, c’est l’idée qu’il pourrait y avoir une gouvernance parfaite de ce genre de phénomène… Oui la gestion du risque c’est un phénomène tragique » (1). Et tous les gouvernements ont commis des erreurs.
Au-delà du bien-fondé ou non des mesures proposées, face à une situation d’incertitude et de complexité qui se prolonge, le plus important est d’obtenir la confiance de la population. Des scientifiques et des universitaires français de toutes disciplines disent : « nous ne voulons plus être gouvernés par et dans la peur. La société française est actuellement en tension, beaucoup de citoyens s’affolent ou au contraire se moquent des consignes [décidant parfois de contourner les consignes préconisées] et nombre de décideurs paniquent. Il est temps de changer de cap… cette crise doit nous unir et nous responsabiliser, pas nous diviser et nous soumettre » (2).
Le port du masque serait-il un acte de soumission ?
Pourquoi faudrait-il accepter certaines contraintes que la société ou les circonstances nous imposent ? Ce type de questionnement d’ordre normatif est l’un des plus difficiles à résoudre en termes de philosophie morale, nous explique Melissa Fox-Muraton, professeur de philosophie (3). Le problème est que les arguments moraux font également appel à l’autorité et que les règles imposées peuvent impliquer la pratique de la soumission. Aujourd’hui, comment faire accepter certaines normes ou règles, si elles vont à l’encontre de l’intérêt individuel ? Si la cause ne paraît pas juste, l’acceptation sera très difficile.
Comme le rappelle Melissa Fox-Muraton, la vraie question est de savoir si la vie vaut la peine d’être sauvegardée. La lutte pour la préservation de la vie est-elle un combat que la société doit mener ou non ? Si dans les discussions d’ordre moral, on n’arrive pas à se mettre d’accord sur une cause commune, il est inutile de parler de mesure à défendre. C’est seulement en reconnaissant que l’acceptation d’une norme constitue un sacrifice individuel, que l’on peut argumenter sur la justification qu’un individu donnera à un tel sacrifice. Tenir un discours qui induit « tu n’es pas qualifié pour juger par et pour toi-même » est dangereux. Le poids symbolique d’un tel affront est puissant et les réactions individuelles et collectives ne se font pas attendre, notamment dans des pays où les cultures mettent l’accent sur la raison et l’autonomie des individus.
Dans ce que nous sommes en train de vivre, la difficulté est de comprendre qu’on ne risque pas uniquement de se mettre en danger soi-même mais que l’autre peut tomber malade et mourir, et peut également perdre des proches. Nos actions ont des conséquences sur les autres. Cette partie du débat n’est pas claire aujourd’hui.
Jusqu’à maintenant, « autrui » est absent de la réflexion morale. Bien sûr, on nous demande de nous protéger et ceci nous concerne individuellement. « Protégez vos proches » implique de s’intéresser à sa propre communauté. Mais qui est autrui ? Ce sont tous les autres qui ne sont pas nos proches, qui sont totalement absents de notre imaginaire et qu’il est temps d’intégrer. L’autre est notre miroir, celui qui nous renvoie à nous-mêmes. Prendre soin d’autrui est un devoir d’humanité qui s’accomplit avec le cœur et ne peut pas se vivre comme une contrainte.