Une femme remarquable, Christiane Desroches Noblecourt
À la fois intellectuelle, femme d’action, citoyenne engagée, femme de cœur qui est allée au bout d’elle-même, Christiane Desroches Noblecourt est remarquable à de nombreux titres.
• Pour son énergie, son affirmation, sa confiance en soi, sa détermination, son courage, son audace, sa ténacité, sa pugnacité, son intelligence, sa capacité de travail, son engagement, son ouverture intellectuelle et humaine, son honnêteté intellectuelle.
• Parce qu’elle a fait avancer son domaine, la connaissance de l’Égypte antique.
• Parce que, par son œuvre, elle a joué un rôle dans l’histoire et œuvré pour son pays.
• Par ce qu’elle a su susciter des vocations.
• Pour son ouverture aux autres : elle parlait arabe et un vieil Égyptien qui avait travaillé avec elle lors de ses fouilles en témoigna : « Elle ne faisait pas que nous commander, elle nous expliquait ».
La première femme égyptologue
Née à Paris en novembre 1913, elle mourut en juin 2011 à 97 ans. Sa passion pour l’Égypte ancienne est née en 1923 alors qu’elle avait 9 ans, lors de la découverte de la tombe de Toutankhamon. Encouragée par son père, elle fait des études d’égyptologie, passe deux thèses, entre en 1924 à 21 ans au département des antiquités égyptiennes dont elle sera plus tard Conservatrice de 1949 à 1984. Professeur à l’École du Louvre pendant 45 ans, de 1937 à 1972.
Elle est la première femme égyptologue et la première à diriger des fouilles en Égypte, en 1938-1939. Elle s’impose dans un monde alors exclusivement masculin. Son arrivée en Égypte, à 24 ans, suscite une véritable révolution. Elle a dit : « J’ai appris à devenir une bagarreuse par nécessité. »
Pendant la guerre, elle s’engage dans la résistance. Elle sauve les trésors du département égyptien du Louvre de la convoitise des dirigeants nazis en les mettant à l’abri en zone libre.
Le sauvetage des temples d’Abou Simbel
On le lui doit en grande partie. « Au milieu des années 1950, c’est elle qui conçoit le projet, considéré comme impossible par les autorités égyptiennes et de nombreux spécialistes, de surélever les temples de Ramsès, creusés dans le rocher, et menacés d’engloutissement par les eaux du Nil en raison de la construction du nouveau barrage d’Assouan. Elle parvient à sauver un grand nombre de monuments. Ces temples ont été découpés bloc par bloc (1305 blocs dont certains atteignaient trente tonnes) et remontés 64 m au-dessus de leur emplacement primitif sur un escarpement artificiel (1963-1968),à la suite d’une campagne de protection lancée par l’UNESCO. »
Pour empêcher cette destruction, l’UNESCO se tourna alors vers Christiane Desroches Noblecourt.
Le 8 mars 1960, en compagnie du ministre égyptien de la Culture, elle lança un appel solennel à la solidarité mondiale depuis la tribune de l’UNESCO à Paris. En plus des quatorze temples qu’il fallait impérativement déplacer, il fallait procéder à des fouilles de toute urgence, sur des sites qui allaient être recouverts par des dizaines de mètres d’eau et qui n’avaient jusqu’alors été que très peu étudiés en détail.
André Malraux, alors ministre d’État chargé des Affaires culturelles, répondit aussitôt à l’appel au secours. Bien que le monde fût en pleine guerre froide, cinquante pays se mobilisèrent, malgré leurs oppositions idéologiques, pour sauver ces trésors de l’humanité toute entière. Il fallut vingt ans pour mener ce sauvetage à bien.
Ce sauvetage des monuments de Nubie auquel s’était vouée Christiane Desroches Noblecourt allait avoir plusieurs conséquences positives. La première fut une amélioration très sensible des rapports franco-égyptiens, qui étaient devenus exécrables après la désastreuse intervention du Canal de Suez de 1956. Par ailleurs, le gouvernement du Général Nasser donna son accord pour l’organisation d’une exposition Toutânkhamon au Petit Palais en 1967. Pour la première fois de son histoire, l’Égypte accepta d’envoyer à l’étranger une partie significative du trésor de Toutânkhamon, dont l’inestimable « Masque d’or ».
Le sauvetage du temple d’Amada
« Parmi tous les temples à sauver, l’un des cas les plus délicats était celui du petit temple d’Amada à cause des reliefs miniatures et peints. Le découper en blocs comme pour Abou Simbel était irréalisable, car les peintures n’auraient pas résisté. Voyant que tous acceptent l’idée de voir ce temple englouti par les eaux du lac Nasser, Christiane Desroches Noblecourt prit alors sur elle de s’écrier : « La France le sauve ! ».
Elle demanda à deux architectes de lui proposer une méthode pour déplacer le temple en un seul bloc. Ceux-ci imaginèrent alors de mettre le temple en précontrainte (compression du béton qui accroît sa résistance), de glisser des poutrelles en béton sous son assise, puis de le déposer sur une plate-forme munie de roues, de placer celle-ci sur des rails installés exprès, et de transporter le tout par piston à quelques kilomètres de là, en un lieu plus haut de soixante mètres. Il s’agissait en somme de transporter le temple tel quel.
L’idée ayant été jugée réalisable techniquement, il fallait se donner les moyens financiers de la réaliser. Christiane Desroches Noblecourt demanda alors une audience à Charles de Gaulle, Président de la République, qui ignorait l’engagement qu’elle avait osé prendre d’elle-même, au nom de la France. « Comment, madame, avez-vous osé dire que la France sauverait le temple, sans avoir été habilitée par mon gouvernement ? » Christiane Desroches Noblecourt répondit : « Comment, Général, avez-vous osé envoyer un appel à la radio, alors que vous n’aviez pas été habilité par Pétain ? »
Le sauvetage de la momie de Ramsès II
C’est à l’occasion de la préparation de l’exposition Ramsès le Grand, au Grand Palais à Paris, que Christiane Desroches-Noblecourt obtint des gouvernements français et égyptien toutes les autorisations nécessaires à la venue du pharaon dont la momie se dégradait irrésistiblement, faute d’un environnement approprié. Transportée dans un avion de l’armée de l’air, elle fut traitée par irradiation à Saclay et sauvée de la destruction.
C’est elle, enfin, qui, avec le soutien du président égyptien Nasser et du général de Gaulle, organisa au Louvre la grande exposition, citée plus haut, de Toutankhamon, en 1967 à Paris, qui accueillit près d’1,3 million de visiteurs. Et, en 1976, elle participa aussi à l’exposition Ramsès II à Paris, qui accueillit presque autant de visiteurs.
Enfin, c’est elle qui a inventé le concept de patrimoine culturel mondial (voir la fin de son livre Symboles de l’Égypte).