Ritualiser : comment et pourquoi ?
Pour illustrer la nature et l’intérêt de la ritualisation, nous prendrons deux exemples : l’un d’une ritualisation réussie, le second d’une ritualisation manquée.
L’un et l’autre sont associés à un grand jeu qui amène les enfants, à travers le vécu symbolique d’une histoire faisant appel à l’imaginaire, à vivre, sur plusieurs jours, une expérience leur permettant d’intégrer un objectif éducatif implicite.
La malédiction
Le fil rouge du grand jeu était : l’union fait la force ou comment mettre les talents de chacun au service du groupe et de ses finalités.
Pour les enfants, cela s’est traduit, à partir d’un conte, La malédiction, inventé pour la circonstance, par l’objectif de lever une malédiction à la suite de laquelle, à une époque reculée, la discorde s’est installée dans un village où régnait la bonne entente.
À partir de petits défis individuels, ont été mis en évidence certains points forts et points faibles de chacun afin qu’ils en tiennent compte pour établir collectivement une stratégie leur permettant de réussir les défis collectifs qui allaient suivre. Avec pour devise : « Là où un seul échoue, plusieurs réussiront-ils ? »
Ils ont, au long des 3 jours et demi qu’a duré le jeu, à l’issue de défis individuels puis collectifs, reçu des briques en bois, rouges pour les points forts individuels et les réussites collectives et jaunes pour les points faibles.
La construction rituelle de la tour
Chaque matin, les participants avaient rendez-vous sous un grand chêne, dans un lieu réservé à cela.
Réunis en cercle autour du même animateur, ils érigeaient, jour après jour, une tour avec les deux types de briques qu’ils avaient reçues la veille car c’est à partir de ses points forts et de ses points faibles qu’on se construit.
Une fois la tour achevée, ils ont pu récupérer l’étui, oublié jadis nul ne savait où, contenant le secret de l’entraide et de la bonne entente : un drapeau à 3 bandes, jaune, rouge et orange qui a été placé en grande pompe sur le pyramidion.
À la fin du séjour, la tour a été démantelée solennellement avec tous les participants, enfants et animateurs, et chacun a emporté avec lui une brique jaune et une brique rouge et la devise : « Là où un seul échoue, plusieurs réussiront-ils ? »
Le monstre attaque
L’objectif était d’oser affronter ses peurs.
Au cours d’un échange, en début de séjour, chacun a recherché ses peurs et dessiné l’une d’entre elles. Puis, à partir d’une armature articulée élaborée par un animateur, les enfants construisent un monstre. Ils fabriquent ensuite des armes individuelles et collectives de leur choix et un masque de guerre.
Chacun alors, portant son masque de guerrier et muni de l’arme qu’il s’est fabriquée, guidé et encouragé par l’animateur chef de guerre, livre un combat individuel contre le monstre. Enfin, après un haka collectif préparé avec une animatrice, a lieu l’assaut final collectif, au cours duquel le monstre est taillé en pièces qui, pour finir, sont brûlées et réduites en cendres dans un grand feu.
Célébration rituelle des héros victorieux
Après la victoire contre le monstre, lors de la veillée du soir autour du feu, une animatrice avait le rôle de l’aède ou du barde qui célébrait les hauts faits des guerriers qui avaient combattu et vaincu le monstre.
Elle appelle chaque enfant l’un après l’autre, dit quelques phrases de louanges et conclut : « Tu as vaincu ta peur ». Elle lui donne la feuille sur lequel il a dessiné sa peur au début du séjour en disant : « Jette ta peur ». L’enfant jette son dessin dans le feu et le regarde brûler.
Les enfants se redressaient. Un silence puissant s’était installé. Nous vivions un moment magique. Ce qu’ils avaient vécu comme un simple jeu avait pris une autre dimension. Ils étaient les héros vainqueurs d’eux-mêmes. Ils communiaient avec ce que peuvent ressentir les héros des mythes archétypaux. Ils buvaient à la coupe du mythe.
L’animatrice s’en est rendu compte et elle a eu peur. Incapable de porter le poids de ce qui l’habitait et peut-être atteinte par la peur du ridicule, elle a lâché et a rompu le charme. Ce qui était parti comme un moment magique a perdu sa portée pour devenir un jeu banal, totalement désacralisé, dont les enfants ont ri.
Pour une ritualisation réussie : le rôle de l’animateur
D’une manière générale, il convient de savoir choisir les moments à ritualiser.
Par ailleurs, lorsque l’animateur comprend que, s’il adopte la bonne attitude et ne s’en départit pas, il devient un canal et les enfants entrent facilement et totalement dans la même attitude. À ce moment-là, c’est l’âme en lui qui prend la relève. Alors celle de l’enfant entre en résonnance avec le message dont est porteur le langage symbolique.
À un parent à qui on expliquait cela et qui ne comprenait pas ce qu’était l’attitude rituelle ou cérémonielle, on a rappelé un jour où elle avait chanté un chant dont tous se souviennent tant cela avait été puissant. On lui a dit : l’attitude intérieure dans laquelle tu étais alors, c’est cela, l’attitude rituelle ou cérémonielle. Tu es un canal à travers lequel passe quelque chose qui vient d’ailleurs et avec qui une partie de toi-même est entrée en contact. C’est ce qu’on peut appeler l’inspiration.
Après avoir compris qu’on ne peut utiliser la ritualisation comme un moyen de se mettre soi-même en scène, on peut, une fois averti, apprendre à ne pas avoir peur du ridicule non plus que d’un jugement négatif de la part des autres adultes. À ne pas avoir peur d’associer une attitude rituelle ou cérémonielle avec le monde des histoires si elles sont justes symboliquement. À ne pas avoir peur de la théâtralisation rituelle, du hiératisme, puissant quand il est bien vécu par l’animateur, c’est-à-dire vécu de l’intérieur.
Cette peur se combat en la vivant une fois, deux fois, trois fois… Alors, elle disparaît.