« Pour tracer son sillon droit, il faut accrocher sa charrue à une étoile » (1)
Dans son dernier livre, Ces biens essentiels (2), Céline Pina regrette la confusion créée entre biens essentiels et besoins primaires, suite à la crise de la COVID-19. Elle nous rappelle que « ce qui nous rattache à la civilisation, voilà ce qui est vraiment essentiel. » La vie et ses bonheurs ne sont pas la simple survie.
Déjà les philosophes grecs, depuis Socrate, avaient établi un système de valeurs précis, comme l’a démontré Gregory Vlastos (3). Pour Socrate, le bien ultime est le bonheur. C’est le seul bien que nous recherchons ou désirons pour lui-même et c’est par conséquent, la finalité de toutes nos actions. Le vrai bonheur ne dépend d’aucune personne ou circonstance extérieure mais de notre propre accomplissement intérieur.
Les biens constitutifs du bonheur sont les biens moraux ou vertus qui trouvent leur source dans la vie intérieure, dans l’être, comme le courage, la tempérance ou la sagesse. Ils ne sont conditionnés par rien d’extérieur.
À ces deux catégories de biens supérieurs, succèdent les biens secondaires et les biens accessoires. Les biens secondaires relèvent de l’avoir, comme la santé, la richesse, etc., ils dépendent des circonstances et nous serons toujours plus heureux avec eux que sans eux.
Les biens accessoires, qu’on appelle aujourd’hui les biens de consommation, ne sont ni bons ni mauvais et leur valeur est purement instrumentale. Ils n’ont d’intérêt que par rapport aux services qu’ils peuvent nous rendre. Ils ne contribuent pas à un bonheur durable parce qu’ils sont périssables et peuvent nous être enlevés. Socrate explique que leur valeur est largement inférieure à celle du bien le plus précieux dans la vie, la perfection de l’âme.
Nos sociétés ont inversé ce système de valeurs. Ainsi, les biens secondaires et accessoires sont-ils devenus essentiels.
La crise de la COVID-19 a permis la prise de conscience de la fragilité de notre monde et de nos systèmes. Nos repères se sont effondrés. Une nouvelle représentation du monde et de nous-mêmes devient indispensable pour ne pas subir l’effondrement intérieur individuel et collectif qui menace notre civilisation. Ce dernier va au-delà des questions de santé et se manifeste par des signes d’alarme qui devraient nous faire réfléchir.
Céline Pina rappelle que pour se reconstruire, il faut déjà savoir qui l’on est, d’où l’on vient, où l’on va et quel est le projet que l’on porte. Voici des questions auxquelles un mode de vie philosophique au quotidien permet de répondre. Un certain nombre de philosophes se sont réunis autour de Jean-François Buisson pour partager leurs expériences et conseils afin d’accéder à la pratique de la philosophie au quotidien (4).
Tout au long de l’histoire, l’être humain a prouvé qu’il était capable de transcender ses besoins primaires pour révéler toute son humanité. Face à la crise systémique que nous traversons et à l’absence de solutions durables, nous proposons un changement de paradigme, en renversant la pyramide des besoins humains, théorisée au milieu du XXe siècle par le psychologue Abraham Maslow. Il avait établi une hiérarchie des cinq besoins : survie matérielle, sécurité, reconnaissance sociale, autonomie et réalisation de soi. De nombreux exemples nous prouvent qu’on n’a pas besoin d’assurer sa survie matérielle, sa reconnaissance sociale, etc., comme conditions préalables à l’expression du meilleur de soi-même. Nous devons nous appuyer sur nos aspirations profondes, nos besoins de réalisation intérieure qui sont latents en chacun de nous pour donner sens et direction à nos parcours de vie.
L’éveil au besoin d’autoréalisation va de pair avec la mise au service des autres, d’une cause, d’un idéal qui nous dépasse, nous permet d’éprouver nos capacités d’action, et qui finalement, nous dévoile l’existence de moyens encore insoupçonnés jusque-là.
Prenons donc en main nos vies, en nous reliant au plus haut de nous-mêmes, et nous augmenterons notre capacité de respecter la vie, la nature, et d’exprimer notre solidarité envers autrui.