Retrouver la convivialité
Les conflits sont de plus en plus nombreux, qu’ils soient individuels ou collectifs. Comment retrouver l’art de la convivialité ?
La quantité choquante de problèmes que nous rencontrons quotidiennement où que ce soit sur Terre, nous conduit à penser avec plus d’attention à l’art difficile de la convivialité.
Si l’on prend pour acquis l’existence de situations complexes, créées par la non moins complexe politique internationale — et nationale de chaque pays —, la majeure partie des conflits surgissent du peu de compréhension que démontrent les êtres humains les uns envers les autres. Le respect des opinions, tant désiré, n’est pas le plus courant ; au contraire, à mesure qu’avance le XXIe siècle, ce qui se manifeste est une radicalisation des idées de chaque personne, de chaque groupe, de chaque parti politique, de chaque religion, de sorte que toute tentative pour rapprocher des positions tourne court dès le début.
Il se passe plus ou moins la même chose dans les relations strictement personnelles. Et ce qui, à grande échelle, dérive en guerres avec des milliers de morts, se mue dans le familial et le quotidien en agressions qui, pour finir, se terminent par de mauvais traitements et des assassinats. De même, à petite échelle, il semblerait qu’il ne serve à rien de parler le même langage, que ne servent à rien les sentiments qui ont pu un jour unir deux êtres ; quand un lien se détruit ou commence à se dégrader, l’absence de convivialité se manifeste comme un monstre impossible à retenir dans sa soif de destruction.
La disparition du respect
On comprend que, bien malgré nous, il y a des sentiments qui meurent — si tant est que de tels sentiments aient existé un jour ; que les accords internationaux sont davantage soumis aux intérêts qu’au désir de paix, — c’est du moins ce que montrent les faits. Mais même ainsi, la convivialité devrait se muer en un respect qui subsiste au-delà des différences et de la rupture des engagements. On peut résilier un traité, mais ce qu’on ne peut pas, c’est faire de l’ancien allié un ennemi déclaré auquel on ne concédera plus jamais aucune trêve.
Et comme si ce n’était pas assez, on voit à quel point la convivialité est confondue avec la confiance de la familiarité au pire sens du terme. La «confiance», dans ce cas, se traduit par un excès de confiance, de familiarité, qui rompt toute considération des uns envers les autres. C’est comme si du fait de se connaître davantage, les personnes ne découvraient que le pire de ceux qui partagent leurs vies, comme si les frictions quotidiennes rompaient l’enchantement de l’harmonie, des liens de l’union et de l’affection.
Peut-être, et en prenant comme maîtres les philosophes classiques, le vrai problème est-il que nous établissons des liens et des relations très superficielles, ou simplement fondées sur des conventions peu durables. Au niveau personnel, les émotions passagères l’emportent sur les engagements de l’âme ; au niveau politique, les normes financières et partisanes sur l’esprit de fraternité. De cette façon, il ne devrait pas nous étonner que tant les émotions que la fragilité des marchés et des opinions disparaissent d’un jour à l’autre, laissant, au lieu d’un respect logique, un certain ressentiment vis-à-vis d’un lien qu’on préférerait oublier ou dont on voudrait qu’il n’ait jamais existé. De là à la violence sous toutes ses formes, il n’y a qu’un pas.
Jorge Ángel Livraga (1) a dit une fois que la convivialité est l’art de vivre et de laisser vivre, et qu’elle commence inexorablement par le fait d’avoir ses propres expériences afin de les partager avec les autres. Nous devrions donc nous consacrer davantage à nos expériences, au développement de notre vie intérieure, à l’approfondissement de nos sentiments en repoussant les émotions rapides, à l’équilibre de nos idées en nous éloignant de la fluctuation du doute comme diversion. Et avec ces règles simples, nous ferions une place à une convivialité si ardemment désirée.