Arts

Velasquez, le monde réel dans son acceptation la plus haute

Vélasquez nous fait communier avec la réalité dans toute sa diversité. Ce souci va de pair chez lui avec une volonté de grandeur.

L’art a toujours eu pour vocation de favoriser la communication entre l’homme et le monde. En Diego Vélasquez (1599-1660), ce rêve atteint sa pleine maturité car l’artiste a su s’adapter à tous les sujets. Chez lui, tout avait droit de cité, un objet, un animal, un être disgracié, un grand de ce monde… Peu sollicité par le mysticisme, il a su maintenir l’équilibre entre la Terre et le Ciel, et son œuvre était seulement imprégnée de religion.

La réalité dans toute sa grandeur

Comme Le Caravage en Italie, le peintre va s’intéresser aux milieux populaires au sein desquels ses personnages vont se voir conférer une stature phénoménale, ainsi Le porteur d’eau de Séville (1620 – Apsley House, Londres).
Sur un fond obscur, la toile montre un vieux porteur d’eau donnant à boire à un jeune homme. Le vieil homme semble appartenir à un milieu plus modeste que celui de son jeune interlocuteur dont les vêtements indiquent une appartenance à un milieu aisé. Malgré cela, il le domine de toute sa puissance. Une certaine austérité est compensée par quelques nuances claires, en particulier celle ressortant du col du garçon, l’image de la vie que celui-ci veut éprouver.
La toile peut être interprétée à un second niveau. L’eau prend une valeur spirituelle en ce qu’elle représente le savoir transmis par un vieux sage. L’attention est orientée vers le verre en cristal prise par le jeune homme. Les deux mains se rejoignent dans un même accord entre générations. Surtout, la connaissance supposée être l’apanage du porteur d’eau trouve son réceptacle dans cette énorme et magnifique cruche représentée au premier plan et qui donne toute sa force au jeu des personnages.

La religion dans les choses communes et ordinaires

La valeur conférée à la cruche va trouver son répondant dans un autre tableau de Vélasquez, cette fois-ci à tendance religieuse, Le Christ dans la maison de Marthe et Marie (1618 – National Gallery, Londres).

Le tableau représente une jeune femme travaillant à la cuisine, l’air morose. Devant elle, se dresse une table pleine de nourriture. Une femme plus âgée lui signale de la main une autre scène, à première vue un tableau sur un mur représentant un épisode de l’Évangile. On y voit Marie, fascinée par Jésus, s’asseoir devant lui et l’écouter. Elle suscite le courroux de son aînée Marthe qui demande au Christ de l’envoyer l’aider à la cuisine. Sans pour autant condamner son labeur, celui-ci lui fait entrevoir qu’elle doit prendre conscience du sens détenu par celui-ci et que l’attitude de Marie est la plus digne.

Les deux scènes frappent par leur différence d’atmosphère. On ne sait si la scène religieuse est un tableau ou un passe-plat, une incertitude voulue qui l’apparente à un rêve. Dans la scène du monde réel, les couleurs sont tranchées. Les objets et ustensiles sont peints de manière minutieuse, comme dans l’art flamand. Chez Vélasquez, aliments, boissons, fruits sont représentés « avec tant d’assurance, une telle qualité de dessin et de couleur » (1)  si l’on en croit son biographe Palomino, que l’on ne peut être que frappés par leur accent de vérité. La lumière frappe la femme qui a besoin de travailler. Dans la scène religieuse, au contraire, les tonalités sont floues. 

Un autre contraste est celui entre la jeune femme boudeuse et son aînée. Parvenue à l’âge où l’on explique, cette dernière semble lui dire : « Le Christ sera là dans tout ce que tu fais ». « Pour rendre la compréhension des choses religieuses, il faut les aborder par le biais des choses familières » disait Erasme. Ainsi Vélasquez a-t-il voulu rendre la religion dans la vie de tous les jours. « Dieu se trouve aussi parmi les casseroles » disait sainte Thérèse d’Avila. La vie active est une étape nécessaire vers la vie contemplative. Malgré ces différences, l’ensemble de l’œuvre forme une unité, presque un film. 

Une grandeur qui confine au sublime

Cette simplicité témoignée par le peintre dans son souci de s’adapter à toute forme de réalité, il l’a exprimée dans ses dons de portraitistes, ainsi en faisant le portrait du roi d’Espagne Philippe IV (Portrait en pied, 1628 – Musée du Prado, Madrid). Dépassant le rôle qu’il avait pour devoir de représenter, l’artiste a su montrer l’être humain dans toute sa vulnérabilité. Le roi se tient debout, non en costume d’apparat mais dans son habit noir. L’artiste lui a donné une stature gigantesque, celle d’un homme dominant de toute sa hauteur celui qui le regarde et représenté dans sa majesté.

Mais au-delà, la séduction exercée par le monde a déterminé l’artiste à représenter un ami. Les séances de pause étaient longues et le roi a pu en profiter pour se confier à lui, créant un lien incitant à le montrer dans toute son humanité. Le visage du roi est celui d’un homme qui a souffert car, l’Espagne connaissant des défaites, il assistait au déclin de son pays. Il tient dans sa main un placet, image de la charité qui le pousse à aider son peuple. Plus que la simple ressemblance, c’est la vérité de l’homme que le peintre est parvenu à dégager. La ressemblance ne s’attache qu’à un moment donné de la personne laquelle aura changé des années plus tard. La vérité vise à saisir l’essence de l’être, son caractère intime qui, lui, reste toujours le même.

Ce caractère premier du personnage est renforcé par la dimension accessoire du décor, ainsi la table demeurée en retrait.
Sur un fond uni, le roi donne l’impression de sortir de la toile, « semblable à quelque chose qui nous apparaît », un mystère s’apparentant au divin.

« Les personnages de Corneille n’ont rien d’extraordinaire, ils sont seulement nos représentants éminents » disait Charles Péguy. De la même manière, les personnages de Vélasquez nous ramènent à nous-mêmes, avec quelque chose en plus. Du simple objet au souverain, l’artiste a su grandir tout ce qu’il représentait avec un maximum de poésie. « Tu m’as donné de la boue, j’en ai fait de l’or », disait Baudelaire.

(1) Antonio Palomino, Museo Pictorico y Escala optica. Madrid : Éditions Aguilar, 1947, p.892
Bibliographie :
Jeannine Baticle, Vélasquez peintre hidalgo. Paris : Éditions Gallimard, 1989, collection découvertes
Bartolomé Bennassar, Vélasquez. Paris : Editions de Fallois, 2010
par Didier LAFARGUE
Libraire à Bordeaux
La revue Acropolis est le journal d’information de Nouvelle Acropole
© Nouvelle Acropole

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