Philosophie

René Maran, prix Goncourt, disciple de Marc Aurèle

Moins connu que d’autres précurseurs de la conscience noire, tels Aimé Césaire, ou Léopold Sédar Senghor, René Maran (1887-1960) a écrit plus de trente-trois romans, essais et poésies.  En 1921, il reçoit le Prix Goncourt pour son roman Batouala (1), véritable roman nègre publié par Albin Michel. Pour la première fois un écrivain noir apparaît au palmarès de l’Académie Goncourt.

Ce n’est pas tant l’histoire du chef africain Batouala qui fera scandale mais la préface de René Maran à son propre ouvrage. C’est une diatribe contre le système colonial français en Afrique que l’écrivain connaît bien de l’intérieur puisque, suivant les pas de son père, il s’engage dans l’administration coloniale en 1909 et débarque en Afrique équatoriale à Oubangui-Chari.
« Civilisation, civilisation, orgueil des Européens et leur charnier d’innocents, tu bâtis ton royaume sur des cadavres … tout ce à quoi tu touches, tu le consumes. » Bien entendu ses détracteurs l’accusèrent de plagiat et de mensonges et les parlementaires de « mordre la main qui l’a nourri » et ils exigeront une sanction. Il ne se reniera jamais.
Aimé Césaire dira de lui : « René Maran est le premier homme des cultures noires à avoir révélé l’Afrique, mieux, le premier homme de culture à avoir amené le Noir à la dignité littéraire ».

En réalité, sa préface est un appel au secours de la France et aux écrivains français, ses « frères en esprit ». Ce qu’il découvre sur place, les viols, l’alcoolisme, les traitements des Africains comme des objets, lui font prendre conscience que les colons ne sont pas à la hauteur de la France et de la véritable civilisation universelle humaniste.
« Trop patriote et pas assez nègre » comme certains l’affirment. Il se réfugie dans la littérature et quitte son poste, suite aux pressions et à la prise de conscience de la difficulté d’inscrire dans les faits l’action civilisatrice non violente de son héros Savorgnan de Brazza. (1852-1905) (2).

Comme l’analyse Boniface Mongo-Mboussa (3) « Maran est un homme de passage. Guyanais, né en mer sur le bateau, tout au long de sa vie, René Maran a essayé d’être un trait d’union. Comme tous les Antillais de sa génération, René Maran croyait à la sauvagerie des Nègres et espérait les libérer par la civilisation. Mais il souhaitait que cette libération se réalise avec humanité. »
Malgré toutes les pressions et critiques, René Maran est toujours resté stoïque. Au lycée Talence, son professeur de latin lui fait découvrir Marc Aurèle, la puissance du Bien et la maîtrise de soi. Les Pensées de Marc Aurèle deviennent son livre de chevet depuis son enfance et lui permettent de passer plusieurs années de solitude dans son lycée – pendant que ses parents sont au Gabon –. Il écrit : « n’importe qui devrait le lire pour survivre ».

Dans son livre Un homme pareil aux autres, qui était le fond de sa pensée, il fait dire à son personnage Jean Veneuse : « quel malheur qu’on ne puisse aimer les hommes comme on aime les livres ». Bernard Mouralis (4) dit : « Le stoïcisme antique l’a aidé à forger des outils pour échapper à l’atmosphère brutale et inculte de la colonie. »
Dans une lettre de 1917, il se confie : « Plus la guerre se prolonge et ses tristesses, mieux je comprends l’utilité du stoïcisme. […] Le scrupuleux Empereur avait su faire d’une morale d’esclave une morale de maître, dit-il. Dans un poème du Livre du souvenir, il écrit : « Sous la dictée de Marc Aurèle : rester maître de soi, n’être pas versatile, tempérer son esprit d’une grave douceur, remplir ses devoirs, essayer d’être utile, s’efforcer chaque jour de devenir meilleur ».

Suivons donc les conseils de René Maran, dans nos prochaines Journées mondiales de la philosophie qui auront lieu à partir du jeudi 18 novembre (5).
Saluons ainsi ce précurseur d’humanité qui ne fut pas assez nègre pour les Africains et pas assez blanc pour les Européens ».
En se rappelant de Marc Aurèle qui écrivait (6) : « Ma nature est raisonnable et sociable ; j’ai une ville et une patrie : comme Antonin, j’ai Rome ; et comme homme, j’ai le monde. Ce qui est utile à ces communautés, est donc mon unique bien ».

(1) Roman de René Maran qui vient d’être réédité par Albin Michel avec une préface d’Amin Maalouf
(2) Explorateur. Une des grandes figures de l’expansion coloniale française. Fasciné par l’Afrique, il va convaincre sans violence les rois dignitaires du Congo de se mettre sous la protection de la France, à la différence des Anglais qui, de l’autre côté du fleuve, ne lésinent pas à la mettre à feu et à sang. Il n’utilisera jamais la violence pour introduire la civilisation européenne
3) Écrivain et critique littéraire congolais, docteur en littérature comparée
(4) René Maran et le monde antique : du lyrisme élégiaque au stoïcisme, Revue Présence africaine 2013 1-2
(5) https://m.facebook.com/journee.mondiale.philosophie/
https://lyon.nouvelle-acropole.fr/echos-lyon/307-festival-nuit-de-la-philosophie
(6) Pensées pour moi même, Marc Aurèle, Livre VI, 44
par Fernand SCHWARZ
Fondateur de Nouvelle Acropole France

© Nouvelle Acropole

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